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ENQUÊTE – La note «fuitée» de l’ambassadeur de France à Budapest, qui nuance le jugement à porter sur le premier ministre hongrois, régulièrement tancé par Bruxelles pour son penchant illibéral, a mis au jour une ligne de fracture au sein de la diplomatie française.

Drapeau français flottant à l’avant de sa jeep, l’ambassadeur de France en Géorgie Éric Fournier naviguait ce jour-là entre les colonnes de chars russes qui avançaient sur la route de Gori. En pleine guerre russo-géorgienne, son but était d’aller porter «un secours symbolique» à une base militaire située à Satchkere dans les montagnes du pays, base qui avait été équipée par la France. En ce mois d’août 2008, l’atmosphère était plus que volatile sur le front de la diplomatie française, en première ligne pour veiller au respect du cessez-le-feu que le président Sarkozy avait arraché à la Russie. L’ambassadeur Fournier avait eu vent de l’intention d’un bataillon tchétchène intégré aux forces russes d’aller détruire ladite base. «Nous n’allons pas rester les bras ballants», avait-il déclaré… À la nuit tombée, nous avions atteint Satchkere. Fournier fit hisser le drapeau français sur la base. «Ce soutien moral est capital», commenta, ému, le commandant Tarel Tarakadzé à propos du geste «d’artagnanesque» de l’ambassadeur.

Éric Fournier, alors ambassadeur de France en Géorgie, en mai 2008. – Crédits photo : Stringer Russia/REUTERS

Dix ans plus tard, l’ambassadeur Éric Fournier – qui est passé par la direction de l’Europe continentale, où il a géré le dossier russe avec un «réalisme» que ses anciens amis géorgiens ont jugé trop complaisant – est de retour sous les feux médiatiques.

Mais cette fois, il ne s’y attend pas. Alors qu’il prépare son départ de Budapest, où il est ambassadeur depuis trois ans, un article sort dans Mediapart le 29 juin, reprenant une dépêche diplomatique confidentielle qu’il a rédigée et qui a visiblement fuité via un collègue mal intentionné. «L’ambassadeur de France en Hongrie soutient Viktor Orban», titre le site en ligne Mediapart, citant des extraits de cette note confidentielle qui vise à s’interroger sur la «magyarophobie» qui colorerait la couverture médiatique des évènements en Hongrie. Fournier y balaie les accusations «d’antisémitisme» et de «populisme» qui pèse sur le gouvernement Orban, affirmant que la Hongrie est «comme le Real Madrid de l’Europe», parce qu’elle a été la première à construire une frontière étanche, et «passe», de ce point de vue, «pour un modèle», aux yeux d’un nombre croissant de pays.

Soutien à la culture juive

Le texte, que Le Figaro a pu consulter, fait la part belle au gouvernement Orban et ne se penche pas sur la question des attaques contre les contre-pouvoirs, ce qui l’affaiblit. Mais il est moins caricatural que ce que Mediapart en retient. Fournier apporte des éléments de réflexion intéressants sur la nature et la réalité de «l’antisémitisme hongrois», qui permettent de nuancer la doxa dominante sur la Hongrie, à savoir celle d’un pays dérivant inexorablement vers une dictature fascistoïde digne des années 1930. Le fond de l’air n’est pas brun, affirme-t-il, estimant que la campagne hongroise anti-Soros (magnat américain d’origine hongroise dont l’ONG vient de déménager à Berlin après l’adoption d’une loi la visant en Hongrie) est liée à son plaidoyer en faveur des frontières ouvertes et non au fait qu’il soit juif. Il cite à l’appui de sa démonstration la «tolérance zéro» proclamée par Orban envers l’antisémitisme, et son soutien à la culture juive. Il évoque le point de vue du Nobel Imre Kertesz, rescapé d’Auschwitz qui affirmait se sentir tout à fait libre d’être juif en Hongrie. Fournier remet aussi la décision hongroise d’insérer une référence chrétienne dans la constitution dans son contexte historique, notant que cela n’empêche pas la Hongrie d’être laïque.

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Mais Mediapart, qui n’a pas du tout la même indulgence «pour l’obsession chrétienne» d’Orban, a beau jeu de mettre en exergue la conclusion peu diplomatique et déplacée de Fournier, sur le fait que «le nouvel antisémitisme moderne» ne se situe pas en terre hongroise mais chez «les musulmans de France ». «Ce qui choque c’est la stigmatisation d’une communauté dans son ensemble», juge Agnès von der Mühll, porte-parole du Quai d’Orsay.

«Méthode d’intimidation»

Du coup, le 29 juin au matin, quand la journaliste de Mediapart demande à Emmanuel Macron de commenter les propos de son ambassadeur à Budapest, le président, qui vient de négocier toute la nuit un accord sur la migration à 27 pays, est coupant: «Je ne partage pas les propos que vous venez de rapporter», répond-il à propos du télégramme de Fournier, et notamment de la phrase relative aux musulmans, notant que si elle avait été prononcée publiquement, l’ambassadeur aurait «été immédiatement révoqué». «Le jeu non coopératif nationaliste n’est pas digne de ce qui a fait l’Europe, née des errements des derniers conflits mondiaux. Mais il est en plus profondément inefficace», ajoute-t-il, notant toutefois que la dépêche de Fournier n’avait pas vocation à être publiée et qu’il n’a donc pas à être sanctionné.

