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Johnson, tenant d’un Brexit dur, et Hunt, pour qui ce serait un « suicide politique », seront départagés par les membres de leur parti d’ici à juillet.

Prenant des allures de Petits Meurtres entre amis, la tragi-comédie de l’élection du prochain leader du Parti conservateur, voué à diriger le Royaume-Uni fin juillet, a connu un nouveau rebondissement, jeudi 20 juin, avec l’élimination du candidat Michael Gove dans des conditions suspectes.

Boris Johnson a nettement confirmé qu’il se trouve en « pole position », en réunissant 160 des 313 suffrages des députés tory invités à participer au vote. Le chef de la campagne pro-Brexit au référendum de 2016 va maintenant affronter Jeremy Hunt, son successeur à la tête du Foreign Office, qui, lui, avait voté pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne (UE) voici trois ans.

Le duel sera arbitré par les 160 000 adhérents du parti. Comme son adversaire, M. Hunt, arrivé loin derrière M. Johnson avec 77 voix, promet aujourd’hui de mettre en œuvre le Brexit au plus vite. Mais il se veut plus réaliste que « Boris ». Ce dernier se fait fort, lui, de sortir le pays coûte que coûte de l’UE d’ici au 31 octobre, affirmant sa détermination à contraindre les Vingt-Sept à rouvrir les négociations sous la menace d’une sortie sans accord.

Boris Johnson accusé de « magouilles »

Le second round du processus de sélection du successeur de Theresa May opposera donc deux hommes pro-Brexit façonnés par le même moule ultra-élitiste des écoles privées et de l’université d’Oxford. Les deux protagonistes vont s’affronter lors de seize débats organisés dans tout le pays pour les membres des tories, qui auront à les départager d’ici au 22 juillet. Le nom du nouveau premier ministre sera alors connu. Mais l’avance de M. Johnson est telle que la suite s’annonce, pour lui, presque comme une formalité.

Pourtant, jeudi, le vote final des députés, lors d’un cinquième tour qui a éliminé Michael Gove – actuel ministre de l’environnement et ancien bras droit de M. Johnson dans la campagne pro-Brexit lors du référendum de 2016 –, a souligné le caractère clanique et contestable du processus de désignation qui se déroule sous les yeux des citoyens, réduits au rôle de spectateurs d’une joute purement politicienne au pire sens du mot.

Si M. Gove est arrivé troisième avec 75 voix (seulement deux de moins que M. Hunt) alors qu’il avait figuré devant ce dernier lors du tour précédent, c’est probablement que le camp Johnson, disposant d’une large réserve de voix, a donné la consigne à certains de ses supporteurs de se reporter sur M. Hunt, adversaire jugé plus facile que M. Gove. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Conforté en tête de la course pour Downing Street, Boris Johnson se présente en rassembleur

« Il n’y a aucun indice, aucune preuve et il n’y en aura probablement jamais, a tweeté Nick Robinson, journaliste politique vedette de la BBC. Mais le buzz au palais de Westminster est que l’équipe de Boris s’est assurée que leur homme aurait Hunt et non Gove face à lui. »

Accusé de « magouilles », l’entourage de Boris Johnson a démenti. Mais la faible progression – trois voix – de ce dernier, alors qu’il aurait dû bénéficier d’une grande part des 34 voix recueillies au tour précédent par Sajid Javid, ministre de l’intérieur, renforce le soupçon.

Les médias et le public vont donc être privés de la suite de la tragédie shakespearienne opposant les deux « frères », Johnson et Gove, qui avait débuté au lendemain de la victoire du Brexit, le 23 juin 2016. Michael Gove, fidèle second de M. Johnson, l’avait alors spectaculairement poignardé dans le dos en le devançant pour annoncer sa candidature pour Downing Street, affirmant que, tout compte fait, « Boris » n’était « pas fait pour le job ». M. Johnson, qui avait conduit le Brexit à la victoire, avait alors déserté, se comparant à Jules César assassiné par Brutus. Michael Gove avait été battu et Theresa May, partisane modérée d’un maintien dans l’UE, avait alors pris les commandes du Brexit et du pays.

« Theresa May en pantalon »

Jeudi, alors que MM. Hunt et Gove se disputaient la place de challengeur de Boris Johnson, les partisans du premier dénonçaient le « psychodrame personnel » qui risquait de se jouer en cas de duel entre les frères ennemis, Johnson et Gove, au détriment du débat de fond sur le Brexit. De leur côté, les pro-Gove défendaient leur candidat, « un véritable brexiter [militant du Brexit] » qu’ils opposaient à un M. Hunt élégamment qualifié de « Theresa May en pantalon », allusion à la supposée tiédeur de ce dernier sur le Brexit et à son – indéniable – manque de charisme.

« Je suis l’outsider, a reconnu ce dernier, jeudi soir, après avoir été sélectionné. Mais en politique, il y a des surprises comme celle d’aujourd’hui. » Ancien chef d’entreprise, Jeremy Hunt se veut moins radical que M. Johnson, acceptant l’idée que le Brexit puisse être repoussé au-delà du 31 octobre pour empêcher une sortie sans accord, qui serait catastrophique pour l’économie. Il devrait attirer ce qu’il reste de modérés au sein des tories, devenus, sous Theresa May, le parti du Brexit. Article réservé à nos abonnés Lire aussi Brexit : « Corbyn ou Johnson, l’alternative cauchemardesque de la City »

Le duel entre l’ancien ministre des affaires étrangères, M. Johnson, et son successeur, M. Hunt, risque de se concentrer sur le fait que ce dernier a changé de position sur le Brexit. Pro-« remain » (maintien dans l’UE), il avait même pris position au lendemain du scrutin de juin 2016 en faveur d’un nouveau référendum sur le futur accord avec l’UE. Puis il est passé dans le camp du Brexit.

Alors que les conservateurs sont tétanisés à l’idée de nouvelles législatives où le Parti du Brexit (extrême droite) risque de leur tailler des croupières et de voir la victoire du Labour (travaillistes), Jeremy Hunt promet de ne pas en provoquer, les qualifiant de « suicidaires » pour les tories tant que la question du Brexit n’est pas réglée.

« Sortir le pays du chaos du Brexit »

De son côté, Boris Johnson, qui n’a cessé d’enregistrer des ralliements de députés parfois désireux de se ménager ses bonnes grâces pour entrer dans son futur gouvernement, est soutenu depuis jeudi par l’Evening Standard, influent quotidien gratuit londoniendirigé par l’ancien ministre des finances conservateur et proeuropéen George Osborne. « M. Johnson est le candidat qui a le plus de marges de manœuvre pour sortir le pays du chaos du Brexit et pour que les Britanniques se sentent de nouveau bien », écrit ce dernier dans un éditorial.

Logiquement, le principal intéressé l’a joué modeste. « Je pense qu’il est vraiment temps de ramener de l’enthousiasme en politique. Je le pense vraiment, mais je crois aussi qu’il y a un sacré boulot à abattre. »

Pendant le mois de campagne restant, il peut se passer bien des choses entre le sage M. Hunt et le bouillant M. Johnson, connu pour ses dérapages. Mais, sauf sortie de route, on voit mal qui pourrait désormais entraver l’irrésistible marche vers Downing Street du véritable animal politique qu’est « Boris ». Surtout pas Jeremy Hunt.


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Philippe Bernard (Londres, correspondant)

Source:© Grande-Bretagne : le modéré Jeremy Hunt et le bouillant Boris Johnson, derniers en lice pour être premier ministre

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