LETTRE EXCLUSIVE ABONNÉS – Coups de cœur, pépites à rattraper, sorties de la semaine. Toute l’actualité des séries, par Constance Jamet.
Cette lettre me permet de partager avec vous mes coups de cœur. De vous dire mes espoirs, mes attentes mais aussi mes déceptions. Bref, de vous guider dans l’épais maquis des fictions. Petite moisson cette semaine niveau nouveautés mais le cœur et la qualité sont présents en abondance.
Oserai-je l’affirmer alors qu’il reste encore presque six mois à 2020 ? Normal People , la chronique des hauts et des bas amoureux de deux jeunes Irlandais, est mon coup de cœur de l’année. S’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait pour le moment celle-ci ! D’une simplicité, d’une sensibilité déconcertante, cette adaptation d’un roman culte, à dévorer sur Starzplay, a la même délicatesse et clairvoyante dans la psyché de l’âme et des sentiments que les nouvelles de Stefan Zweig qui ne manquent jamais de me faire monter les larmes aux yeux et de m’inciter à l’introspection. Toujours sur Starzplay, les curieux pourront rattraper P-Valley sur la clientèle d’un petit club de strip-tease du Mississippi.
Dans un tout autre registre, Cursed, la rebelle sur Netflix propose une relecture féminine de la légende arthurienne où Excalibur échoit non pas à Arthur mais à Nimue, alias la Dame du lac ! Dans la peau de cette héroïne mal vue pour ses pouvoirs magiques se glisse la révélation de 13 Reasons Why, Katherine Langford. Résolument destinée à un public adolescent, cette adaptation du roman graphique de Frank Miller joue à cache-cache avec nos références. J’en reparlerai plus longuement à mon retour de congés, une fois que les contraintes d’embargo critiques seront levées.
Normal People, dans le maelström des sentiments et de l’âme
Un gars, une fille. Ils s’aiment, se brisent le cœur et se remettent plus ou moins ensemble. De cette histoire d’une banalité à pleurer, les comédies romantiques font parfois leur beurre. Normal People l’élève en minutieuse étude de caractère qui en dit autant sur ses héros que sur la condition humaine et notre propre cœur. Une catharsis brûlante et troublante, une invitation impétueuse à l’introspection d’une simplicité et authenticité désarmantes. Peu de récits m’avaient remuée avec une telle intensité depuis Call Me By Your Name . Ajoutez à cela une manière novatrice de montrer la sexualité, d’évoquer la question du consentement, vous aurez un début d’explication au phénomène. Outre-Manche, Normal People a été lancé sur la chaîne numérique BBC3. Ses douze épisodes ont été regardés plus de 21 millions de fois. Le succès a été tel que la «Beeb» hésite désormais à redonner une fréquence à sa station. Signe de la fièvre, des fans ont créé des comptes Instagram dédiés au collier qui orne le cou du héros et à la frange de l’héroïne !

Tiré du roman culte de Sally Rooney, le feuilleton suit le pas de deux entre Marianne et Connell, de leur entrée en terminale à la fin de leurs études à l’université de Trinity à Dublin. Elle est studieuse, solitaire, d’une insolence rageuse envers ses pairs et ses professeurs qui la harcèlent. Issue d’une famille privilégiée, elle dissimule bien des blessures intimes qui referont surface tôt ou tard. Lui est un sportif taiseux au cœur tendre et à l’intellect curieux. Sa mère fait le ménage chez celle de Marianne. En cours, ils se toisent. Mais au détour d’une après-midi, l’attirance sourde qui les unit éclate. Pourtant Connell demande à Marianne de garder leur relation secrète, de peur de déplaire à ses amis populaires. Première maladresse qui nourrira leur incessant «je t’aime, moi non plus». Ces deux ne savent pas être ensemble mais finissent toujours par graviter dans une orbite commune mue par une loyauté que rien n’ébranle dès lors que l’autre perd pied. Car la série évoque aussi le trouble de la vingtaine quand on se cherche, expérimente dans un tourbillon de doutes et d’angoisses.
«Le livre de Sally m’a bouleversé. C’était si radical de dépeindre le premier amour, malgré ses difficultés et incompréhensions, sous un jour positif là où tant de fictions le représentent comme une tragédie glauque riche en périls», expliquait au Figaro le showrunner Lenny Abrahamson. «La complicité entre Marianne et Connell les transforme, les élève», souligne le cinéaste nommé aux Oscars pour Room. Pour restituer cette dimension solaire, l’intériorité si intense de la plume de Sally Rooney qui dissèque le moindre frémissement émotionnel et blocage de ses protagonistes, le réalisateur a choisi des plans serrés, des pièces étriquées. Dans un dépouillement absolu, Abrahamson filme au plus près les regards, les visages, de son duo d’acteurs Paul Mescal (dont c’est le premier rôle) et Daisy Edgar-Jones (La Guerre des mondes version Canal +). Leur alchimie est incandescente. Sous nos yeux, leurs personnages quittent la gaucherie de l’adolescence, se construisent, se définissent, apprennent à blesser, à réconforter, à se construire une carapace.

