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Les inégalités dont les femmes font l’objet sont régulièrement au centre de l’actualité, quand celles qui touchent les hommes passent sous les radars médiatiques. Adobe Stock
DÉCRYPTAGE – Toxiques, violents, amateurs de barbecues, pollueurs, on peint plus facilement les hommes en coupables qu’en victimes. Pourtant, ils sont eux aussi touchés par d’inquiétantes inégalités.
Source:© En Occident, ces inégalités dont les hommes sont victimes

DÉCRYPTAGE – Toxiques, violents, amateurs de barbecues, pollueurs, on peint plus facilement les hommes en coupables qu’en victimes. Pourtant, ils sont eux aussi touchés par d’inquiétantes inégalités.

Cette question paraît aujourd’hui insensée : les hommes sont-ils victimes de discriminations ? En effet, les inégalités dont les femmes font l’objet sont régulièrement au centre de l’actualité, quand celles qui touchent les hommes passent sous les radars médiatiques. Toxiques, violents, amateurs de barbecues, pollueurs, on peint plus facilement les hommes en coupables qu’en victimes. Certes, les femmes demeurent les principales victimes des violences sexistes et sexuelles, en dehors comme au sein du couple. Mais, en cette première moitié de XXIe siècle, il semble qu’un profond malaise hante la condition masculine.

 

C’est la thèse de Richard V. Reeves dans un essai, Of boys and men (Swift Press, 2022), paru en septembre dernier au Royaume-Uni. Centriste à l’anglo-saxonne, senior fellow du think-tank américain La Brookings, ancien conseiller du libéral britannique Nick Clegg, premier vice-premier ministre du gouvernement de David Cameron de 2010 à 2015, Reeves n’est pas à ranger du côté des masculinistes. L’auteur y interroge les défis structurels qui se posent aux hommes dans une société qui leur est inadaptée.

De nombreuses études s’arrêtent sur les discriminations à l’embauche des femmes et les écarts de salaire. Récemment, le « Baromètre Sexisme 2023 », réalisé par l’institut Viavoice pour le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes, pointait les injustices qu’aurait subies plus d’un tiers des femmes dans leur choix d’orientation professionnelle et à poste ou compétences égales. Aux États-Unis, le National Partnership for Women and Families expliquait en 2016 que pour chaque dollar gagné par un Américain, sa collègue ne touchait que quatre-vingts centimes. Mais s’intéresse-t-on suffisamment aux inégalités qui touchent les hommes sur le marché du travail ?

Alors que le taux d’employabilité des femmes augmente, celui des hommes diminue, en particulier chez les jeunes âgés de 25 à 34 ans, rapporte Reeves. En 1979, aux États-Unis, 60% des femmes touchaient 20 dollars de l’heure ou moins, contre 30-32% des hommes. En 2019, cet écart se resserre, 42-43% des femmes touchent 20 dollars de l’heure ou moins, contre 36-37% des hommes. La véritable différence salariale est désormais ailleurs : elle n’est plus sexiste, mais d’ordre socio-économique ; elle se creuse entre les plus riches et les plus pauvres de la société, qu’ils soient des femmes ou des hommes. En France, les hommes représentent 51,8% des chômeurs. Et bien que le taux d’activité des femmes reste plus faible que celui des hommes, la part de personnes au chômage, rapportée à l’ensemble de la population âgée de 15 à 64 ans, demeure plus faible pour les femmes: 5,4% en 2020, contre 6,1% pour les hommes.

Si les hommes occupent en majorité les postes de direction, ils exercent aussi l’ensemble des métiers pénibles. Ils représentent 97% des conducteurs de poids lourd, 98,5% des ouvriers du bâtiment, et 97% des ripeurs, 92% des livreurs de plateformes, 87% des opérateurs de grue, 98% des pêcheurs en haute mer… Et également l’essentiel des emplois liés à la sécurité ou au maintien de l’ordre : 84% des policiers municipaux, 73% des policiers nationaux, 82% des gendarmes, 97% des CRS, 84,5% des militaires, 80% des sapeurs-pompiers.

Les filles mieux éduquées que les garçons

Les hommes arrivent d’autant moins à s’en sortir que l’écart se creuse dès leurs années de formation, à l’école puis dans le supérieur. Soulignons d’abord que ces données concernent des pays Occidentaux, dans lesquels l’accès à l’école est garanti pour les deux sexes. Car dans le monde, des millions de filles sont toujours privées d’éducation. En tête du classement PISA en 2009 (mené tous les trois ans par l’OCDE, il permet de mesurer les acquis des élèves et les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres), la Finlande se maintient depuis 2013 dans le top 10. Ses résultats font pâlir d’envie ses voisins, à commencer par la France. Néanmoins, à y regarder de plus près, des divergences de résultats se font jour en fonction du sexe: 20% des Finlandaises ont un niveau de lecture supérieur au test, pour seulement 9% des garçons. Parmi les pires scores, les résultats sont inversés: 20% des garçons ont les moins bons résultats, contre 9% des filles. Au sein des pays de l’OCDE, les garçons ont 50% de chance de plus d’échouer dans les trois matières clés de l’éducation, à savoir les mathématiques, la lecture et les sciences.

