[perfectpullquote align=”full” bordertop=”false” cite=”” link=”” color=”” class=”” size=””]CHRONIQUE – Déficits, chômage, dettes: la France est particulièrement vulnérable.[/perfectpullquote]
L’économie française pourrait-elle atteindre une croissance de son sacro-saint PIB de 2,8% en 2018? Aucun institut de conjoncture, pas plus que le FMI ou l’OCDE, n’envisage certes une telle performance qui serait sans précédent depuis l’an 2000. Ce chiffre résulte de l’enquête mensuelle sur «le sentiment économique» menée courant janvier par la Commission européenne auprès des consommateurs et des chefs d’entreprise.
Ces derniers ne s’expriment bien sûr pas en «taux de PIB». Mais il est classique de convertir les données d’enquêtes d’opinion auprès des ménages et des patrons («soft data», données subjectives, dans le jargon) en «hard data», c’est-à-dire en chiffres de croissance. «Par pays, les indices de sentiment économique suggèrent une croissance en 2018 de 3,8% en Allemagne, 2,8% en France, 2,6% en Italie, et 4% en Espagne», explique Laurence Boone, la chef économiste du groupe Axa. Pour sa part, elle retient une prévision de 2,3% pour la France cette année, ce qui admet-elle est bien au-dessus du consensus de la profession (1,8%) réputée pour un certain conservatisme.
Les économistes, gens de réflexion plus que d’action, sont en général collectivement moins allants que les patrons d’entreprise quand les choses vont bien et en revanche moins noirs dans les phases baissières. Sans conteste, «l’Europe vit actuellement la plus forte reprise du siècle, on pourrait même dire du millénaire, puisque l’un et l’autre n’ont pas vingt ans!», observe un haut responsable de la politique économique au sein des institutions européennes.
L’optimisme est général, investissement des entreprises, bâtiment, moral des ménages, intentions d’embauche, etc., tant dans la zone euro qu’en France. On serait tenté de ressortir l’expression, «tous les indicateurs sont au vert», si ce n’est qu’elle porte malheur (Pierre Mauroy à Matignon, 1983, Thierry Breton à Bercy, 2006).
Mais de quoi parle-t-on? D’une «reprise cyclique», selon le rythme d’alternance des marées montantes et descendantes? Et elles auront été particulièrement violentes cette fois, avec la «grande récession» de 2009 où le PIB français avait chuté de 2,9 %. Ou s’agit-il au contraire d’une vague de fond d’expansion auto-entretenue comme la France et l’Europe en ont connu pendant les Trente Glorieuses de l’après-Seconde Guerre mondiale?
À l’évidence, c’est la première hypothèse qui est la bonne. Certes l’économie américaine vit aujourd’hui la troisième reprise la plus longue de son histoire (depuis un siècle et demi qu’il existe des mesures), soit 103 mois, le début remontant à juillet 2009. Quant à la zone euro, elle en est à son 18e trimestre consécutif de croissance, rappelait le mois dernier Mario Draghi, le président de la BCE, qui s’en attribue une part de la paternité.
Pourtant personne n’imagine que les arbres montent jusqu’au ciel. «Le prochain retournement à la baisse pourrait intervenir plus vite que prévu et s’avérer plus difficile à combattre», a même osé prédire fin janvier Maurice Obstfeld, le chef économiste du FMI en présentant à Davos ses nouvelles prévisions particulièrement fastes avec un taux de croissance mondiale de 3,9 % en 2018 et en 2019.
L’inflation, au confluent de l’économie réelle et de la finance
Les experts sont dans leur rôle quand ils lancent des mises en garde. À l’instar du Docteur Knock considérant que «la santé est un état précaire», les économistes ont une raison de fond de s’inquiéter: ils savent pertinemment que les rythmes actuels dépassent les taux de croissance potentielle de moyen terme que l’OCDE et le FMI évaluent par exemple entre 1 % et 1,5 % pour la France. Ce concept, quelque peu théorique pour les non-spécialistes, ne relève pas d’une observation comptable (comme pour le PIB) mais d’une analyse consistant à évaluer les capacités productives en hommes et en équipements.
C’est le bon sens même: une économie nationale ne saurait progresser longtemps plus que son outil de production ne lui permet. En Allemagne, et même en France malgré le chômage, les entreprises éprouvent désormais de plus en plus de difficultés à trouver de la main-d’œuvre compétente. Outre-Rhin, cela nourrit les revendications et les journées de grève de l’IG Metall dans la métallurgie.
Le signe le plus tangible des contraintes susceptibles de brider la croissance est l’inflation. Et cet indicateur est d’autant plus suivi qu’il est au confluent de l’économie réelle et de la finance, de Main Street et de Wall Street. Ainsi vendredi dernier l’annonce par le département du Travail que le salaire horaire moyen avait progressé de 2,9 % en un an outre-Atlantique, plus que prévu, a été un coup de semonce. La résurgence des craintes d’inflation et la remontée des taux d’intérêt dans la foulée ont immédiatement fait chuter l’indice phare de la Bourse de New York, le Dow Jones, de 2,58 % ce 2 février (recul sans précédent depuis septembre 2015).
Voilà qui campe bien la conjoncture économique et financière présente. «L’alternative pour 2018 est soit un ralentissement prochain de la croissance évitant l’accélération des tensions, soit la poursuite d’une croissance au-delà du potentiel, l’augmentation des tensions sur les marchés des biens et du travail et des déséquilibres financiers», résume Michel Didier, président de l’institut de conjoncture COE-Rexecode.
Le sentiment d’euphorie économique qui règne en Europe est sans doute grisant, mais on avance sur une corde raide. L’avertissement vaut tout particulièrement pour la France qui n’a pas su «réparer son toit quand il fait beau», selon l’expression du président John Kennedy et reprise maintenant par Christine Lagarde en tant que directrice du FMI. L’ampleur des deux déficits (budgétaire et commercial), le niveau du chômage et l’endettement de l’État, des entreprises et des ménages, qui se sont tous gorgés de crédits à taux bradés, nous rendent très vulnérables.
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Source:© Jean-Pierre Robin: «L’euphorie économique débridée, dernière station avant la crise financière»