Incapables de mettre les mots sur leurs atermoiements, Connell et Marianne parlent avec franchise («veux-tu enlever tes vêtements ?», «à tout moment je m’arrête si tu es inconfortable»). Le consentement est au centre de leur relation. Plutôt que de chercher à magnifier leur désir, leurs ébats sont une continuation de leurs perpétuels débats sur la justice, la noblesse de la littérature, la superficialité de leurs contemporains. Un langage en soi. Pour éviter toute érotisation inconsciente, Abrahamson a fait appel à la coordinatrice d’intimité de Sex Education. «Paul et Daisy sont jeunes. Je ne voulais pas qu’ils se sentent obliger de dire oui à toutes mes consignes. Ita O’Brien leur a demandé comment ils visualisaient ces scènes d’amour. Ils ont été bien plus sincères et audacieux que je ne l’aurais été», note le réalisateur. Abrahamson a aussi veillé à ce que la nudité masculine et féminine occupe le même temps d’écran.

« Je me suis revu à l’aube de la vingtaine. Connell et Marianne disent quelque chose de nous, de notre talent inné pour faire dérailler notre bonheur, pour multiplier les malentendus », décrypte Lenny Abrahamson. De toutes les réactions qu’il a reçues, il est encore marqué par cette spectatrice, mariée de longue date, dont le couple commençait à s’étioler. « Regarder Normal People lui a rappelé comment elle est tombée amoureuse de son époux. Ils se sont retrouvés». Toute la puissance d’une série pas comme les autres.
La performance de la semaine
Être dans l’ombre d’une actrice monstre et pourtant réussir à livrer une partition toute aussi magnétique est un don que possède l’Australienne Yvonne Strahovski. Déjà dans Dexter, elle faisait jeu égal avec Michael C. Hall puis The Handmaid’s Tale élevait la vindicative Serena au-delà de son statut de tortionnaire de June, montrant à quel point Gilead avait aussi sacrifié les rêves de son idéologue la plus acharnée. Dans Stateless , la comédienne se mesure cette fois à Cate Blanchett. La première joue Sofie, une hôtesse de l’air sans cesse rabaissée et bridée par sa famille, ce qui la pousse dans les bras de la seconde Pat, gourou sectaire.

Poussée à son point de rupture, Sofie finit internée et ne le supportant pas s’enfuit. Et se retrouve dans un centre de rétention pour immigrés où elle prétend être une citoyenne allemande dont le visa a expiré dans l’espoir d’être rapatriée en Europe loin de chez elle. Petit Poucet perdu, Sofie va être notre fil d’Ariane pour pénétrer l’univers kafkaïen et déshumanisant du centre. Sa route, inspirée d’une histoire vraie, va notamment croiser celle d’un garde à la conscience trop sensible, d’un réfugié afghan endeuillé ou d’une fonctionnaire désemparée. Si la rétention amplifie initialement les troubles de Sofie, le choc va aussi lui faire retrouver une connexion au monde, une lucidité, une indignation qui va la transformer en force de la nature. Une volatilité dont Yvonne Strahovski fait son miel.
Vibrant réquisitoire contre la politique australienne en matière d’immigration, Stateless sur Netflix se déroule au début des années 2000, avant que Canberra ne déplace ces centres hors de ses frontières dans les pays de départ des migrants. La fiction ausculte la lente perte de repères et d’identité dans ces limbes administratifs, donnant corps et visage à ceux qui y languissent en attente d’une vie meilleure.
L’agenda des sorties en série
Lundi 13 juillet
- P-Valley, Starzplay
Jeudi 16 juillet
- Normal People, Starzplay
Vendredi 17 juillet
- Cursed, la rebelle, Netflix
Ce n’est pas de la fiction : l’annonce qui nous interpelle
Difficile d’en choisir une tant les communiqués de mise en développement se sont multipliés. La star de The Handmaid’s Tale Elisabeth Moss se glissera dans la peau de Candy Montgomery, une femme au foyer américaine qui, en 1980, assassina sauvagement sa voisine à coups de hache. Par ailleurs, dans Scenes from a Marriage, Oscar Isaac et Michelle Williams vont rejouer pour HBO les Scènes de la vie conjugale de Bergman sous la direction du scénariste israélien Hagai Levi, qui avait déjà disséqué le couple dans tous ses états avec The Affair.
Mais c’est l’annonce par HBO de la préparation d’une série dérivée du film Batman, actuellement tourné par Matt Reeves avec Robert Pattinson dans le rôle-titre, qui a fait vendredi l’effet d’un séisme. Jusqu’à présent, l’univers de DC était décliné par la chaîne jeune adulte et pop du groupe CW (Gotham, Legends of Tomorrow, The Flash, etc.). Avec ce créneau sur la plateforme HBO Max, la Warner s’aligne sur la stratégie de Disney qui est de connecter directement ses séries de super-héros à ses blockbusters Marvel (Loki, The Falcon and the Winter Soldier). Cette série tirée du film Batman sera produite par Matt Reeves lui-même et Terence Winter (Boardwalk’s Empire) et chroniquera le difficile quotidien de la police de Gotham. On peut donc probablement s’attendre à ce que Jeffrey Wright, qui campe le rôle du commissaire Gordon dans le film, reprenne son rôle.
Work in progress : échos de tournage

