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Guesdisme, socialisme et antisémitisme

Jukes Guesde

Dans leur texte les Luftmenschen ( http://www.mondialisme.org/spip.php?article1296 ) font allusion aux blanquistes qui ont flirté un moment avec Boulanger, mais qu’en était-il des guesdistes ? En effectuant une recherche rapide sur Internet à propos des travaux universitaires concernant ce sujet, on peut trouver facilement la mention de quelques passerelles entre boulangisme et guesdisme, et aussi entre antisémitisme et guesdisme comme en témoignent les sources suivantes :

1) Le site de la SFIO de la région Gironde http://www. ps33. fr qui évoque le cas du guesdiste Jourde.

« Antoine Jourde, (…) guesdiste, illustre toutes les contradictions du début du siècle. Aux législatives de 1885, avec Sébastien Faure, futur animateur anarchiste, il conduit une liste qui regroupe les cinq groupes socialistes de Bordeaux. (…) En 1889, comme l’ensemble des guesdistes girondins(…), il se laisse entraîner par le verbe « insurrectionnel et social » du général Boulanger. Grâce à l’appui des comités électoraux de ce dernier, il est élu député « républicain socialiste réformiste » dans la troisième circonscription de Bordeaux en même temps que cinq autres boulangistes. En 1890, il dissipe toutefois le trouble de ses amis, en prenant la tête de la première manifestation. »

2) À propos du guesdisme, de l’Affaire Dreyfus et et de l’antisémitisme, on lira cet extrait de « Xénophobie, racisme et attitudes envers les immigrants en France au XIXe siècle /Inventaire des sources du Mouvement ouvrier » de Lauren Dornel, agrégé d’histoire, docteur en histoire. Ces quelques lignes sont tirées de sa thèse à la base de La France hostile, sociohistoire de la xénophobie 1870-1914, Hachette Littératures, Paris, 2004.

« La décision du 16e Congrès du Parti Guesdiste (en 1898) franchement hostile aux principes de l’antisémitisme et du nationalisme constitue en réalité une attitude nouvelle sur laquelle il convient de s’arrêter ici. Bien qu’au fond Guesde et ses amis aient toujours été les ennemis irréductibles des patriotes qui venaient ouvertement se mettre en travers des principes internationalistes dont les membres du POF sont les plus dévoués serviteurs en France, jamais jusqu’à ce jour ni le Conseil national, ni aucun congrès annuel ouvrier n’avaient osé prendre une décision ferme à ce sujet. Actuellement, il n’en est plus de même, après la violente campagne de presse menée autour de l’affaire Dreyfus et au cours de laquelle Nationalistes et Antisémites se sont constitués les défenseurs de l’armée, les socialistes longtemps hésitants, en sont arrivés à se déclarer fermement hostiles aux uns et aux autres. Dans l’esprit des Guesdistes, cette grave détermination dans un avenir peut-être prochain, lors d’une période électorale, serait destinée à créer une barrière de séparation infranchissable pour les antisémites et les nationalistes qui n’hésitaient pas autrefois, suivant les nécessités, à se recommander des principes socialistes, si les suffrages de ceux-ci pouvaient assurer un succès électoral. Plus rien de semblable à l’heure actuelle, les Antisémites sont classés comme réactionnaires par les socialistes qui maintenant paraissent décidés à se séparer ouvertement de Drumont et de ceux qui suivent son étoile. C’est là une des décisions les plus curieuses du Congrès de Montluçon. »

On voit donc qu’il a fallu plusieurs années aux guesdistes (dont le parti s’appelait le Parti ouvrier de France) pour prendre une position claire face aux antisémites. Et encore on verra dans la citation suivante ce qu’il en est exactement…

3) Editorial d’Emile Moreau « Les vrais patriotes », dans le journal guesdiste du 28 janvier 1898

« En réalité le gouvernement de l’Europe, la direction de ses affaires est entre les mains d’un syndicat israélite qui fait la pluie et le beau temps dans la politique européenne et en recueille tous les bénéfices. La bourgeoisie catholique a bien essayé de se mettre en travers de cette effrayante accumulation des richesses mondiales entre les mains des fils d’Abraham, d’Isaac et de Jacob mais elle a toujours été vaincue… Quoi qu’on fasse, c’est le mosaïque syndicat qui l’emportera. »

Le lendemain, Guesde condamne ces propos mais d’une façon particulièrement douteuse et tristement actuelle… (cf. le livre d’Abraham Leon sur La conception matérialiste de la question juive repris par tous les trotskystes de façon acritique depuis 60 ans), puisqu’on retrouve tous les poncifs sur « la finance » juive (comme si les Juifs n’avaient exercé que ce métier), le fait que les Juifs n’auraient pas cultivé la terre (ce qui est faux) et le mythe de leur appartenance au peuple « sémite » – peuple sans aucune réalité historique !

