
ANALYSE – Le ton menaçant du préfet trahissait une obsession de la verbalisation, comme si celle-ci était le seul outil de lutte contre l’épidémie.
L ’un parle avec la rigueur austère qui sied au préfet ; l’autre emploie ces formules simplistes et polémiques qu’affectionnent les politiques. Problème: les deux hommes ont échangé leur casquette… Sur TF1, jeudi soir, on a entendu Édouard Philippe rendre compte avec précision de la mise en œuvre des mesures contre le coronavirus ; refusant toute emphase et préférant ne pas répondre quand il ne savait pas. Dans les rues de Paris, on a vu vendredi le préfet de police, Didier Lallement, faire la leçon aux malades en réanimation, déclenchant une indignation compréhensible.
L’intéressé s’est très vite excusé de ses propos. Mais qui mieux qu’un préfet de ce niveau devrait se méfier de l’impact de propos à l’emporte-pièce? Cette maladresse n’en crée pas moins trois problèmes dont le pouvoir, en cette période, se serait volontiers passé.
Elle entretient l’image d’un préfet «récidiviste», d’abord. C’est le même qui avait rétorqué «nous ne sommes pas dans le même camp» à une «gilet jaune». Certes, sa mission l’oblige à la fermeté envers les débordements éventuels d’un mouvement, mais qu’un préfet se place dans un «camp» plutôt que de se poser en gardien de la nation tout entière était déjà maladroit. Car cette phrase et la conception «musclée» du maintien de l’ordre du préfet – en soi légitime – ont alimenté le discours de la gauche contre la tentation autoritaire supposée du pouvoir macroniste. Comme on pouvait s’y attendre, Jean-Luc Mélenchon ne s’est pas privé à nouveau de dénoncer «la face grimaçante du régime». Réplique injuste et excessive, mais il n’était pas très malin de tendre des verges pour se faire battre.
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Ensuite, cette sortie du préfet Lallement a eu lieu lors d’une opération de communication destinée à prévenir qu’aucune infraction au confinement ne serait tolérée alors que les vacances scolaires commencent. Là encore, faire respecter les règles est un devoir de l’État. Mais le ton menaçant du préfet trahissait une obsession de la verbalisation, comme si celle-ci était le seul outil de lutte contre l’épidémie. «En Allemagne, on distribue des masques, en France, on distribue des PV»: la formule n’est pas d’un antimacroniste primaire, mais d’un député de la majorité… Surtout, le coup de gueule du préfet – outre l’erreur de son assertion – mise sur la seule «peur du gendarme» pour forcer les citoyens à rester chez eux. Peut-on, comme le cherche l’autorité politique, solliciter la confiance des Français en leur lançant des paroles de défiance?
Enfin, le préfet de police est perçu par l’opinion comme appartenant au pouvoir en place. Or, depuis une semaine, l’exécutif s’efforce de restaurer une communication qui avait montré ses faiblesses dans les premiers temps de la crise. À force de transparence, de clarté, de pédagogie, mais aussi d’humilité, Édouard Philippe avait réussi à rendre son crédit à la parole publique. On en a eu une nouvelle démonstration jeudi sur TF1 – même si, sur l’après-crise, les inconnues sont nombreuses (la réforme des retraites, les impôts…). Philippe a dû réparer erreurs et dégâts venant non de l’ opposition mais des siens: les accusations de «mascarade» d’Agnès Buzyn, le procès en «défaitisme» intenté au BTP par Muriel Pénicaud, les cours de port du masque ou de récolte des asperges de Sibeth Ndiaye … Philippe avait réussi à rétablir cohérence et maîtrise de la parole gouvernementale. C’est dire si la bourde de Didier Lallement, même vite corrigée, tombe mal. Pour contrôler son expression aussi bien qu’il veut contrôler les citoyens, le préfet de police gagnerait à suivre les leçons du premier ministre.
Source:© La triple faute de Didier Lallement, un préfet maladroit