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Pour Philippe Oriol , spécialiste de l’affaire Dreyfus, le scénario du coscénariste du film de Polanski va devenir la référence pour le grand public.

Auteur notamment de l’ouvrage de référence L’Histoire de l’Affaire Dreyfus de 1894 à nos jours (Belles Lettres), Philippe Oriol vient de publier un ouvrage éclairant sur le colonel Picquart, héros du film de Polanski, Le Faux Ami du capitaine Dreyfus (Grasset).

LE FIGARO. – Quelle appréciation portez-vous sur le film?

PHILIPPE ORIOL. – C’est l’œuvre d’un grand réalisateur, avec une reconstitution remarquable du Paris historique, sans erreur anachronique. Et une excellente interprétation, Grégory Gadebois en tête: il est exactement comme j’imagine le capitaine Henry depuis trente ans. Pour moi, le problème c’est Robert Harris, romancier et coscénariste. Il a fait un excellent roman populaire qui a un seul défaut, parler de l’affaire Dreyfus. Le grand public lit peu, et son scénario va devenir la référence. Harris a pris des libertés avec l’histoire qu’on retrouve dans le film. Ce ne serait pas grave s’il n’était dit au début que les faits sont vrais et tous les personnages réels.À lire aussi : «J’accuse»: le parfum d’une leçon à l’ancienne signée Polanski

Quels sont les écarts les plus flagrants?

Dans le film, Picquart commence à douter de la culpabilité de Dreyfus dès le début. Dans la réalité, il a mis du temps à croire à son innocence, au point qu’en découvrant Esterhazy, il pense d’abord que tous les deux sont complices. Picquart ne s’engagera vraiment qu’en 1898, parce qu’il a appris que la famille Dreyfus enquêtait de son côté. Son raisonnement est inspiré par le souci de l’honneur de l’armée: si la famille découvre Esterhazy, elle aura beau jeu d’accuser les autorités militaires de l’avoir dissimulé, alors que si la révélation vient de l’armée, qui reconnaît son erreur, elle s’en sortira tête haute. Ce qu’il ignore, c’est que tous ses supérieurs sont compromis. De sorte qu’on l’éloigne de Paris en l’envoyant en Tunisie dans une zone dangereuse. Il a le choix alors entre sa conscience et son uniforme, comme le dit Clemenceau. Et il choisit l’uniforme. Il ne brise pas son épée, et garde le silence en espérant rentrer en grâce, tout en se protégeant des menaces qui pèsent sur lui. Il aurait pu alors transmettre ses informations à la famille Dreyfus, mais il n’en fait rien. S’ensuit une situation extrêmement compliquée jusqu’à ce qu’il parle, en 1898. Il n’est donc pas le héros intrépide défenseur de la justice et de la vérité, que montre le film. Pour moi qui suis un tenant de l’histoire «historienne» plutôt que «mémorielle», le Picquart réel, avec ses ambiguïtés, est mille fois plus intéressant qu’un héros fabriqué.À lire aussi : L’affaire Dreyfus racontée en podcast, épisode 1: «Un coupable idéal»

«L’affaire Dreyfus renvoie à l’holocauste, et Picquart est la meilleure illustration d’un juste», a dit le producteur Alain Goldman. Que pensez-vous de cette assimilation au nazisme?

Il n’y a pas eu d’autodafé du «J’accuse!» de Zola, là le film va un peu loin. Mais il y a eu des vitrines brisées, et une situation pré-pogromique. C’est en Algérie que les troubles ont été le plus violents, provoquant même des morts. En France, il n’y a pas d’antisémitisme politique mais il existe un antisémitisme de société. Les gens qui ont défendu Dreyfus parce que juif, comme Bernard Lazare, sont rares, et nombre de juifs ne s’engagent pas ouvertement pour éviter de mettre cette dimension en avant. La plupart des dreyfusards défendent la vérité, et, chez les antidreyfusards, on trouve beaucoup de républicains conservateurs dont les positions ne sont pas déterminées par l’antisémitisme. Quant à Clemenceau, il se fiche que Dreyfus soit coupable ou innocent. Ce qu’il n’admet pas, c’est l’illégalité qui entache ce procès. Picquart pour sa part est un antisémite «de peau», selon la formule de Sartre, baigné dans les écrits de Drumont. Il n’a jamais voulu rencontrer Dreyfus. Et devenu ministre, il refuse de le rétablir dans tous ses droits, alors qu’il le pourrait. C’est la dernière scène du film, mais elle reste assez incompréhensible, faute de contextualisation.La rédaction vous conseille



Source:©J’accuse: «Harris a pris des libertés avec l’Histoire»

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