De plus en plus discrédité, l’ancien souverain a fait part à son fils, le roi Felipe VI, de sa « décision réfléchie » de s’exiler. Il doit faire face à des accusations de corruption.
Partir pour sauver la monarchie. S’effacer pour protéger une couronne qu’il avait pourtant contribué à redorer. Eclaboussé par les affaires, l’ancien roi Juan Carlos a annoncé lundi 3 août qu’il quittait l’Espagne afin d’épargner à son fils, l’actuel souverain Felipe VI, l’humiliation des scandales à répétition dont il a fait l’objet.
« Guidé (…) par la conviction de rendre le meilleur service aux Espagnols, à leurs institutions, et à toi en tant que roi, je t’informe de ma décision réfléchie de quitter, en ce moment, l’Espagne », a écrit l’ancien souverain, cité dans un communiqué de la maison royale. Décision prise devant « les conséquences publiques de certains événements passés de ma vie privée », a-t-il ajouté.
Le parquet du Tribunal suprême a, en effet, ouvert en juin une enquête sur Juan Carlos pour déterminer si l’ancien roi pouvait faire l’objet d’investigations dans un dossier de corruption présumée lors de l’attribution d’un contrat de train à grande vitesse par l’Arabie saoudite, dernier épisode d’une longue série de révélations qui ont entaché la réputation de l’ex-monarque.
Le gouvernement espagnol a choisi dans un premier temps de ne faire aucun commentaire. Des sources proches du premier ministre, Pedro Sanchez, ont parlé de « respect des décisions » prises par Felipe VI et ont souligné l’« exemplarité » et le désir de « transparence qui ont toujours guidé le roi depuis qu’il est le chef de l’Etat ».Article réservé à nos abonnés Lire aussi Après les révélations sur la fortune cachée de son père, Juan Carlos, en Suisse, le roi Felipe VI le répudie
Nouvelles « troublantes » et « inquiétantes »
Les scandales de Juan Carlos, 82 ans, préoccupaient de plus en plus l’exécutif. Début juillet, M. Sanchez était sorti de sa réserve pour estimer que les nouvelles sur l’ancien monarque étaient « troublantes » et « inquiétantes ». Le chef du gouvernement devait s’exprimer mardi 4 août, après le conseil des ministres.
Le deuxième vice-président et leader du parti de gauche radicale Podemos, lui, n’a pas attendu. « La fuite à l’étranger de Juan Carlos de Bourbon est une attitude indigne d’un ancien chef d’Etat et laisse la monarchie dans une position très délicate », a estimé Pablo Iglesias sur Twitter en demandant que l’ancien souverain soit « tenu responsable de ses actes ».
De même pour les formations indépendantistes catalanes, très antimonarchique. « L’Espagne a un voleur en moins (…). La mauvaise nouvelle est qu’il ne finira ni en prison ni devant un juge, mais dans une villa à Saint-Domingue », a déclaré, pour sa part, le porte-parole parlementaire de la Gauche républicaine de Catalogne, Gabriel Rufian.
Nettement plus modéré, le Parti socialiste a exprimé son soutien au « travail et à l’engagement » de Felipe VI. Pablo Casado, tête de file du Parti populaire (conservateur) a voulu souligner « le rôle déterminant et décisif » de Juan Carlos à la fin du régime de Franco en 1975.
Cohabitation devenue compliquée au palais
Lorsque le communiqué a été rendu public, en fin d’après-midi, l’ancien monarque avait déjà abandonné le palais de la Zarzuela, où il était resté après son abdication, en juin 2014, et qu’il aura finalement occupé durant cinquante-huit ans. C’est là également que réside son fils, une cohabitation devenue de plus en plus compliquée pour une institution qui est loin de faire l’unanimité.
La nouvelle destination de l’ancien monarque n’a pas été annoncée. Juan Carlos est parti seul. Son épouse, la très populaire reine Sofia, s’est installée fin juillet, comme chaque été, dans la résidence de Marivent, à Palma de Majorque (îles Baléares) où Felipe VI devrait la rejoindre ce week-end, avec sa femme, la reine Letizia, et ses deux filles, les infantes Léonor et Sofia.
Le départ de Juan Carlos ne met pas fin à ses déboires judiciaires. L’ancien monarque a voulu faire savoir, à travers son avocat, Javier Sanchez-Junco Mans, qu’il « restait à la disposition » de la justice. L’ancien souverain a perdu son immunité totale lorsqu’il a abdiqué au profit de son fils.
