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Le Pr Didier Raoult dans ses bureaux de l’IHU de Marseille. Christophe Lepetit pour le Figaro Magazine

EXCLUSIF – Le directeur de l’institut hospitalo-universitaire (IHU) de Marseille a accordé en exclusivité un entretien au Figaro Magazine. Il s’explique longuement sur la «méthode Raoult» et l’usage de la chloroquine.

LE FIGARO MAGAZINE. – Les Français vous ont découvert à l’occasion de cette pandémie du Covid-19. Ils ont fait la connaissance d’un grand professeur très original et très controversé qui leur a dit: «Si vous voulez que ce soit la fin de cette épidémie, on peut y arriver très vite.» Pourtant, on y est, et on y est pour longtemps…

Didier RAOULT. – Ce n’est pas faute d’avoir dit ce que je pensais qu’il fallait faire. Mais je n’ai pas été très suivi. La Chine et la Corée du Sud en ont déjà fini avec le Covid-19. Cela ne me surprend pas. Depuis 42 ans, j’enseigne la même chose sur les maladies infectieuses: il faut identifier et isoler les patients porteurs, et les soigner au mieux de ce que la science permet. Sur ce point, je n’ai jamais varié. Nous n’avons pas pu, ou voulu, tester le maximum de malades pour les isoler et les traiter. Le bilan est là: nous faisons partie des quatre pays dans lesquels il y a le plus de morts par million d’habitants, avec l’Italie, l’Espagne et les Pays-Bas. Ça pose quelques questions, tout de même.

C’est assez humiliant pour un pays qui se considère comme l’un des meilleurs du monde en matière de santé…

En 2003, après l’épidémie du Sras, le gouvernement m’avait commandé un rapport sur les risques épidémiologiques et la manière d’y faire face. J’y recommandais un grand discours fondateur d’une nouvelle politique de santé qui serait capable de mieux anticiper les risques épidémiologiques dont on voyait bien qu’ils allaient devenir un des enjeux forts d’un monde interconnecté. Je mettais en garde contre les risques de débordement de nos services. La première chose qu’il fallait faire, c’était doter les hôpitaux d’infectiopôles, et notamment d’unités de fabrication de tests afin de repérer le plus vite possible, et le plus tôt possible, les premiers malades.

Fin janvier, vous avez suggéré la généralisation du traitement par la chloroquine. Le gouvernement vous a en partie suivi, après pas mal d’hésitations, uniquement pour les cas graves. Un second comité scientifique a été mis sur pied, supervisé par Françoise Barré-Sinoussi, prix Nobel de médecine. Il a donné son aval à une grande étude pour évaluer ce médicament. N’est-ce pas le b.a.-ba de la méthode scientifique?

Je crois qu’il faut bien comprendre qu’en matière de maladies infectieuses, il y a en France un groupe de gens qui ont l’habitude de travailler d’une certaine manière et qui se sont connus dans la lutte contre le sida, il y a 30 ans. Ils ont élevé en règle d’or les études «randomisées», autrement dit des études aléatoires sur de très grandes cohortes de malades cobayes. Ce sont des études qui peuvent rassurer à la marge pour améliorer certains médicaments dans la recherche sur le sida ou sur l’hépatite C. Mais ces méthodologies spécifiques ne peuvent pas être transformées en condition sine qua non de la médecine.

Les études sur les grandes cohortes rassurent les bureaucrates de la santé, qui en sont venus à considérer qu’on ne pouvait rien décider sans elles. Or, je dirais que 90 % des traitements qu’on a inventés en maladies infectieuses n’ont jamais donné lieu à de telles études. Jamais. Si le médicament tuait le microbe, c’est que ça marchait. Quand l’évaluation s’est éloignée du terrain pour devenir une activité à part, soutenue par des capitaux importants, on a mis en place des normes de vérification de plus en plus lourdes.

Ne faut-il pas trouver des garde-fous contre la tentation du remède miracle?

Il est vrai qu’à l’époque du sida, il y avait des gens prêts à tout pour essayer des décoctions miraculeuses. Mais le contexte n’est plus le même. Les malheureux qui vont mourir du coronavirus, ils ne réclament plus rien, ils sont en réanimation. J’espère que Françoise Barré-Sinoussi ne me confond pas avec ces farfelus qui promeuvent une poudre de perlimpinpin pour soigner ceci ou cela. Simplement, Mme Barré-Sinoussi n’est pas médecin, elle est chercheuse. Nous ne sommes pas sur les mêmes planètes.

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L’étude Discovery qui est en cours ne vous paraît donc pas nécessaire?

