La fronde atypique aux revendications multiples et hétérogènes complique toute sortie de crise.
Quelle réponse les « gilets jaunes » attendent-ils du président de la République ? Depuis dix jours, ils manifestent dans toute la France, bloquant les routes ou occupant les ronds-points. Ils étaient 282 000 mobilisés le 17 novembre et quelque 106 000 samedi, selon les chiffres du ministère de l’intérieur – que les « gilets jaunes » évaluent très sous-estimés. Malgré un lourd bilan de deux morts et plus de 650 blessés, les violences et dégradations constatées un peu partout dans le pays, et celles de samedi à Paris, où les Champs-Elysées se sont transformés en champ de bataille, ils sont encore nombreux à afficher leur détermination par des « on lâchera rien », « on ira jusqu’au bout ».
Mais au bout de quoi ? Quelle annonce leur ferait ranger leur gilet ? A cette question posée à chacun des « gilets jaunes » rencontrés, Le Monde n’obtient jamais la même réponse. C’est l’une des difficultés auxquelles se confronte cette fronde atypique qui ne s’appuie sur aucune organisation politique ou syndicale. Si la question d’élire des porte-parole est en débat actuellement, les « gilets jaunes » n’ont pas de représentant capable de les faire parler d’une seule voix. Le récit politique : « Gilets jaunes » : pourquoi Emmanuel Macron s’est résolu à la concertation
« Vivre dignement »
Ainsi, quand Lionel, 46 ans, chef d’une TPE, a rencontré Jérémy, 28 ans, gérant d’une pizzeria, sur le point de blocage de Saint-André-de-Cubzac (Gironde), il lui a demandé spontanément : « Toi, tu revendiques quoi ? » Signe que la réponse n’avait rien d’évident. « Je veux le gel des taxes sur le carburant », a répondu Jérémy. Mais le prix du carburant « n’est que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », répètent les « gilets jaunes » comme un mantra.
Les retraités veulent, par exemple, que le gouvernement supprime la hausse de CSG qui leur a été imposée en janvier. Valérie, 50 ans, auxiliaire de vie à Senlis (Oise), voudrait, elle, que le gouvernementrétablisse l’ISF, « l’impôt sur les riches ». Mais elle ajoute : « A deux smic, avec un loyer de 660 euros, et un gamin de 18 ans, il nous reste 100 euros à la fin du mois. » Et c’est contre ces fins de mois difficiles que beaucoup voudraient une solution. Assistante dentaire dans le Val-d’Oise, Christine, qui n’attend rien des annonces d’Emmanuel Macron, mardi, précise ainsi : « Qu’est-ce-qu’il va faire ? Nous donner des aides ? Mais c’est pas des aides qu’on veut, c’est vivre dignement de notre salaire. »
Beaucoup de « gilets jaunes » attendent cependant plus qu’un gain de pouvoir d’achat. Les « Macron démission » qui rythment les manifestations sont autant un rejet du chef de l’Etat qu’un appel à changer tout le système : ils méprisent partis et élus, quels qu’ils soient. « Le vote ? C’est une vaste fumisterie, pestait ainsi, samedi, Tiphaine, du Finistère. Ces gens ne nous représentent plus, ils ne représentent qu’eux-mêmes ! »
Dans la manifestation parisienne, une des pancartes les plus populaires disait « le vote blanc reconnu = vraie démocratie ». « Le sentiment de tout le monde, c’est que la Ve République est en fin de vie », résumait Eric, en Gironde. Beaucoup rêvent d’une « assemblée citoyenne » où siégeraient des Français « tirés au sort comme à la cour d’assises ». Ou des référendums plus fréquents « comme en Suisse » pour que « le peuple fasse entendre sa voix ». Samedi, rejouant Mai 68 sur les Champs-Elysées, une manifestante rappelait que c’est justement à l’issue d’un référendum que le général de Gaulle avait démissionné et concluait : « Macron n’a qu’à faire pareil ! »
Aline Leclerc
Source :© « Gilets jaunes » : quelles réponses politiques à la colère ?