ChatGPT, le générateur de textes d’OpenAI, met en lumière le recours croissant aux IA dans de nombreux corps de métier. Si certains font avec l’émergence de ces nouveaux outils, d’autres s’opposent à leur adoption.
Vous pouvez partager un article en cliquant sur les icônes de partage en haut à droite de celui-ci.
La reproduction totale ou partielle d’un article, sans l’autorisation écrite et préalable du Monde, est strictement interdite.
Pour plus d’informations, consultez nos conditions générales de vente.
Pour toute demande d’autorisation, contactez [email protected].
En tant qu’abonné, vous pouvez offrir jusqu’à cinq articles par mois à l’un de vos proches grâce à la fonctionnalité « Offrir un article ».
https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/01/21/intelligence-artificielle-illustrateurs-codeurs-et-traducteurs-deja-bouscules-par-cette-technologie_6158756_4408996.html?random=1058896422
ChatGPT est, techniquement, un prodige : ce service proposé par la société OpenAI est capable de produire des textes avec une syntaxe si sophistiquée et avec des variations si nombreuses qu’il est difficile de différencier ces créations de textes écrits par des humains. Cependant, ChatGPT n’est que la dernière manifestation d’une évolution technologique vieille de plusieurs années.
De plus en plus de secteurs sont confrontés à l’émergence de ces outils d’intelligence artificielle (IA) qui, après avoir étudié des milliards de fragments de phrases, d’images ou de codes informatiques, sont capables d’accomplir des tâches qu’on aurait crues, il y a encore quelques années, inaccessibles à la machine. Cette évolution ne se fait pas sans heurt ni questionnements.
Illustration automatisée
Stable Diffusion, Midjourney ou DALL-E sont les derniers-nés du secteur : apparus en 2022, ces services permettent de transformer une courte phrase ou quelques mots-clés en une image représentant, avec une justesse parfois surprenante, les objets ou représentations demandés par l’utilisateur. De nombreuses tâches autrefois dévolues aux illustrateurs deviennent accessibles à des personnes ne disposant pas de compétences en dessin mais qui, en revanche, ont appris à maîtriser l’art du « prompt », c’est-à-dire la capacité à produire des instructions envoyées à la machine pour lui permettre de créer une image de toutes pièces.
Depuis quelques mois, on voit ainsi fleurir des projets de bandes dessinées réalisées entièrement grâce aux IA, des prototypes de jeux vidéo ou encore des couvertures de livre. Au mois d’octobre 2022, la banque d’images Shutterstock a ainsi annoncé un partenariat avec OpenAI, afin de proposer directement sur sa plate-forme des fonctionnalités de génération automatique d’illustrations grâce à l’IA.
Ombremonde, illustrateur membre du Syndicat des travailleurs artistes-auteurs (STAA) CNT-SO, se souvient de ses premières impressions face à ces nouveautés : « Au début, beaucoup trouvaient ça plutôt cocasse. On s’amusait un peu avec. Mais, quand les artistes ont commencé à comprendre que ces services utilisaient leurs œuvres, cela a suscité de nombreux débats. »
Au-delà des initiatives individuelles et des appels au boycott, une action collective a ainsi été ouverte, le 13 janvier 2023 aux Etats-Unis, par un groupe d’auteurs et d’artistes contre Stable Diffusion, accusé d’avoir entraîné son modèle sur des images sans avoir obtenu le consentement de leurs auteurs. A moyen terme, certains illustrateurs redoutent qu’une partie de leur travail ne soit déléguée à des machines. « Je crains qu’à l’avenir nous soyons dépossédés de notre travail, s’inquiète Ombremonde. Par exemple, qu’on nous demande de plus en plus de corriger des images générées par intelligence artificielle. »
Assistant ou remplaçant ?
Une préoccupation qui est déjà une réalité dans d’autres secteurs, comme celui du développement informatique. En 2021, la société de développement collaboratif GitHub, propriété de Microsoft, a ainsi annoncé le lancement de Copilot, un outil fondé sur les technologies d’OpenAI. Bien plus élaboré que les outils de complétion automatique du code existants, il vise à accompagner les développeurs dans leur production quotidienne, en leur suggérant du code informatique. Cela commence à ressembler à une vraie remise en question du métier de développeur informatique : si une machine produit automatiquement du code de qualité, pourquoi se fatiguer à apprendre un langage de programmation ?