C’est une étude qui va occuper les gens qui font de la recherche et qui n’ont pas d’idées. Moi, je suis d’abord un docteur. Un docteur se donne pour règle de ne pas faire à ses patients ce qu’il ne ferait pas à ses enfants. Pourquoi m’empêcherait-on de donner des médicaments qui sont les seuls qui nous semblent produire un résultat ici et maintenant? On pourra ensuite conduire une étude rétrospective.

Où en êtes-vous de votre évaluation de la chloroquine?

Nous avons 1 003 patients soignés ici à l’IHU Méditerranée, et un seul est mort. Nous avons publié une deuxième étude il y a quelques jours sur 80 patients, dont la charge virale a été à chaque fois diminuée par l’administration de chloroquine. Et il y a déjà dix pays dans le monde qui recommandent ce médicament en première intention.

Il y a dix jours, vous disiez que cette épidémie était assez banale. Est-ce le bon mot?

Chaque année, il y a 2,6 millions de morts par infections respiratoires. Donc, avant de faire bouger les statistiques à cause du Covid-19, il faudra s’armer de patience. C’est une épidémie qui révèle beaucoup de dysfonctionnements qui ne sont pas du tout banals. Qu’il s’agisse de la fragilité de nos systèmes de santé face à ce genre de virus, ou de nos angoisses collectives. Je n’ai jamais voulu prédire l’avenir en matière d’épidémies, j’ai même écrit un livre pour mettre en garde contre cette funeste tentation! Je ne sais donc pas si ce virus peut disparaître comme beaucoup de maladies respiratoires avec l’arrivée du beau temps, ou au contraire s’amplifier. Pour le moment, je constate qu’il tue très majoritairement les sujets âgés, ou fragiles. Ce n’est donc pas un virus très différent de ceux observés dans la famille des coronavirus.

À quel niveau évaluez-vous la létalité de ce virus?

Toutes les maladies infectieuses sont des maladies d’écosystèmes. Il y a en permanence des interactions extrêmement subtiles entre chaque organisme et l’environnement dans lequel il évolue. Dans un bateau entièrement clos, la mortalité est de 1,7 %, et au début de l’épidémie à Wuhan elle est de 5 %, mais dans le reste de la Chine, elle est à 1,2 %. Il y a de bonnes raisons de penser qu’elle se situe en moyenne à 0,4 %.

Si sa mortalité est faible, n’êtes-vous pas surpris par sa contagiosité?

Franchement, non. Elle n’a rien d’anormal. En matière médicale, vous, les médias, et les gens en général, on se raconte beaucoup d’histoires. L’année dernière, la presse était obsédée par la rougeole, alors qu’il n’y avait que 1 000 cas. C’était infime. En revanche, à l’est du Congo, la rougeole a tué plus qu’Ebola. Et personne n’a parlé de la rougeole là-bas. Donc, ce qui fait peur, ce qui fait causer, n’a parfois qu’un rapport lointain avec la réalité.

Tous les ans, il y a des infections respiratoires l’hiver. On en détecte chaque année une vingtaine. Il y a dix ans, on appelait ça des grippes. Depuis, on sait que ce ne sont pas que des grippes parce qu’elles entraînent des pathologies respiratoires spécifiques. Et en plus, cette année, nous avons plutôt constaté l’absence des grands prédateurs habituels: la grippe et les autres virus respiratoires sont peu virulents.

Cela veut-il dire que les médias et les politiques en font trop?

Il y a ce très beau travail sur les causes de mortalité aux États-Unis qui montre que terrorisme, homicides et suicides ne représentent que 2 à 3 % des causes de mortalité. Et, qu’en revanche, les recherches au sujet de ces causes marginales suscitent entre 15 et 20 % d’interactions sur les réseaux sociaux, et on passe à 70 % de citations dans le New York Times et le Guardian, deux titres de la presse traditionnelle. Cela nous montre à quel point les médias ont du mal à décrire adéquatement les situations.

En 2009, les épidémiologistes nous ont dit que la grippe H1N1 allait tuer des millions de gens. Et on en a été quittes pour une grande peur…

Ça fait partie des événements qui font que je n’ai plus envie d’aller sur les plateaux télé. Et c’est pour ça que j’ai écrit mon dernier livre: Épidémies: vrais dangers et fausses alertes.

On n’avait pas, depuis très longtemps, eu recours au confinement, une méthode qui nous ramène au Moyen Âge et interrompt la vie économique. Est-ce que ça marche?

