Le « Manifeste contre le nouvel antisémitisme » publié par le Parisien, et signé par plus de 300 personnalités et plusieurs milliers de citoyens, est salutaire, utile, et parfois maladroit. Salutaire parce qu’il a le mérite de mettre enfin des mots sur un mal immuable, dont les auteurs et les manifestations peuvent changer, mais dont la nature intolérable perdure. Oui, la France est devenue le théâtre d’un antisémitisme qui a déjà assassiné depuis douze ans 11 juifs parce que juifs, et cet antisémitisme n’est pas l’affaire des seuls juifs mais de tous les Français. Marianne n’a cessé d’alerter contre la sanglante résurgence de ce fléau et d’oser dire, comme les auteurs du manifeste, que ce « nouvel antisémitisme » est bien l’œuvre d’islamistes qui ont baigné dans une certaine interprétation de l’islam.
Pointer ce danger ne signifie pas que l’antisémitisme serait devenu la chasse gardée de musulmans radicalisés – hélas, des pans entiers de la société française, à commencer par l’extrême droite, continuent de patauger dans cette fange -, ni, bien entendu, que tous les musulmans seraient antisémites. Il est temps de s’alarmer aussi de la cécité conjointe d’une partie de la gauche radicale et d’une poignée d’élus qui, par électoralisme, ferment les yeux sur une réalité dérangeante.
Il nous faut applaudir ce courage qui enterre cette billevesée répétée par quelques faux naïfs selon laquelle le terrorisme n’aurait “rien à voir avec l’islam”
Ce texte est utile parce qu’il porte le débat sur un aspect lui aussi depuis trop longtemps tabou, l’interprétation belliqueuse de certains versets du Coran par quelques imams radicaux. Deux jours plus tard, la publication dans le Monde d’un autre appeld’un autre appel, signé celui-là par 30 imams soucieux de « servir la République française », est venue valider cette alerte. Soucieux de combattre l’antisémitisme et le terrorisme, ces religieux s’alarment des « lectures et des pratiques subversives de l’islam » qui « sévissent dans la communauté musulmane […], d’une situation cancéreuse à laquelle certains imams ont malheureusement contribué ». « Le courage nous oblige à le reconnaître », écrivent les auteurs de cette tribune, et il nous faut applaudir ce courage qui enterre cette billevesée répétée par quelques faux naïfs selon laquelle le terrorisme n’aurait « rien à voir avec l’islam ». Bien sûr que si, et ce sont des imams qui le disent ! Non, l’islam n’est pas, par nature, antisémite et terroriste, mais, oui, cette religion est, comme l’écrivent ces 30 imams républicains, menacée de « confiscation par des criminels » qui tentent d’enrôler une « jeunesse ignorante, perturbée et désœuvrée .
Pour repousser ce péril qui les menace, il appartient aux musulmans de se mobiliser, aux côtés de tous les autres citoyens français. C’est pourquoi on peut regretter l’usage de certaines formules provocatrices qui écornent la bonne volonté des auteurs du « Manifeste contre le nouvel antisémitisme ». Comparer le niveau de menaces qui pèsent sur les juifs de France à celui qui concerne les musulmans ou recourir à l’expression déplacée d’« épuration à bas bruit » pour évoquer le déménagement, hélas réel, de près de 50 000 juifs d’Ile-de-France, sont des fautes d’autant plus regrettables qu’elles ont donné des armes aux tartuffes. Plutôt que de célébrer l’essentiel, à savoir l’appel à la mobilisation de tous les Français, pour faire de la lutte contre l’antisémitisme une « cause nationale », ceux-là se sont acharnés sur l’accessoire en disséquant quelques expressions regrettables. Ainsi, indignés de ces « effets pervers », nos confrères de Libération ont brandi la protestation de Dalil Boubakeur pour élever le recteur de la Grande Mosquée de Paris au panthéon des « responsables musulmans les plus pacifiques, les plus ouverts et les plus tolérants » . Hélas, ils ont oublié de rappeler que le même Dalil Boubakeur est si « tolérant » … qu’il avait porté plainte en 2006 contre Charlie Hebdo parce qu’il jugeait blasphématoire la publication des caricatures du prophète Mahomet.
Est-il besoin de rappeler que c’est cet acte de défense de la liberté d’expression qui fut à l’origine, neuf ans plus tard, du massacre de nos amis ? D’autres ont fantasmé une « logique dévastatrice » qui viserait à expulser les musulmans de la communauté nationale alors que le manifeste vise, à l’inverse, à les y intégrer en les débarrassant de la gangrène islamiste. Mais qu’importe ces pudeurs de gazelle. Quand à Berlin, au lendemain d’une violente agression antisémite, le président du Conseil central des juifs d’Allemagne se résout à « déconseiller » à ses coreligionnaires de porter la kippa dans la rue, l’essentiel est qu’à Paris les yeux se dessillent enfin. L’orage antisémite gronde. L’urgence est à la mobilisation de tous, sans exception, tant, comme l’écrivait Aragon, quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, fou qui songe à ses querelles, au cœur du commun combat.
Renaud Dély Directeur de la rédaction Marianne