Au Quai d’Orsay, on ajoute que «les propos auxquels fait référence l’article de Mediapart relèvent d’un commentaire non sollicité et malvenu de son auteur auquel il a été fermement rappelé la nécessité d’une expression précise et mesurée». L’ambassadeur, dont le retour se fait dans le cadre d’une rotation normale, est finalement sommé de rallier Paris, avant la fête du 14 juillet, qu’il devait organiser à Budapest. Une manière de le punir, déplore le ministre de la Justice hongrois Laszlo Trocsanyi, précisant qu’il a, du coup, décidé de ne pas être présent.

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Quand on essaie de sonder les diplomates français sur l’épisode Fournier, plusieurs éléments ressortent. Le premier est que l’ambassadeur s’est égaré et s’est livré à un panégyrique dangereux d’Orban. «Il ne comprend rien, déclare un spécialiste de la région qui le juge “peu fiable”, un jour prêt à manger du russe, et le lendemain le contraire.» «Ne pas voir qu’Orban instrumentalise l’antisémitisme hongrois dans l’affaire Soros, c’est nier l’évidence!» À l’inverse, un autre ambassadeur qui «l’apprécie», n’a «pas de critique à formuler», «si ce n’est la conclusion sur les musulmans français, qui a un côté suicidaire». «Le fait de fuiter un télégramme est une méthode d’intimidation», précise-t-il, regrettant «la liberté de ton du passé et la montée en puissance d’une ligne néoconservatrice sur les “valeurs libérales”, qui nuit à “l’école réaliste”».

«Le fait de fuiter un télégramme est une méthode d’intimidation»

Un troisième poids lourd de la diplomatie juge «justifiée la volonté d’expliciter les ressorts du succès d’Orban», mais met en garde contre «le syndrome de Stockholm» qui pousse parfois les diplomates à devenir les apologues des pays qu’ils décrivent. L’évolution de la Hongrie exige «une vigilance extrême» sur la question des écarts démocratiques qui «vont croissant», dit-il, préoccupé par le «rétrécissement des libertés civiques, notamment la loi sur les ONG, qui dessine une dérive à la russe». Il s’inquiète aussi de la virulence des critiques adressées à l’UE par Orban. «On finit par se demander pourquoi il reste!»

Derrière ces réactions, un vrai «sujet» émerge. Celui de la perplexité et des désaccords qui déchirent la France et l’Europe sur la manière dont il faut gérer le phénomène Orban, et au-delà, la rébellion populiste qui défie l’UE. De manière peut être un peu maladroite, le texte de Fournier s’efforce de faire passer l’idée que la lecture de la réalité hongroise doit être moins binaire, note la journaliste Françoise Pons, auteur d’un livre sur la Hongrie qui veut prendre en compte le temps long pour éclairer le présent politique. Pons s’insurge contre une couverture médiatique à charge, qui s’informe exclusivement auprès des milieux libéraux de gauche. «On s’émeut aujourd’hui que les pouvoirs conservateurs veuillent mettre sous contrôle les institutions, mais c’était la même chose avec les anciennes équipes libérales de gauche», dit-elle, estimant que «les critiques systématiques formulées sont aussi le résultat d’un grand déficit de connaissance». Pons raconte s’être rendue à la Commission de Venise de l’UE, chargée de vérifier le caractère démocratique des lois, à l’occasion d’une session sur la loi hongroise sur la liberté religieuse, de 2012, alors très critiquée. Elle fut sidérée de voir le rapporteur énumérer une longue liste d’objections avant de conclure que la loi restait «très généreuse», puis de concéder, en aparté, qu’elle «figurait parmi les deux ou trois lois les plus libérales d’Europe».

«Examen de conscience du PPE»

Lors d’une récente conférence organisée à Berlin la semaine dernière par le German Marshall Fund sur l’avenir du conservatisme en Europe, nombre d’orateurs ont eux mis en garde contre la confusion des critiques qui pleuvent sur la Pologne et la Hongrie. Confondre les atteintes à la démocratie, qu’il faut combattre pied à pied, et la défense des valeurs traditionnelles ou de la souveraineté nationale en matière d’immigration – choix idéologiques qui appartiennent en dernier recours au peuple – est un piège à éviter, a noté l’Américain Jeff Gedmin. La conférence a passé beaucoup de temps à réfléchir sur les thèmes qui devraient être «interdits», et ceux dont les partis de droite devaient se saisir pour voler l’initiative aux populistes. «C’est exactement l’examen de conscience auquel va devoir faire face le PPE, à l’approche des élections européennes», a noté un diplomate, soulignant que le maintien ou non d’Orban au sein de ce groupe parlementaire, était LA question du moment. A priori, une expulsion paraît plus qu’improbable car l’Europe «s’orbanise», a-t-il noté.


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Laure Mandeville 

Journaliste

Source :© La diplomatie française divisée face au cas Viktor Orban

0 Comments

  • Disraeli
    Posted juillet 6, 2018 1h34 0Likes

    Ne pas oublier qu’en matière d’islam, la Hongrie a été occupée par l’Empire ottoman pendant plus d’un siècle et que cela n’a pas laissé de très bons souvenirs.

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