La vérité est que cela n’a jamais bien marché. Nous sommes bien placés, ici à Marseille, pour le savoir. Les confinements s’y pratiquent depuis le bas Moyen Âge. En 1884, on a confiné pour arrêter le choléra. Et cela n’a pas marché du tout. Un peu plus tard, on a mis en quarantaine des gens pour la fièvre jaune, or elle n’était pas contagieuse d’homme à homme! En revanche, je n’ai rien contre la quarantaine biologique. Bien sûr qu’il faut séparer les gens qui sont infectés de ceux qui ne le sont pas. Mais confiner des gens infectés, qui ne le savent pas, avec d’autres qui ne le sont pas, c’est une curieuse méthode. Si vous mettez ensemble les gens d’une même famille et qu’un seul est infecté, vous êtes sûr que quelques semaines plus tard, tous le seront. Je n’aurais pas fait ce choix.

Fallait-il s’en tenir aux gestes barrière, comme font les Suédois ou les Hollandais?

Il ne m’appartient pas de répondre car, en dernier ressort, les décisions de confinement ne sont pas seulement médicales, elles sont politiques. Elles intègrent le risque de la contagion, la peur des populations, le fonctionnement de l’économie, la gestion des stocks et la logistique. Ce sont des aspects qui se conjuguent et aboutissent à une décision qui échappe, finalement, au médecin. Mais à mon niveau, il est très clair qu’il faut diagnostiquer les contagieux et les séparer des autres. C’est ce que nous proposons ici.

Il y a au fond deux étapes, selon vous. Le confinement des malades. Et le traitement des malades avec les meilleurs médicaments possibles. Reprochez-vous au gouvernement de ne pas aller dans ce sens?

Encore une fois, les politiques prennent des décisions, et l’Histoire les jugera. En revanche, de temps en temps, les responsables politiques s’autorisent à intervenir dans notre domaine. En 2009, par exemple, les autorités de l’époque ont pensé qu’il fallait forcer la vaccination en l’organisant dans des tentes ou des stades. Cela relevait, selon moi, de la responsabilité des médecins. De même, je ne suis pas d’accord quand on interdit aux médecins d’utiliser des médicaments qui sont en circulation depuis des décennies. Je ne suis pas d’accord avec l’interférence de l’État dans la relation entre le médecin et le malade. C’est la responsabilité individuelle des médecins. C’est le serment d’Hippocrate.

À la fin, la médecine, c’est un rapport entre un médecin et un maladePr Didier Raoult

Ce n’est pas du charlatanisme. Il faut donc que l’exécutif se garde de faire de la médecine à notre place. Quand il y a faute médicale, quand le médecin n’a pas agi conformément à l’état du savoir, il est puni. Moi, si quelqu’un m’attaque parce que j’ai donné de l’hydroxychloroquine, mon dossier devant l’Ordre des médecins sera en béton armé. Ce n’est pas de la sorcellerie. Je sais qu’on a beaucoup jasé sur le pouvoir médical. Mais à la fin, la médecine, c’est un rapport entre un médecin et un malade. Bien entendu, dans les situations de crise, la Haute Autorité de santé donne des recommandations. Mais ça s’arrête là.

En dernier ressort, vous nous dites donc que l’intime conviction du médecin vaut mieux que la méthodologie exhaustive censée vérifier l’utilisation d’un médicament?

L’intime conviction, c’est une expression que je n’aime pas trop. Je dis que le médecin fait du mieux qu’il peut, étant donné l’état des connaissances. J’ai inventé une dizaine de traitements dans ma vie qui sont dans tous les livres de référence et la chloroquine est un médicament que je connais très bien. Et puis, il y a des mystères. Vous croyez que l’OMS recommande l’acupuncture et l’homéopathie? Non. Et pourtant, parfois, ça marche. On n’a pas la moindre idée de la manière dont on peut soulager les gens. Parfois on peut les soulager avec des bonnes paroles ou des placebos. Mon métier est d’essayer de soigner et de dire avec quoi j’essaye de le faire. Si les gens me croient plus que les autorités supposément savantes, je n’y peux rien. La crédibilité est celle des praticiens.

Un sondage récent, publié par Le Parisien, montre que les Français ont très peur de cette maladie. Ont-ils raison?

Nous sommes une population vieillissante et nous prenons facilement peur. Les Français ne sont pas aidés, car la surmédiatisation les fait vivre dans un film d’horreur permanent, où le pire est toujours au coin de la rue. Plus les pays sont riches et plus ils sont peureux. Le pays le plus optimiste est le Bangladesh. Le plus pessimiste, c’est souvent la France.

Par Charles Jaigu

Source:© Faut-il croire le professeur Raoult?

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