En Sologne, les électeurs ruraux oscillent entre déception et rancœur vis-à-vis du président de la République.
Emmanuel Macron les agace. « Hautain », « méprisant », « lointain », les adjectifs qu’ils utilisent quand ils parlent de lui ne sont pas tendres. Sur ces terres solognotes du Loir-et-Cher, à entendre leurs critiques, ils pourraient presque entonner la célèbre chanson de Michel Delpech qui répétait : « On dirait que ça te gêne de marcher dans la boue. » De Romorantin à Chambord, des électeurs de droite, du Front national ou même macronistes, entonnent la même petite musique lancinante, sur la distance qu’aurait instaurée le président de la République avec la France rurale.
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Avec une cote de popularité stable ou en légère progression selon les instituts, les études montrent que les Français attendent encore de voir les effets de l’action du gouvernement pour asseoir leur jugement. Selon celle du Cevipof, c’est parmi les ouvriers, les non-diplômés et les bas revenus que l’insatisfaction demeure forte. Une tendance nettement corroborée par les témoignages d’électeurs ruraux recueillis dans le Loir-et-Cher. D’autant que, dans ce département de droite, elle s’est nourrie des discours d’élus locaux prompts à stigmatiser un président éloigné de la « vraie vie ».
Ici, le taux de pauvreté et le chômage sont légèrement inférieurs à la moyenne nationale. A côté des propriétés et des chasses de quelques grandes fortunes, l’économie locale est assise sur l’agriculture et l’exploitation forestière depuis que les usines textile et automobile ont fermé. Le niveau de vie demeure modeste mais il y fait bon vivre, tant dans les fermes agricoles que dans les petits bourgs où poussent des lotissements peu chers.
Pourtant la thématique du « président des riches » tenue par l’opposition LR, mâtinée de quelques critiques mélenchonistes, a pris. « Regardez le luxe dans lequel il vit, les petits plats, le cabinet qu’il a mis à la disposition de sa femme… C’est un train de vie qui me choque », lâche Nicolas Garnier, éleveur et maire de Billy, une petite commune de 1 000 habitants. On a beau lui dire que le train de vie présidentiel n’a pas changé depuis Nicolas Sarkozy et François Hollande. Peu importe ! « Il est totalement déconnecté », insiste ce sympathisant du parti Les Républicains.
« Loin de nous »
Les électeurs de droite, nombreux dans ces petits bourgs en bordure de forêt, ne comprennent pas ce président qu’ils affublent facilement du qualificatif méprisant de « bobo ». « Macron est à l’écoute des riches. Il nous prend de haut et nous traite comme des moins que rien… », tranche Marie Elvira, assistante d’éducation à Romorantin. Cette petite femme menue, ancienne sarkozyste convaincue, a vu son poste d’assistante d’éducation supprimé, du fait de la baisse des contrats aidés en 2018.
Jean A., ingénieur à la retraite, assure aussi qu’Emmanuel Macron est « trop loin de nos problèmes de ruralité ». Il n’a pas de mesures précises en tête, mais un ressenti. « Ses antécédents de banquier, qui a mis tant d’argent de côté, ne me rassurent pas, avoue-t-il ainsi. Ecoutez les expressions malheureuses qu’il emploie, comme quand il parle de “ceux qui ne sont rien”. Elles se répètent… », ajoute cet octogénaire. Au fil des discussions, tout est ainsi mis sur le dos de l’éloignement du « Parisien » qui n’aurait pas de racines. Un homme qui ayant fait les grandes écoles, puis sa carrière dans le milieu des affaires, ne comprendrait rien à ce qui se passe au-delà du périphérique.
L’antienne revient comme un leitmotiv : « Il est loin de nous. » Pour les uns, ce sont ses mesures « antisociales » comme la hausse de la CSG payée par les retraités qui en seraient le symptôme ; pour les autres, les charges trop lourdes. Les agriculteurs ciblent la condamnation des glyphosates. Même les plus jeunes s’y mettent. « Ici on est dans le rural et il s’en fout », assène Vanessa D., 30 ans, artisane dans la restauration rapide, qui a voté Marine Le Pen à la présidentielle, et semble revenue de tout.
« C’est un homme médiatique et jeune, mais que connaît-il des mondes des ouvriers ou des petites campagnes ? Il en est si loin », renchérit Mohamed Elaguide, 42 ans, commerçant ambulant. Cet ancien agent hospitalier qui a voté François Hollande en 2012 puis François Fillon en mars n’est pas optimiste pour l’avenir, citant notamment la réforme des retraites. Il a acheté huit appartements pour s’assurer la sienne.
Reste les quelques électeurs de M. Macron rencontrés qui semblent dans un entre-deux. Patrick Marceau, ingénieur à la retraite et ancien syndicaliste CFE-CGC, veut encore faire confiance au chef de l’Etat : « J’espère qu’il va faire repartir l’économie et l’investissement », glisse-t-il. Mais la manière dont la loi travail a été adoptée ne passe pas. « Il y est allé à la hussarde et a forcé la main à tout le monde. Et on aboutit à une destruction massive d’un certain nombre de protections pour les salariés », se désole ce sexagénaire. Sur lui, le refrain n’a pas encore pris : « Je ne sais pas encore si c’est le président des riches. J’attends de voir… »
Source: « Ici on est dans le rural et Macron s’en fout »