CHRONIQUE – Emmanuel Macron a cru judicieux de se prononcer sur l’affaire Audin, mais les Français d’Algérie victimes des attentats du FLN et ceux tués ou disparus à partir de mars 1962 à la faveur de l’inaction délibérée des autorités françaises n’ont pas été l’objet des mêmes attentions.
Voilà Emmanuel Macron embarqué dans une fâcheuse affaire. Le président croyait saisir l’occasion de l’affaire Audin pour adopter une position de principe équilibrée sur la guerre d’Algérie. Et le chef de l’État se retrouve tiré par certains du côté de la mise en accusation de la Franceet du repentir, à l’occasion d’une lecture partielle et partiale du passé. Pouvait-il en être autrement, dès lors que l’hôte de l’Élysée choisit de traiter le sujet de la mémoire de la guerre d’Algérie à travers un cas individuel, certes célèbre, mais qui n’éclaire qu’un petit fragment d’un conflit long et complexe?
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Toutes les victimes de la guerre d’Algérie devraient avoir droit aux mêmes égards. Or l’amère vérité oblige à constater que tel n’est pas le cas. Le président a cru judicieux de se prononcer sur l’affaire Audin, mais les Français d’Algérie victimes des attentats du FLN et ceux tués ou disparus à partir de mars 1962 à la faveur de l’inaction délibérée des autorités françaises n’ont pas été l’objet des mêmes attentions. L’Elysée a néanmoins indiqué jeudi préparer des initiatives en ce sens.
Rappelons en effet certains faits élémentaires, qui tendent à être oubliés. Le contexte politique, d’abord. Le 1er novembre 1954, une vague d’attentats du FLN marque le début de la guerre d’Algérie. Dès le 12 novembre, Pierre Mendès France, alors président du Conseil, déclare à l’Assemblée: «Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec elle, chacun ici et là-bas doit le savoir.» Mendès France ajoute: «Les départements français d’Algérie constituent une partie de la République française. Ils sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable.» François Mitterrand, ministre de l’Intérieur à l’époque, lance aux députés: «L’Algérie, c’est la France. Et qui d’entre vous, Mesdames, Messieurs, hésiterait à employer tous les moyens pour préserver la France?» Seize mois plus tard, le 12 mars 1956, à la demande du président du Conseil d’alors, le socialiste Guy Mollet, l’Assemblée, à une écrasante majorité (455 voix pour, dont les députés socialistes et communistes, 76 contre), autorise le gouvernement à confier à l’armée les prérogatives de la police en Algérie.
Au contexte politique de la première moitié de la guerre d’Algérie, souvent perdu de vue, s’ajoutent les victimes oubliées de la fin du conflit. Le cessez-le-feu, proclamé le 19 mars 1962, ne ramène pas la paix. L’armée française reçoit l’ordre de désarmer et d’abandonner ses supplétifs musulmans. Les officiers qui font gagner la métropole à «leurs» harkis sont sanctionnés. Seul Pompidou s’efforce de contourner les instructions du Général. Selon les estimations les plus prudentes, entre 60.000 et 80.000 harkis ont été massacrés tandis que 45.000 auraient réussi à gagner l’Hexagone. Aux lynchages de harkis par des éléments du FLN ou des ralliés de la dernière heure s’ajoutent les massacres de civils musulmans loyalistes (chefs de village, gardes champêtres, anciens combattants), jamais évoqués.
Les épisodes les plus embarrassants du cauchemar vécu par le million de Français d’Algérie qui eurent le choix entre «la valise ou le cercueil» demeurent occultés. Le 26 mars 1962, à Alger, des soldats français ouvrent le feu sur une manifestation de civils français rue d’Isly (46 à 62 morts et 150 blessés). À Oran et dans l’Oranais, à partir du 5 juillet, 400 à 700 Français d’Algérie sont tués (souvent après avoir été enlevés), parfois sous les yeux de soldats français qui reçoivent l’ordre de rester immobiles. Si les estimations sont difficiles, il semble que, en un an, plus de 3000 Français aient été enlevés en Algérie (dont certains appelés) sans que l’armée française ne s’efforce de les retrouver. Seuls la moitié d’entre eux auraient recouvré la liberté, parfois après avoir été torturés. Le 26 juillet 1962, Gaston Defferre, maire de Marseille, déclare au sujet des rapatriés qui affluent: «Qu’ils quittent Marseille en vitesse. Qu’ils essaient de se réadapter ailleurs.» Oui, vraiment, puisque Emmanuel Macron a choisi de saluer la mémoire d’une victime, il lui appartient maintenant de n’en oublier aucune.
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Source :© Guillaume Perrault : «Guerre d’Algérie, la mémoire hémiplégique»