
Treize personnes ont été tuées dans les manifestations de mécontentement populaire qui touchent le pays.
Malgré l’appel au calme lancé par le président de la République, Hassan Rohani, les manifestations ont continué dimanche et lundi à travers une dizaine de villes d’Iran. Et après cinq jours de troubles, le bilan des morts s’alourdit, sous l’effet du recours aux armes.
Dimanche soir, selon la télévision d’État et d’autres médias, six personnes ont péri à Toyserkan, une ville à l’ouest de Téhéran, et quatre sont mortes à Izeh (Sud-Ouest) et Doroud (Ouest). Les morts de Toyserkan seraient dus à des «tirs suspects», selon la télévision qui affirme que les forces de l’ordre ne tirent pas sur les manifestants. Elle accuse «des contre-révolutionnaires» armés d’avoir infiltré les protestataires. À Izeh, les deux manifestants tués par balles l’ont été, sans que l’on sache l’origine des tirs. Selon un site internet de la télévision d’Etat, un policier iranien a en outre été tué et trois autres blessés par des tirs d’arme de chasse à Najafabad (centre).
À Téhéran, la police a utilisé du gaz lacrymogène et des canons à eau pour disperser dimanche soir un petit groupe de manifestants qui scandaient des slogans hostiles au pouvoir dans le quartier de l’université. Lundi, de nombreux policiers étaient déployés près de la place de la Révolution à Téhéran, selon le témoignage de Ahmad, un habitant de la capitale, joint au téléphone. Ailleurs, selon des vidéos mises en ligne par les médias iraniens et les réseaux sociaux, les manifestants ont attaqué et parfois incendié des bâtiments publics, des centres religieux et des banques ou des sièges du Bassidj (milice islamique du régime). Au total, 400 personnes ont été arrêtées, dont la moitié à Téhéran.
Face à cette fronde naissante, le régime répond par un mélange de mises en garde, de blocage des messageries Telegram et Instagram, utilisées pour appeler à manifester, et une répression, jusque-là, très limitée. Mais jusqu’où la contestation ira-t-elle?
Silence du guide suprême
Cette vague de colère gêne le président Rohani, réélu en mai sur la promesse d’apporter un mieux-vivre à la population grâce aux retombées de l’accord nucléaire, signé en 2015 entre Téhéran et les pays occidentaux. Mais deux ans après, les Iraniens n’ont pas goûté aux dividendes de l’accord. Le chômage reste élevé et l’inflation galopante. Ce qui fait le jeu des ultraconservateurs, qui seraient derrière les premières manifestations de Machhad, fief de son adversaire malheureux au scrutin présidentiel, le religieux Ebrahim Raissi. Sur la corde raide, Rohani a dû hausser le ton lundi, affirmant que «le peuple répondra aux fauteurs de troubles et hors-la-loi». Il n’a pas hésité à qualifier les protestataires de «petite minorité qui insulte les valeurs sacrées et révolutionnaires». Pourtant, la veille, le président, apprécié par de nombreux jeunes, avait reconnu que son pays devait fournir «un espace» pour que la population puisse exprimer ses «inquiétudes». Mais dans le même temps, le ministre de l’Intérieur, Abdolreza Rahmani, menaçait ceux qui «agissent dans l’illégalité».
Le guide suprême et détenteur des principaux pouvoirs, l’ayatollah Ali Khamenei, se tait face à un mouvement d’un genre nouveau, qui n’est pas récupéré par le camp réformateur, d’ordinaire partisan d’une libéralisation accrue. Cette fronde sociale ne ressemble, en effet, en rien aux protestations de 2009, déclenchées par l’élection truquée du populiste, Mahmoud Ahmadinejad. En 2009, les rassemblements s’étaient concentrés à Téhéran. Cette fois, ils visent une dizaine de villes. Mais alors qu’en 2009, plus d’un million d’Iraniens en colère descendaient dans les rues de la capitale, ils ne sont aujourd’hui que quelques milliers à travers le pays. Et sans leader, contrairement au «Mouvement vert» décapité, après 2009, par une répression féroce.
L’appel de Donald Trump
«C’est un peu compliqué de comprendre ce qui se passe», reconnaît Bijan, un jeune cadre, avide de réformes, qui a voté Rohani, mais s’abstient de manifester. «Je peux comprendre les gens en colère à cause des difficultés économiques, mais il n’y a pas seulement ça. On a bien vu qu’au début à Machhad, ce sont des partisans de Raissi ou d’Ahmadinejad qui ont manifesté. En tant que réformateur, je ne défends pas ce mouvement.» Les conservateurs de Machhad, qui ont allumé la mèche, se sont-ils fait rapidement déborder? C’est probable lorsqu’on entend des slogans comme «Mort au dictateur» ou «A bas la République islamique».
«Même si certains déçus de Rohani manifestent ces derniers jours, analyse l’expert irano-américain, Trita Parsi, le noyau dur des protestataires vient d’ailleurs. Ce sont des gens, ajoute-t-il, qui ne votent plus, ne croyant plus que le système puisse être réformé, auxquels il faut ajouter tous ceux désespérés par les problèmes économiques». Ces dernières semaines, des mouvements de protestation ont éclaté à Tabriz de la part de fabricants de tracteurs mécontents de la fermeture de leur usine, mais aussi dans le secteur pétrolier pour des retards de paiement. Cette colère rampante n’a fait qu’augmenter avec l’effondrement des sociétés de crédit qui a affecté des millions d’investisseurs.
«Je ne suis pas surpris, confie à l’AFP, Mojtaba Moussavi, un autre analyste, basé à Téhéran. Nous avons eu ces deux dernières années des défilés dans la rue contre les banques. Tout le monde dit que les manifestants viennent des classes défavorisées mais de nombreux manifestants font partie de la classe moyenne, qui a perdu beaucoup de ses avoirs.»
Bref, une grogne sur laquelle planent encore de nombreuses incertitudes. Va-t-elle durer? Oui, selon la Prix Nobel de la Paix, Shirin Ebadi, exilée à Londres. «Non, car les manifestants ne sont pas très nombreux», répond Bijan, le cadre à Téhéran. Iront-ils jusqu’à suivre Donald Trump, qui a appelé à «un changement de régime»? Rien n’est moins sûr. Et Hassan Rohani pourrait en profiter dans son bras de fer pour davantage d’ouverture. Mais une chose est sûre, selon Bijan: «La répression se durcira, si les manifestations durent, car le régime n’est pas uni face aux protestations.»
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Source: Iran : colère mortelle contre le régime