Voici en effet la façon très ambiguë dont Jules Guesde répond à son « camarade » Emile Moreau : « La finance, sans doute est aux mains des sémites que leur vie séculaire hors de toute propriété terrienne a préparés, entraînés à la propriété mobilière et à son maniement. »

Ces citations sont extraites du livre Les communautés juives de la France septentrionale au XIXe siècle, 1791-1914 de Danielle Delmaire.

4) Résumé des interventions au « Colloque sur l’histoire et l’actualité de la haine », Antisémitisme et guesdisme, qui s’est tenu les 11, 12 et 13 octobre 2007, à l’université de Poitiers

« Jean-François TANGUY, maître de conférences d’histoire contemporaine à l’Université de Rennes, a dressé un portrait haut en couleur du polémiste politique Jules Ménard (…). Auteur prolifique, il s’insurge contre les institutions, les hommes politiques “corrompus”, les juifs, les francs-maçons, etc. Il se qualifie lui-même de “républicain socialiste antisémite” (…). Ménard écrit aussi bien pour La Libre parole d’Edouard Drumont, que pour le journal guesdiste L’Ouest socialiste (…). »

5) Un article de Gilles Candar, « Jules Guesde, le combat manqué », paru dans la revue Mille neuf cent en 1991, volume 11, n° 1 nous offre un triste florilège de citations dans la presse du Parti ouvrier de France, de Jules Guesde :

La République sociale de Narbonne écrit à propos du capitaine Dreyfus : « les youtres de la Finance et de la politique, les corbeaux rapaces […] ont décidé que celui d’entre eux qui s’était voué aux plus abominables besognes passerait, comme ils y passent eux-mêmes, à travers les mailles du filet et il y passera » (« Dreyfus et les traîtres », La République sociale, 8 novembre 1897)

Charles Bonnier (« ami et correspondant d’Engels, de Bernstein, de Liebknecht et de Guesde », nous apprend Gilles Candar) écrit dans Le Réveil du Nord : « Drumont et les antisémites de Vienne n’ont rien inventé (…). Bien avant eux, Toussenel et Marx (dans Les Juifs rois de l’époque et La question d’Orient) avaient découvert et stigmatisé la juiverie européenne ». Et il loue Marx « Juif de race comme Spinoza », d’avoir su décrire « les milieux juifs grouillants de Hollande, où le langage (…) fait songer à Babel et le parfum qui s’y répand est loin d’être délicat » (« Les dynasties juives », Le Réveil du Nord, 30 septembre 1897).

Il faut se garder de toute lecture anachronique de ces propos, mais on peut quand même remarquer que l’opposition radicale à l’antisémitisme était loin d’être une vertu socialiste à la fin du XIXe siècle !

6) Et pour conclure on peut citer des extraits d’un article de l’association Mémorial 98, paru dans la revue Mauvais Temps (Editions Syllepse).

« Le socialisme français est fortement divisé à cette époque. Le Parti ouvrier français de Guesde et de Lafargue est le plus organisé. Les socialistes révolutionnaires d’Allemane, implantés dans le mouvement syndical, viennent de se séparer des possibilistes de Brousse. Millerand incarne l’aile droite du mouvement, les socialistes indépendants. Depuis 1893, une quarantaine de socialistes sont députés, parmi eux Jaurès, Guesde et Millerand. Tous ont longtemps rechigné à s’engager, à l’exception des allemanistes et notamment de Lucien Herr qui mobilisera largement les intellectuels aux côtés de Dreyfus.

