ANALYSE – Les Mémoires de Simone Veil, qui sera transférée le 1er juillet au Panthéon, révèlent une liberté de ton et des prises de position souvent surprenantes pour un jeune lecteur, explique Guillaume Perrault.
Dans ses Mémoires, Jean-François Revel confiait être frappé par la présentation désormais très simplifiée, voire fausse, d’événements historiques qu’il avait lui-même vécus dans sa jeunesse. Plus les décennies séparant des faits s’accumulaient, moins l’évocation du passé lui paraissait précise, fidèle et nuancée. On éprouve un sentiment analogue devant le portrait souvent esquissé de Simone Veil, transférée au Panthéon le 1er juillet ainsi que son mari. Pour éviter les propos convenus, rien ne vaut la lecture des Mémoires de cette forte personnalité, Une vie (éditions Stock, 2007). L’ouvrage révèle une liberté de ton et des prises de position souvent surprenantes. Simone Veil, fréquemment, n’est pas là où on l’attend.
Au sujet de la guerre et de la déportation d’abord. Simone Veil s’est opposée de toutes ses forces, en 1971, au financement public et à la diffusion à la télévision nationale du documentaire Le Chagrin et la Pitié de Marcel Ophüls, alors qu’elle siégeait au conseil d’administration de l’ORTF. «Les années 1970 avaient inversé la tendance des années 1950», écrit-elle. À la célébration d’une France unie dans la résistance à l’occupant avait succédé une autre «pensée dominante, tout aussi simplificatrice. Désormais, les jeunes se montraient ravis qu’on leur dise que leurs parents s’étaient tous comportés comme des salauds, que la France avait agi de façon abominable, que pendant quatre ans la dénonciation avait été omniprésente et qu’à l’exception des communistes, pas un seul citoyen n’avait accompli le moindre acte de résistance. Le Chagrin et la Pitié tombait à pic dans ce concert d’autoflagellation, et c’est à ce titre que je trouvais ce film injuste et partisan. En outre, il ne nous épargnait aucun raccourci mensonger.»
Interdiction de l’incitation à avorter
«La contraception consacre la liberté des femmes et la maîtrise qu’elles ont de leur corps, dont elle dépossède ainsi les hommes. (…) L’avortement, en revanche, ne soustrait pas les femmes à l’autorité des hommes, mais les meurtrit.»
La présentation du comportement des habitants de Clermont-Ferrand par le réalisateur trahit ses «manœuvres grossières», juge Simone Veil. Elle ajoute qu’elle aurait eu «honte» de voir ce film diffusé alors à la télévision nationale, par égard pour les Villeroy, cette famille qui l’avait cachée à Nice au péril de leur vie à partir de l’automne 1943. S’agissant de la loi sur l’IVG, Simone Veil la présente en des termes qui diffèrent de la présentation prévalant aujourd’hui. «La contraception consacre la liberté des femmes et la maîtrise qu’elles ont de leur corps, dont elle dépossède ainsi les hommes. Elle remet donc en cause des mentalités ancestrales. L’avortement, en revanche, ne soustrait pas les femmes à l’autorité des hommes, mais les meurtrit», écrit-elle.
Dans ses Mémoires figure en annexe son discours du 26 novembre 1974 à l’Assemblée. Or, à la tribune, Simone Veil explique qu’elle ne se propose pas de consacrer un droit à l’avortement, mais d’autoriser l’IVG en cas de «situation de détresse». Elle assigne au projet de loi, parmi ses objectifs, celui de «dissuader la femme» de recourir à l’IVG (tout en lui reconnaissant la possibilité de le décider, répétons-le) en apportant à celle-ci un soutien financier et moral. Si la femme choisit de recourir à une IVG, ajoute Simone Veil, cette décision «ne devrait pas, chacun le ressent, être prise par la femme seule, mais aussi par son mari ou son compagnon». Si le projet de loi autorise l’information sur l’IVG, «il interdit l’incitation à l’avortement par quelque moyen que ce soit car cette incitation reste inadmissible».
Son discours à l’Assemblée en 1974, expression fidèle de sa pensée de l’époque d’après ses Mémoires
Simone Veil entend ne pas faire rembourser l’IVG par la Sécurité sociale (sauf dans deux cas: si l’IVG est motivée par le souci de protéger la santé de la femme ou si celle-ci n’a pas les moyens de payer). Elle justifie sa décision par la volonté de souligner la différence entre la contraception (remboursée par la Sécurité sociale à compter de ce même automne 1974 à son initiative) et l’avortement «que la société tolère mais qu’elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager». Il est fréquent de lire aujourd’hui que le discours de Simone Veil à l’époque ne traduisait pas sa pensée et était une concession tactique à la droite conservatrice. Sans prétendre en rien être catégorique sur ce sujet délicat, nous pouvons affirmer que rien, dans les Mémoires de Simone Veil, n’accrédite cette thèse.
Dans son ouvrage, celle-ci présente sa position publique en 1974 comme l’expression fidèle de sa pensée à l’époque aussi bien, semble-t-il, qu’au moment où elle écrit ses Mémoires. En combien d’autres passages de ses Mémoires Simone Veil fait comprendre aux jeunes lecteurs qu’ils la connaissent mal! Plaquer sur le passé les idées, les mots et la sensibilité du présent – autrement dit, l’anachronisme – est décidément le fléau de l’Histoire.
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Grand reporter au Figaro et à FigaroVox
Source : © Guillaume Perrault: «Ces aspects de Simone Veil que notre époque préfère oublier»
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Marie France Ellouz
Une femme magnifique