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La tapisserie de Bayeux, 70 mètres de long sur 50 centimètres de haut. – Crédits photo : S.Maurice/Musée de Bayeux

CHRONIQUE – La décision d’exposer la célèbre broderie outre-Manche suscite des remous. Les Britanniques, fascinés par ce chef-d’œuvre du XIe siècle, considèrent qu’elle appartient à leur histoire.

C’est une caisse de bois doublée de fer-blanc, avec à l’intérieur une grosse bobine de bois, fabriquée par Godefroy, menuisier à Bayeux. Elle se trouve encore dans les réserves, au Musée de la tapisserie, témoignage du rôle très politique joué par ce fragile monument pris en otage par les aléas de l’histoire.

C’est dans cet emballage de fortune que la longue toile de lin brodée à la fin du XIe siècle a effectué sa dernière excursion: les nazis, prétendant étudier scientifiquement l’objet, et qui étaient restés longtemps dans la ville pour l’expertiser, l’avaient emportée. Elle n’eut pas le temps d’aller jusqu’à Berlin. C’est la seule œuvre d’art que le général von Choltitz, qui le raconte dans ses Mémoires, avait ordre de sauver avant de brûler Paris. À la Libération, brièvement accrochée au Louvre avant de revenir en Normandie, elle fut acclamée, témoignage du passé victorieux de la France.

Elle avait survécu à la Révolution grâce à un homme courageux, Lambert-Léonard Le Forestier, qui s’était opposé à ceux qui voulaient en faire des toiles de bâche

C’était la seconde fois que «la tapisserie» venait à Paris après avoir failli périr. Elle avait survécu à la Révolution grâce à un homme courageux, Lambert-Léonard Le Forestier, qui s’était opposé à ceux qui voulaient en faire des toiles de bâche. En 1804, Dominique Vivant Denon, pour démontrer qu’envahir l’Angleterre était possible puisqu’on l’avait fait en 1066, avait exposé ce trésor dans ce qui s’appelait le Musée Napoléon, au Louvre. L’affirmation d’un lien mythique avec Mathilde de Flandre, femme de Guillaume et fille d’une princesse de France, qu’on n’imagine plus qu’une aiguille à la main, vint dans ces années de l’Empire renforcer la dimension nationale qui entoure la broderie.

Symbole politique

Les Britanniques considèrent pourtant qu’elle appartient à l’aventure de leur peuple. Charles Stothard, de la Société des antiquaires de Londres, venu la copier à Bayeux en 1816, en déroba un fragment, intéressante appropriation symbolique. La famille royale britannique reste très attachée à ce document fondateur. Charles et Diana, en 1987, se sont rendus à Bayeux. Les Spencer descendent-ils vraiment d’un des compagnons de Guillaume nommé le Despenser? Le prince de Galles offrit au musée un fac-similé du Domesday Book, le recensement des terres que les Normands s’étaient réparties en 1086, acte à l’origine de l’aristocratie britannique. En 2014, des brodeuses d’Aurigny, île Anglo-Normande voisine de Guernesey, reçurent la visite du prince de Galles, accompagné de Camilla. Devant les photographes, il a brodé lui-même une partie d’une étonnante recréation: des passionnés avaient imaginé la dernière scène de la tapisserie, qui manque à Bayeux: le couronnement de Guillaume à Westminster.

Par temps de Brexit, faire voyager ce chef-d’œuvre insigne, d’une extrême fragilité, montre à quel point sa signification demeure politique. La décision ne saurait appartenir au chef de l’État, s’agissant d’une œuvre dont la propriété a été attribuée au XIXe siècle à la bibliothèque de Bayeux. Il revient à Antoine Verney, conservateur en chef des musées de Bayeux, qui en a aujourd’hui la garde, et au comité scientifique qui ne manquera pas de se réunir, de décider si un voyage est envisageable à l’occasion d’une exposition qui pourrait se tenir au British Museum. Il faudra sans doute une autre caisse que celle qu’avait dû improviser le menuisier Godefroy…


Source:©  La tapisserie de Bayeux doit-elle voyager ?

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