« Avant l’affaire Dreyfus, Jaurès entretenait des relations, somme toute cordiales avec des antisémites notoires, comme Drumont et l’ancien communard Rochefort. En mai 1895, à l’issue de courtes vacances en Algérie et après la condamnation et la déportation de Dreyfus à l’île du Diable, Jaurès publie deux articles dans La Dépêche de Toulouse : “Sous la forme un peu étroite de l’antisémitisme se propage en Algérie un véritable esprit révolutionnaire”, assure-t-il. Et Jaurès de reprendre à son compte les arguments du lobby antisémite contre la “puissance juive”. Il n’a vu que “l’usure juive” qui réconcilie contre elle “l’Européen” et “l’Arabe” [Dans son livre sur L’antisémitisme à gauche, La Découverte, 2009, Michel Dreyfus minimise cet aspect de la « pensée » de Jaurès avant l’Affaire Dreyfus, tant il tient à charger les courants antiparlementaires et « antidémocratiques » du mouvement ouvrier français (syndicalistes-révolutionnaires, blanquistes et anarchistes) de tous les péchés antisémites. Nous reviendrons sur cet ouvrage en détail dans notre prochain numéro, mais cela valait la peine de le signaler car cela nous indique déjà comment les intellectuels de gauche, fussent-ils historiens, peuvent à la fois se lamenter qu’il n’y ait pas d’étude sérieuse sur l’antisémitisme à gauche et dans le mouvement ouvrier français et noyer le poisson. NPNF].

« Lorsque Zola lance son J’accuse, le 13 janvier 1898, les choses vont évoluer… mais lentement. Le Parti ouvrier socialiste révolutionnaire d’Allemane s’est engagé dès décembre 1894 contre le conseil de guerre qui avait condamné Dreyfus.

« Étrangère à l’antisémitisme, c’est la coopérative d’imprimerie, dirigée par Allemane, qui publie en 1898 la belle Lettre des ouvriers juifs de Paris au Parti socialiste français : Cessez de nous prendre pour des Rothschild ! (1).

« Comme on l’a vu, les parlementaires socialistes n’en sont pas là ! Le plus droitier d’entre eux, Millerand, ne se ralliera au camp dreyfusard qu’au tout dernier moment, le 31 août 1898, après le suicide du commandant Henry, auteur confondu du faux accablant Dreyfus ; la révision du procès devenant inévitable, le pragmatique Millerand s’y rallia.

« L’évolution de Jaurès est plus rapide, mais non exempte d’ambiguïtés. En juin 1898, déjà acquis à la cause dreyfusarde, il déclare encore : “Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par une sorte de fièvre du gain quand ce n’est pas par la fièvre du prophétisme, nous savons bien qu’elle manie avec une particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de corruption et d’extorsion. Mais nous disons, nous : ce n’est pas la race qu’il faut briser ; c’est le mécanisme dont elle se sert, et dont se servent comme elle les exploiteurs chrétiens (2).”

« L’adhésion au dreyfusisme n’évacue pas tout antisémitisme.

« Alors que Jules Guesde l’“orthodoxe” a vu dans J’accuse “le plus grand acte révolutionnaire du siècle”, son parti publie néanmoins, fin juillet 1898, un manifeste qui tranche : “Les prolétaires n’ont rien à voir dans cette bagarre.” Seules comptent la lutte de la classe et la révolution sociale. Derrière ce discours simpliste, se cache la déception électorale de mai 1898 : Jaurès et Guesde ont été battus dans leurs circonscriptions, alors que Drumont est élu à Alger sur la base d’une campagne dont les thèmes sont à la fois “républicains” et antisémites : “Vive l’Armée ! Vive la République ! A bas les juifs !”

« L’antidreyfusisme ouvrier persiste, notamment chez les travailleurs “de l’habillement concurrencés par le nouveau prolétariat juif originaire d’Europe centrale”. Et “l’on compterait 10 % d’ouvriers, en particulier des cheminots, parmi les 100 000 premiers adhérents de la Ligue de la patrie française” (3).

« Tout de même, l’ensemble du mouvement socialiste finira par entrer dans la bataille. »

(1) Réberioux (Madeleine), « Jaurès et les socialistes », L’Affaire Dreyfus de A à Z, op. cit.

(2) Ibid, note 1.

(3) Pigenet (M.), « Les ouvriers et leurs organisations » in L’Affaire Dreyfus de A à Z, op. cit.

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