EXCLUSIF. Le jeune musulman soupçonné d’avoir défenestré sa voisine juive, en avril à Paris, a été entendu pour la première fois par la juge lundi. L’Express a eu accès à ses déclarations. Devant la juge d’instruction, le meurtrier présumé de Sarah Halimi, tuée à Paris en avril, a reconnu qu’il connaissait la judéité de sa victime mais nie tout acte antisémite .
Après un long silence, insupportable pour les proches de la victime, Kobili T. a livré sa première version des faits. Le meurtrier présumé de Sarah Halimi, une retraitée juive tabassée et défenestrée le 4 avril dans le XIe arrondissement de Paris, a été auditionné par la juge d’instruction lundi dernier à l’hôpital psychiatrique où il est interné depuis trois mois. Les médecins ont jugé son état compatible avec un interrogatoire, le premier depuis le crime.
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Dans ses déclarations, dont L’Express a pris connaissance, le jeune homme de 27 ans revient de manière cohérente sur le déroulé de la nuit sanglante. Il reconnaît les faits mais conteste toute dimension antisémite. “Je me sentais comme possédé. Je me sentais comme oppressé par une force extérieure, une force démoniaque”, se défend-il, attribuant son état à “la dizaine de joints” qu’il avait fumés. L’homme confirme qu’il ne prenait aucun médicament. Il n’a par ailleurs aucun antécédent psychiatrique.
“J’ai crié ‘Que Satan soit béni'”
C’est la veille du drame que Kobili T. aurait ressenti ses premières “bouffées d’angoisse”. Il se rappelle être allé prier à la mosquée, avoir invectivé l’aide soignante de sa soeur handicapée et s’être endormi chez un ami devant le film The Punisher.
Dans la nuit, à 3h30, il se réveille et se dirige vers l’appartement de la famille D., dont le balcon jouxte celui de Sarah Halimi. “Je ne sais pas pourquoi, glisse-t-il à la magistrate, précisant qu’il avait été affecté par une énième dispute avec sa mère un peu plus tôt. Je me sentais stressé.”
Chez les D, des proches de sa famille de longue date, le tueur présumé affiche une attitude nerveuse. Il reconnaît avoir eu un “accrochage” avec eux, mais nie les avoir séquestrés. “J’ai crié ‘Que Satan soit béni’. Ils s’enferment tous après. […] Moi je voulais rester, je ne sais pas pourquoi.” Prétendant s’être senti “pourchassé”, il raconte qu’il s’est mis à “réciter des paroles du Coran” dans le salon. Environ 30 minutes plus tard, Kobili pénètre chez la victime.
“Je l’ai tapée avec le téléphone, ensuite avec mes poings”
Le jeune homme est incapable d’expliquer cette intrusion, mais affirme avoir eu le sentiment de ne pas être en sécurité chez les D. “Je ne savais pas chez qui j’allais atterrir. C’est quand j’ai vu dans l’appartement une Torah, j’ai vu la dame qui s’est réveillée.” Il ajoute: “Je lui ai dit ‘Appelez la police, on va se faire agresser’. Elle a appelé d’un téléphone fixe.” Un combiné ensanglanté, les piles étalées sur le sol, a bien été découvert par les enquêteurs.
Kobili se met alors à frapper Sarah Halimi avec une violence insensée, dont il ne se cache pas. “Je l’ai tapée avec le téléphone, ensuite avec mes poings. Ensuite, je ne sais pas ce qui m’a pris, je l’ai soulevée et jetée par la fenêtre [du balcon, en réalité]“.
Là encore, il ne s’épanche pas sur l’élément déclencheur de son entreprise meurtrière. Tout juste se remémore-t-il un moment de panique et un échange confus au sujet du numéro de l’immeuble avec sa victime. A plusieurs reprises lors de son audition, il se retranche derrière des “je ne sais pas”.
– Des voisins disent avoir entendu “Allah Akbar”, lui fait remarquer la juge d’instruction.
– Je ne me souviens pas d’avoir dit ça.
De même, Kobili ne se rappelle pas avoir crié “Tu vas payer”. De nombreux témoins ont pourtant dit aux enquêteurs avoir entendu un mélange de hurlements, de menaces et de références religieuses, en français et en arabe. L’homme est interpellé à 5h35 par trois policiers de la Brigade anti-criminalité (BAC), arrivés pourtant sur les lieux près d’une heure auparavant. “Je pensais que c’était des démons”, répète-t-il devant la magistrate.
“C’est horrible. Je n’aurais jamais dû faire ça”
Interrogé sur ses liens avec la retraitée, le jeune tueur se montre plus prolixe. Oui, il savait qu’elle était sa voisine du dessus, depuis “au moins dix ans”. Oui, il avait connaissance de sa pratique religieuse assidue. Comment? “Sa façon de s’habiller, avec des habits traditionnels pour aller à la synagogue, ou ses enfants quand ils venaient et avaient la kippa.”
En revanche, Kobili nie que la religion de Sarah Halimi ait motivé son geste. “Je ne suis pas antisémite. Ça aurait pu tomber sur n’importe qui”, se défend-il, précisant n’avoir jamais eu de problèmes avec la communauté juive. Il consent quelques regrets. “C’est horrible. Je n’aurais jamais dû faire ça, c’est sans doute parce que j’avais fumé trop de cannabis.”
“J’ai le sentiment d’un déni de justice”
A l’issue de son audition, il a été mis en examen pour “homicide volontaire” et “séquestration”. La circonstance aggravante de l’antisémitisme n’a pas été retenue à ce stade, au grand dam des avocats des proches de Sarah Halimi.
“J’ai le sentiment d’un déni de justice, vitupère maître Jean-Alex Buchinger. Ses réponses sont claires, structurées et préparées. Elles prouvent qu’il n’était pas dans un état de démence ni à l’époque des faits, ni aujourd’hui. Il avait conscience que madame Halimi était juive. La connotation islamiste et antisémite de son acte est indéniable.” Maître Gilles-William Goldnadel abonde: “Je trouve cela assez incongru que la justice ne retienne pas la dimension antisémite lorsqu’un islamiste torture quelqu’un pendant une demi-heure en criant ‘Allah akbar'”.
Pour ces avocats, Kobili a la mémoire sélective et n’assume pas “d’avoir ciblé sa victime”. Ils le soupçonnent d’avoir préparé ses réponses en lisant la presse. “Tout ce qu’on essaye de faire passer par les médias, c’est faux”, s’est dédouané le jeune homme devant la juge, admettant avoir eu connaissance de l’émoi provoqué par son crime dans la communauté juive. Kobili a été placé sous mandat de dépôt mais reste hospitalisé.
Source :© “Je l’ai jetée par la fenêtre”: les déclarations du tueur présumé de Sarah Halimi – L’Express