ANALYSE – Albert Zennou analyse le réjouissement de la fin de vie de LR et se demande si ce n’est pas hâter la constitution de l’UMPS, un LREM qui irait du centre gauche à la droite orléaniste.
Quand Jacques Chirac a remporté l’élection présidentielle en 2002 contre Jean-Marie Le Pen avec 82,1% des voix et l’appui de toute la gauche mobilisée en sa faveur, de nombreuses personnes l’ont pressé de faire un gouvernement d’union nationale. Puisque toutes ces forces démocratiques s’étaient alliées pour faire de ce second tour, non un plébiscite pour Chirac, mais un vote contre Le Pen. Le président réélu s’était refusé de céder à la pression. Et c’est Jean-Pierre Raffarin qui avait été nommé premier ministre. Certes, Jacques Chirac sortait de cinq années de cohabitation difficile avec le socialiste Lionel Jospin, mais surtout il avait en tête un risque majeur: ne pas faire du Front national le parti de l’alternance. Associer ce qu’allait devenir l’UMP avec le PS, en réunissant droite et gauche dans un même gouvernement, c’était placer, de fait, le Front national dans la position de principal opposant. En cherchant à réduire Les Républicains à un groupuscule, la majorité actuelle prend le risque que Jacques Chirac s’était refusé à endosser: faire de Marine Le Pen l’alternative à Emmanuel Macron.
Bien évidemment, il ne s’agit pas de dédouaner Les Républicains de leurs propres erreurs et de leur échec patent à retrouver une voie de droite crédible. Le diagnostic a été fait dans ces colonnes et dans de nombreuses autres. Mais l’acharnement à vouloir détruire le grand parti de la droite peut être préjudiciable non seulement à la vie politique française, mais également à la démocratie.
Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’environ trois Français seulement sur dix se disent satisfaits de l’action de Macron comme chef de l’État
Quand les ex-élus LR passés chez Emmanuel Macron appellent les maires et députés LR à les rejoindre au nom du rassemblement autour du «président- qui-entreprend-les-changements-que-la-droite-aurait-dû-faire-depuis-trente-ans», leur souhait est bien évidemment de préparer au mieux la réélection de Macron en 2022. Leur gourmandise à vouloir récupérer tout ou partie de LR doit interroger sur la finalité d’une telle initiative. En balayant les LR, en réduisant la gauche à une contestation d’écologistes boboïsés, la voie est ouverte pour figurer en bonne position au premier tour de la présidentielle. Mais à quel prix? Celui d’avoir encore une fois un second tour Macron- Le Pen? Mais si tel était le cas, Macron ne pourra plus compter sur un nouveau duel totalement à son avantage. 2022 ne sera sans doute pas la réplique de 2017. Marine Le Pen, si elle était présente au second tour, pourrait faire beaucoup plus que les 33,9% de 2017. De son côté, Emmanuel Macron se présenterait avec un bilan. L’espoir qu’il avait suscité en 2017 ne s’est pas pleinement concrétisé. Toutes les enquêtes d’opinion montrent qu’environ trois Français seulement sur dix se disent satisfaits de son action comme chef de l’État.
Vouloir à tout prix détruire la droite républicaine en disloquant ses structures, en en faisant des supplétifs de La République en marche, ne fait que réaliser le rêve de l’ancien Front national: la création de l’UMPS, ce rassemblement de l’UMP et du PS, l’incarnation électorale du «et de droite et de gauche», version lepéniste. Le parti de Marine Le Pen a toujours voulu contrer cette alliance supposée objective entre les partis du «système». Se réjouir de la fin de vie de LR, n’est-ce pas hâter la constitution de l’UMPS, un LREM qui irait du centre gauche à la droite orléaniste?
À vouloir être le représentant quasi exclusif d’une «pensée raisonnable», le parti majoritaire prend le risque de donner à la rue un pouvoir réservé aux urnes
Renoncer à un vrai grand parti de droite, républicain et proeuropéen, c’est aussi renoncer à l’exercice d’une opposition démocratique, à l’expression d’une diversité politique. La France peut-elle se réduire uniquement à une vision macroniste ou lepéniste de la vie politique? C’est là un danger non seulement pour la droite, mais également pour LREM. À vouloir être le représentant quasi exclusif d’une «pensée raisonnable», le parti majoritaire prend le risque de donner à la rue un pouvoir réservé aux urnes. On l’a vu avec les «gilets jaunes», quand quelques dizaines de milliers de manifestants ont fait douter le pouvoir et ont même réussi à le faire plier là où les oppositions parlementaires et syndicales n’y étaient pas parvenues. Car la politique comme la nature a horreur du vide. Et si le clivage droite-gauche a baissé en intensité, il a été remplacé par un autre qui, selon le politologue Jérôme Sainte-Marie, oppose un «bloc élitaire» à un «bloc populaire», entre les gagnants de la mondialisation et ceux qui en subissent les conséquences.
La rédaction vous conseille :
- Présidentielle 2002: Le Pen au second tour
- Présidentielle 2022: si loin, si proche pour Emmanuel Macron…
Journaliste
Rédacteur en chef au service politique du Figaro
Source:© L’acharnement à détruire LR est préjudiciable à la démocratie