Juan Carlos a longtemps été une figure très populaire. Mais tout a basculé en avril 2012. Alors que les Espagnols souffraient de la grande récession, ils apprenaient que leur roi s’était cassé la hanche lors d’un safari de luxe au Botswana payé par un homme d’affaires saoudien en compagnie de sa maîtresse, une femme d’affaires allemande, Corinna Larsen, plus connue du nom de son ex-mari – un prince allemand – comme Corinna zu Sayn-Wittgenstein.
Ce sont les déclarations de cette dernière qui ont mis le procureur suisse Yves Bertossa sur la piste de la fortune de Juan Carlos et qui ont révélé l’existence d’une fondation domiciliée au Panama qui aurait servi à cacher un « don » du gouvernement saoudien de 100 millions de dollars, versé en 2008 dans le cadre de l’attribution de la construction d’un TGV entre La Mecque et Médine à un consortium d’entreprises espagnoles.Article réservé à nos abonnés Lire aussi La monarchie espagnole en pleine tourmente
Proche de la monarchie de Riyad
L’ancien souverain a toujours été proche de la monarchie de Riyad et ne s’en est jamais caché. En avril 2018, lors d’un voyage officiel en Espagne, le prince héritier Mohammed Ben Salman, racontait, lors d’une rencontre avec les journalistes, que Juan Carlos était l’une des rares personnes à avoir le numéro de portable de son père, le roi Salman Ben Abdel Aziz Al-Saoud.
L’affaire révélée par la Tribune de Genève en mars de cette année fait l’effet d’une bombe. Le 15 mars, pour calmer le jeu, le roi Felipe a décidé de retirer à son père les fonds officiels qui lui étaient alloués (195 000 euros par an). Après être apparu comme le deuxième bénéficiaire de la fondation utilisée par ce dernier pour occulter son patrimoine, il a aussi renoncé à tout héritage futur « afin de préserver l’exemplarité de la Couronne ».
Le feuilleton est loin d’être fini. Corinna Larsen doit être entendue par la justice espagnole le 8 septembre dans le cadre d’une enquête contre un ancien policier véreux, le commissaire José Manuel Villarejo, a qui elle avait raconté, dès 2015, le « don » de 65 millions de dollars que lui a fait Juan Carlos en 2012.
L’ancien souverain maintenait un profil bas depuis juin 2019, quand il avait annoncé qu’il se retirait de la vie publique. Il avait pratiquement disparu. Fin janvier, on l’avait entraperçu lors des funérailles de sa sœur, l’infante Pilar.
Partir, geste particulièrement symbolique
Partir est un geste particulièrement symbolique pour un roi né en exil (à Rome en 1938), dont le père, Jean de Bourbon, a presque toujours vécu au Portugal, et dont le grand-père, Alphonse XIII, a lui aussi dû quitter l’Espagne, après la proclamation de la République en 1931.
Si la décision n’a pas de conséquences d’un point de vue institutionnel, c’est une page de l’histoire de l’Espagne qui se tourne, un épilogue peu glorieux pour une fin de règne qui se prolonge depuis plus de huit ans. Dans son éditorial, le quotidien El Pais, a parlé mardi 4 août d’une « distance nécessaire avec le chef de l’Etat » afin d’assurer « la stabilité des institutions ».
L’ancien souverain garde le titre de roi et fait toujours officiellement partie de la famille royale. En 2015, Felipe VI avait été plus sévère avec sa sœur, l’infante Cristina, lorsque le mari de cette dernière, Iñaki Urdangarin, avait aussi été mêlé à des affaires de corruption. Il lui avait alors retiré son titre de duchesse de Palma.
Lire aussi Valise de billets en Suisse, fondation opaque au Panama : Juan Carlos, désarroi d’Espagne
Isabelle Piquer(Madrid, correspondance Le Monde)
Source:© Espagne : l’épilogue peu glorieux du règne de Juan Carlos, qui quitte le pays face aux affaires
0 Comments
josé
IL a volè personne juste une commission habituelle avec un pays Arabe !
dont il n’avait pas besoin ? Cherchez la femme !
Reconnaissance indéflectible pour la transition démocratique sans violence
opposition au coup d etat militaire qui avait effrayé les partis traditionnels
VIVA DIOS LA PATRIA Y EL REY