Une angoisse que balaie Ryan J. Salva, vice-président gestion de produit chez GitHub : « Nous ne nous attendons pas à ce que Copilot remplace les développeurs. Au contraire, nous souhaitons qu’il les assiste, augmente leurs capacités et leur productivité, réduise les tâches manuelles et les aide à se concentrer sur les aspects les plus intéressants de leur travail. » GitHub se félicite d’ailleurs de l’adoption de l’outil sur sa plate-forme : « Dans les fichiers où Copilot est activé, près de 40 % du code est écrit par Copilot dans des langages de programmation populaires tels que Python. Au cours des cinq prochaines années, GitHub prévoit que ce taux augmente jusqu’à 80 %. »
Cela fait plus d’un an que les développeurs doivent composer avec les IA, et nombre d’entre eux préfèrent s’adapter à ces technologies plutôt que de lutter contre elles. Adrien Brunet, directeur technique au sein de la start-up May, a rapidement pris le pli : « J’ai gagné en productivité, mais mon métier a changé. Il est passé de simplement “écrire du code” à écrire un nom de fonction qui permettra à Copilot de comprendre ce que je veux, qu’il m’écrive dix lignes de code, en corriger une, et passer à la suite. Je ne pense pas que ce type d’outil nous fera perdre notre travail. A l’heure actuelle, il faut toujours quelqu’un pour le corriger : on verra [si ce sera toujours le cas] à l’avenir, si les résultats continuent de s’améliorer. »
Si les développeurs s’adaptent finalement assez facilement aux intelligences artificielles, la question des données utilisées pour les entraîner cause, en revanche, bien plus d’émoi
Il souligne, en revanche, que ces outils risquent de compliquer la tâche des nouvelles générations lorsqu’il s’agira d’apprendre les bases du code. « Sans passer par les dures années où l’on apprend petit à petit les arcanes du métier, impossible de pouvoir corriger correctement les sorties des intelligences artificielles. Je n’aimerais pas être un junior qui se bat contre une IA, même si c’est aussi une occasion d’apprendre en vitesse accélérée. »
Si les développeurs s’adaptent finalement assez facilement aux IA, la question des données utilisées pour les entraîner cause, en revanche, bien plus d’émoi. Aux Etats-Unis, un recours collectif lancé en novembre 2022 vise ainsi Copilot, accusé lui aussi d’avoir entraîné son outil sur du code sans avoir obtenu les autorisations des auteurs d’origine. Copilot est également soupçonné de proposer du code directement copié sur d’autres projets, sans en donner la source ni respecter la licence d’utilisation. Un mécontentement qui a poussé GitHub à corriger le tir, en travaillant sur une nouvelle fonctionnalité permettant de mieux sourcer l’origine du code proposé par Copilot.
Traduire ou trahir ?
Il y a un dernier secteur qui, lui, n’en est plus à s’adapter : le métier de traducteur, qui a déjà été transformé. Dès 2018, le sondage annuel mené par l’Union européenne des associations d’entreprises de traduction montrait que, pour la première fois, plus de 50 % des traducteurs professionnels avaient recours à un outil de traduction automatique comme Google Translate ou DeepL, s’appuyant sur l’IA.
« C’est une évolution de nos compétences que l’on voit de plus en plus, avec des traducteurs qui se positionnent aujourd’hui comme consultants linguistiques, pour analyser la pertinence du recours à ces technologies, explique Guillaume Deneufbourg, traducteur professionnel et enseignant à l’université de Lille. Le métier a beaucoup changé avec l’apparition de ces technologies, mais cela permet aussi de traduire plus, [à condition] d’être bien formé. Les traducteurs qui traduisent comme des robots, qui ne peuvent pas faire mieux que la machine, sont ceux qui risquent de disparaître. »
Laurent Vannini, traducteur littéraire et membre du STAA CNT-SO, rejette, pour sa part, ce modèle. Outre son regret de voir, selon lui, les professionnels réduits à de simples « humanisateurs de créations machiniques », il déplore la perte de sens imposé par le recours à ces traducteurs automatiques : « Le simple transcodage de texte que proposent ces outils, ce n’est pas de la traduction. » M. Vannini s’alarme en outre de la précarisation qu’induit le recours à l’IA : « C’est un secteur où l’on avait déjà peu de sécurité tarifaire. Cette menace supplémentaire ne va pas renforcer la position des traducteurs face à des maisons d’édition peu disposées à négocier. »