
ANALYSE – De grands auteurs jugent que la monarchie républicaine fondée en 1958 condamne paradoxalement le président à l’impuissance. Mais c’est dans d’autres directions qu’il faut chercher les moyens de conjurer le danger de la paralysie politique, argumente Guillaume Perrault.

Guillaume Perrault est grand reporter à FigaroVox et au Figaro. Maître de conférences à Sciences Po, il enseigne l’histoire politique française et les institutions politiques. Son dernier ouvrage, «Conservateurs, soyez fiers!», est paru chez Plon en 2017.
Les Français «deviennent jaloux de l’autorité au moment même où ils l’ont confiée», avertissait Mirabeau à l’Assemblée le 17 octobre 1789. Compte tenu de ce trait de caractère, ce n’est pas un mince exploit, pour la Ve République, d’avoir atteint l’âge respectable de 60 ans.
Le 4 septembre 1958, place de la République à Paris, de Gaulle présenta les institutions nouvelles et demanda «une adhésion franche et massive» au projet de loi constitutionnelle. Le 28 septembre, la Constitution, soumise aux Français par référendum, fut approuvée par 79,2 % des votants. La participation atteignit un record (84,9 %). La Constitution fut promulguée le 4 octobre 1958.
De Gaulle plaça la barre très haut: la Ve République ambitionne d’assurer à l’État l’assise «dont il est privé depuis 169 ans», c’est-à-dire depuis l’exécution de Louis XVI en 1793, expliquera-t-il dans ses Mémoires d’espoir. Le président-monarque tire sa légitimité de l’élection au suffrage universel direct (1962). L’Assemblée, toute-puissante sous la IVe République, a perdu une partie de ses prérogatives au profit de l’exécutif. Le gouvernement est presque assuré de durer. Pendant plusieurs décennies, les mauvais souvenirs de la IVe assurèrent aux nouvelles institutions la faveur des Français. L’alternance, en 1981, fit miraculeusement perdre à la gauche ses préventions initiales.
Et si la Ve République, loin d’avoir garanti l’efficacité de l’action publique, était l’une des causes de nos blocages?
Or voilà que le sentiment d’un déclin relatif du pays suscite, depuis les années 1990, les interrogations d’hommes de qualité: et si la Ve République, loin d’avoir garanti l’efficacité de l’action publique, était l’une des causes de nos blocages? Dès 1992, tandis que se traînait le second septennat de François Mitterrand, la thèse fut défendue par Jean-François Revel dans un pamphlet étincelant et très drôle, L’Absolutisme inefficace – Contre le présidentialisme à la française. Pour le penseur libéral, l’élection présidentielle entretient la croyance illusoire des Français envers la toute-puissance de l’État. La campagne suscite un immense espoir impossible à satisfaire. Une fois dégrisés, les Français sont immanquablement conduits à honnir le président qu’ils avaient d’abord adoré. Isolé dans l’empyrée élyséen, entouré par sa cour, le chef de l’État, lui, se complaît dans le sentiment de son infaillibilité. N’est-il pas l’élu? D’où une série de conséquences fâcheuses, qui forment autant de chapitres du livre de Revel: «Le despotisme irrésolu», «La présidence incapacitante», «La fiction du premier ministre», «Les transferts d’irresponsabilité» ou encore «Gouverner, c’est nommer».
Le retournement spectaculaire des médias et de l’opinion envers Emmanuel Macron paraît vérifier de façon implacable la thèse de Revel. Un des anciens collaborateurs de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, l’essayiste et historien Maxime Tandonnet, fidèle signature des pages Débats du Figaro et de FigaroVox, juge d’ailleurs lui aussi, à la lumière de son expérience, que l’omnipotence du président le condamne paradoxalement à l’impuissance.
Aux interrogations légitimes de penseurs sincères s’ajoutent cependant des procureurs aux arrière-pensées moins pures. Une classe politique incapable de résoudre les maux du pays peut désirer faire porter la responsabilité de ses échecs à nos institutions. Il faut bien que la Constitution soit coupable pour qu’elle-même soit innocente.
Le diagnostic séduisant d’un Jean-François Revel ne peut pas se muer en ordonnance pour guérir le patient.
Au reste, le diagnostic séduisant d’un Revel ne peut pas se muer en ordonnance pour guérir le patient. La Ve, les Français l’ont adoptée puis raffermie par deux référendums (en 1958 et 1962) et ils l’aiment. Qui peut croire que nos citoyens accepteraient qu’on leur ôte le droit d’élire le président au suffrage universel direct, seul scrutin où ils se rendent encore en masse? Qui pourrait penser que le pays verrait sans réagir le chef de l’État, désigné par lui, cantonné à un rôle de représentation et d’influence, au profit des chefs de parti, «les notables et les notoires», comme les appelait de Gaulle?
Nous sommes embarqués dans le système de la monarchie républicaine. Impossible de descendre. Prenons-en notre parti. C’est dans d’autres directions qu’il faut chercher les moyens de conjurer le danger de la paralysie politique qui guette toujours en France. Le référendum d’initiative populaire en vigueur en Suisse, dans une moindre mesure en Italie et dans certains États des États-Unis, comme la Californie, n’est certes pas exempt de dangers, mais possède un immense mérite: garantir au suffrage universel qu’il aura le dernier mot pour imposer ses vues sur les sujets jugés cruciaux par lui. Un heureux moyen de rénover des institutions menacées de désaffection. Et un beau sujet de réflexion pour la droite si elle veut retrouver la confiance de ses propres électeurs.
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Grand reporter au Figaro et à FigaroVox
Source :© Guillaume Perrault: «La Ve République a 60 ans: Faut-il la remercier ou la maudire ?»