PORTRAIT – Le président italien Mattarella a confié à ce juriste novice en politique le soin de former un gouvernement.
Giuseppe Conte a fait un pas de plus vers la présidence du Conseil italien. Ce juriste, choisi par le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue pour diriger l’Italie, n’a certes pas encore été nommé par le président Sergio Mattarella. Convoqué mercredi en fin d’après-midi au Quirinal, l’Élysée italien, il s’est vu confier la formation d’un gouvernement et d’un programme, une étape fondamentale vers le pouvoir. Arrivé modestement en taxi, Giuseppe Conte, à l’issue d’un entretien de presque deux heures avec le président, un temps anormalement long, a sobrement déclaré avoir accepté la «mission» que le président lui avait confiée. «Je ferai un gouvernement de changement, qui représentera totalement les attentes du peuple italien», a-t-il promis, ajoutant: «Je m’attacherai à confirmer les orientations européennes et internationales de l’Italie.»
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Giuseppe Conte doit maintenant, selon l’usage, revenir dans les jours prochains pour soumettre un projet de gouvernement au président qui, s’il est accepté, le propulsera à la tête du Conseil. Il lui faudra ensuite obtenir la confiance de la Chambre, sans doute mardi ou mercredi prochain. Le choix des ministres n’est pas pour autant une simple formalité. Tout en étant silencieux, le président a laissé filtré qu’il s’opposerait à la nomination de certaines personnalités trop europhobes. «Il faut être prudent. Il va y avoir des tractations. Le temps pris par Mattarella pour le convoquer laisse quand même deviner ses résistances, ses hésitations et ses questions», souligne Hervé Rayner, professeur de sciences politiques à l’université de Lausanne.
Face à ce souriant novice, la presse italienne s’est empressée d’enquêter. Elle a sorti le portait d’un personnage charmant et aimé de ses étudiants comme de ses collègues
Le chef de l’État semble sur ce point à l’unisson de son peuple. À 53 ans, Giuseppe Conte peut se prévaloir de la mèche brune et du costume impeccable qui s’imposent aux hauts responsables transalpins. Mais au-delà de cette allure parfaite, il reste un parfait inconnu pour l’immense majorité des Italiens. Professeur de droit privé à l’université de Florence, associé dans un cabinet d’avocats à Rome, le «professore» Conte n’a jamais été élu et n’a même jamais eu la moindre fonction politique. «C’est quelqu’un qui pour l’instant est sans épaisseur, un homme comme il en existe des milliers en Italie. Il n’a même pas été doyen», explique Christophe Bouillaud, professeur à Sciences Po Grenoble, tout en soulignant que la qualité d’universitaire est toutefois bien vue en Italie. «Il est l’équivalent d’un énarque ou d’un conseiller d’État en France», continue-t-il.
Face à ce souriant novice, la presse italienne s’est empressée d’enquêter. Elle a sorti le portait d’un personnage charmant et aimé de ses étudiants comme de ses collègues, d’un père divorcé proche de certains évêques, adepte du culte de Padre Pio, mais guère plus. Ses rares mots, où il confessait un passé avec le cœur au centre gauche, ne sont pas plus éclairants. «On ne connaît même pas ses opinions politiques aujourd’hui. Il est sans doute eurosceptique. Mais à quel point…», déplore Alfio Mastropaolo, politologue de l’université de Turin. Le M5S, dont il est issu, l’avait sorti de l’ombre, il y a quelque mois, en faisant de lui un potentiel ministre chargé de «débureaucratiser» l’Italie. Une tâche certes lourde dans un pays englué dans une administration tatillonne, mais très légère au regard de celle de président du Conseil.
«La Constitution lui offre de vrais pouvoirs en tant que président du Conseil. Mais cela dépend surtout de son caractère et de sa capacité à s’imposer. Or c’est précisément ce qu’on ignore»
Les interrogations s’accumulent donc sur la capacité de cet «homo novus» à réellement avoir la main sur un gouvernement où devraient figurer les poids lourds de la coalition, à commencer par les chefs du M5S et de la Ligue, Luigi Di Maio et Matteo Salvini. Les éditoriaux et ses opposants le vouent à être une simple marionnette, un honnête paravent pour les inévitables tensions à venir dans cette union improbable. «La Constitution lui offre de vrais pouvoirs en tant que président du Conseil. Mais cela dépend surtout de son caractère et de sa capacité à s’imposer. Or c’est précisément ce qu’on ignore, analyse Alfio Mastropaolo. La composition du gouvernement nous permettra d’en savoir un peu plus.»
«La situation est inédite», concède Giovanni Orsina de l’université Luiss, à Rome. Si l’Italie a bien connu des chefs de gouvernement technocrates, tous étaient des personnalités bien installées dans le paysage italien, dotées de solides carnets d’adresses. «Conte est d’autant plus inattendu que la Ligue et le M5S avaient fait de ces technocrates leurs têtes de Turcs depuis des années», remarque Hervé Rayner. Et la seule connexion politique connue de Giuseppe Conte est Maria Elena Boschi, une conseillère de Matteo Renzi, régulièrement accablée par les liguistes.
Le M5S a néanmoins mis en avant le plantureux curriculum de Conte, où figurent la plupart des universités prestigieuses de la planète, de New York à Yale et la Sorbonne, pour justifier ce choix. Les ombres dessinées par la presse sur ce parcours – l’université de New York a nié l’avoir eu comme étudiant ou enseignant – n’y ont rien changé. Les responsables du M5S, Luigi Di Maio en tête ou le fondateur de mouvement, Beppe Grillo, lui ont confirmé leur «soutien», parlant de «ragots malfaisants», signes «de la putréfaction des castes», avant d’augmenter la pression sur le chef de l’État. «Le président a prêté serment de fidélité à la République et aux citoyens […]. Il y a une majorité, qu’aime ou n’aime pas Mattarella, mais qui représente la majorité des Italiens», a martelé Alessandro Di Battista, un député M5S. «Soit on y va et on change les choses, soit on retourne aux urnes», a lâché Matteo Salvini.
«Ils se sont montrés fermes sur leur choix et ça conforte considérablement Conte. Il est sans doute le point d’équilibre dans l’équilibre instable qu’est l’alliance entre le Ligue et le M5S. Dès lors, Mattarella n’avait plus le choix», note Francesco Pallante, professeur de droit à Turin. Comme bien des observateurs, il n’exclut pas pour autant un rebondissement. La formation d’un gouvernement et l’élaboration d’un programme acceptable par tous sont autant d’écueils sur lesquels Giuseppe Conte pourrait se fracasser.
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Source:© Italie : Giuseppe Conte, l’«antisystème» au pouvoir