Je n’aurais jamais imaginé retourner aussi vite sur un tournage, en raison des stricts protocoles sanitaires. Après tout, la présence d’un journaliste n’est pas cruciale sur les plateaux ! Mais l’occasion m’en a été donnée par le passage au château de Chantilly des équipes de la fiction historique de France 3 Les Aventures du jeune Voltaire. Aux défis du drame en costumes s’ajoutent les nouveaux réflexes pour lutter contre le Covid-19. Vous pouvez retrouver mon reportage ici, avec le témoignage de son acteur principal Thomas Solivérès.
Il n’est pas trop tard pour voir…
Après avoir fait les beaux jours des samedis de Chérie 25, les séries The White Queen et The White Princess , tirées des romans de Philippa Gregory sur la guerre des Deux-Roses, reviennent en SVOD sur OCS à la demande. Une manière très ludique d’en apprendre davantage sur cette période agitée. Cette rivalité entre cousins royaux qui aboutit à voir défiler sur le trône anglais cinq monarques sur la dernière moitié du XVe siècle inspira en partie à George R. R. Martin son Game of Thrones. Remplacez les Stark par les York et les Lannister par les Lancastre et vous y êtes.

Historienne de formation, Philippa Gregory (Deux soeurs pour un roi) n’a pas son pareil pour pimenter ses intrigues avec les calomnies de l’époque les plus salaces de la Renaissance. En vrac : sorcellerie, inceste, mise à mort par noyade dans un tonneau de vin. La charismatique Rebecca Ferguson (Mission impossible) et Jodie Comer, qui démontre déjà le grain de folie imprévisible qui a fait sa renommée dans Killing Eve, campent cette reine (Élisabeth Woodville) et princesse (Élisabeth d’York) blanches, dont je vous disais déjà le plus grand bien ici. Mère et fille sont confrontées à une décennie d’écart aux mêmes dangereux revers de fortune et rébellions. Aux délices de ces complots, trahisons, idylles maudites, où ceux chargés de régner sont souvent pris au piège de leurs passions, répond l’originalité des points de vue. Ceux des femmes, jamais dépossédées de leurs destins, malgré leurs conjoints.

Particulièrement dans The White Queen où s’affrontent la roturière Élisabeth Woodville, pour qui Édouard IV faillit perdre sa couronne, sa fragile belle-sœur Anne Neville, sacrifiée sur les rêves de puissance des siens, et l’ambiguë Marguerite Beaufort, qui rêve de grandeur pour son fils Henry Tudor. Se dessine en filigrane un portrait émouvant du funeste Richard III. Loin de la légende noire shakespearienne se dévoile sous les traits soucieux du comédien gallois Aneurin Barnard (Dunkerque) un courageux guerrier et fidèle conseiller.
Pour les accros comme moi, le dernier volet de cette trilogie Spanish Princess est disponible sur Starzplay et se consacre à la jeunesse de Catherine d’Aragon à la cour d’Angleterre et aux années heureuses de son mariage avec Henry VIII qui ont bel et bien existé. Là aussi, une tranche d’histoire méconnue.
La citation
Je pourrais m’allonger par terre et te laisser faire tout ce que tu désireraisMarianne dans Normal People
À lire ailleurs
Alors que le processus de nominations des Emmy Awards – les Oscars du petit écran américain – est en cours, The Hollywood Reporter plaide la cause de séries et d’acteurs sous-estimés dont ils aimeraient voir le talent récompensé. Êtes-vous d’accord avec leurs coups de cœur ? Découvrez-le ici.
Parlons-en!
Cette newsletter reprendra le lundi 27 juillet. D’ici là, faites-moi part de vos remarques, de vos questions, de vos coups de cœur à [email protected].
Source: © «Faim de série» N°18 : les sublimes affinités électives de Normal People