Aux États-Unis, « les filles sont le sexe fort depuis des décennies », écrit Reeves. La part des filles étant prête à aller à l’école à l’âge de 5 ans est de 14 points plus élevée que la part des garçons. L’abîme s’accentue davantage encore entre les enfants riches et pauvres, blancs et noirs, et entre ceux qui ont été à l’école maternelle et ceux qui n’y ont pas été. Cet écart se poursuit également dans le supérieur. Depuis 1977, il existe plus de femmes que d’hommes diplômés à l’équivalent de bac +2. Il faut attendre 1981 pour voir cet avantage féminin advenir pour les bachelors (cinq ans post-bac) et 1991 pour les diplômes de troisièmes cycles. Le taux de femmes ayant obtenu un doctorat de dentiste, de médecine, ou de droit a bondi de 7% en 1972 à 50% en 2019, précise l’essayiste libéral.

La déchristianisation de nos sociétés aurait emporté avec elle les grands rites de passage de l’enfance à l’âge adulte. Alors que les menstruations indiquent aux jeunes filles qu’elles sont devenues des femmes, les adolescents ne savent plus se situer.

Selon Jean-Louis Auduc, spécialiste des sciences de l’éducation et enseignant, en France, « l’échec scolaire a un sexe » et il s’agit du masculin: 46,2% des garçons ont de très faibles capacités de lecture, quand 66,4% des filles ont de très bonnes capacités. Les résultats de PISA 2012 indiquent clairement que dans l’Hexagone, l’écart de performance en compréhension de l’écrit entre les sexes s’est creusé depuis le cycle PISA 2000, passant de 29 à 44 points de différence en faveur des fillesLes filles, durant leur scolarité, lisent donc plus vite et mieux que les garçons, redoublent beaucoup moins qu’eux à tous les niveaux du système éducatif, échouent moins dans l’obtention de qualifications, ont plus de mentions à tous les examens et diplômes, du second degré comme du supérieur, précise l’auteur de La fracture sexuée (Décitre, 2016) au Figaro. 83% des filles et 73% des garçons ont le baccalauréat, parmi eux une majorité de filles détiennent un bac général et la majorité de garçons un bac professionnel. En 2019, dans la tranche 24-34 ans, 52% des femmes en France ont fait des études longues, pour 44 % des hommes, rapportait Emmanuel Todd dans un entretien au Figaro .

Comment s’expliquent ces difficultés d’apprentissage pour les garçons ? Trois hypothèses font débat. D’un côté, certains spécialistes estiment que les attentes envers les garçons sont plus faibles qu’envers les filles. Peu stimulés, ils décrocheraient progressivement au cours de leur parcours scolaire, analysent les chercheurs Nicole M. Fortin, Philip Oreopoulos et Shelley Phipps dans leur article « Leaving Boys Behind: Gender Disparities in High Academic Achievement » paru dans le Journal of Human Resources. D’autres experts, comme Benjamin Zablotsky, qui a étudié le développement d’enfants américains entre 2009 et 2017, craignent qu’il puisse exister un biais chez les enseignants, dont les trois quarts sont des femmes, en défaveur des élèves de sexe masculin. Une dernière hypothèse, enfin, notamment étudiée par l’universitaire américaine, spécialisée dans le développement psychologique des adolescents, Laurence Steinberg, postule que le cerveau des garçons se développerait moins vite que celui des filles, ce qui desservirait l’apprentissage de ceux-ci dans le secondaire. Selon elle, l’enseignement ne serait donc pas adapté à leurs capacités psycho-cognitives. Pour Jean-Louis Auduc, l’explication se trouve ailleurs. La déchristianisation de nos sociétés aurait emporté avec elle les grands rites de passage de l’enfance à l’âge adulte. Alors que les menstruations indiquent aux jeunes filles qu’elles sont devenues des femmes, les adolescents ne savent plus se situer. Ils peuvent alors adopter au cours de leur jeunesse des comportements de rupture, explique le spécialiste de l’éducation, qui se révèlent par un décrochage scolaire, ou par des comportements à risque, comme la consommation excessive d’alcool ou de drogues.

Des hommes inutiles à la vie du foyer

Si l’on peut se féliciter de la réussite scolaire et professionnelle des femmes, la féminisation du marché du travail est en partie à l’origine de la crise que subit la famille traditionnelle. En effet, jusque dans les années 1960-70, les mères étaient chargées de prendre soin de leur enfant et du foyer, tandis que les pères devaient fournir au ménage un salaire pour subsister. Selon Reeves, cette division nette du travail sur laquelle reposait la famille traditionnelle – et ce, outre les défauts que comportait ce modèle – faisait d’elle «une institution sociale efficace parce qu’elle rendait les hommes et les femmes tous les deux nécessaires.»

Aujourd’hui, comme le mari, le père n’est plus indispensable. Selon l’OCDE, en France, le nombre de mariages pour 1000 personnes a été quasiment divisé par deux depuis 1960. Parallèlement, les divorces sont devenus courants. Ainsi, en 1960, on comptait 10 mariages pour un divorce contre 1,76 mariage pour un divorce, en 2011. Le phénomène est ambigu pour les pères, analyse Lætitia Strauch-Bonart, dans un essai très fourni Les hommes sont-ils obsolètes (Fayard, 2018). S’ils s’impliquent de plus en plus dans l’éducation des enfants, leur rôle symbolique a changé. En témoigne, selon elle, la hausse des naissances hors mariage, qui ont progressé de près de 30% depuis 1970. « Le père a beau être là en chair et en os, son éloignement est rendu possible par une plus faible formalisation du lien entre les deux parents: de fait, les unions libres sont plus faciles à défaire que les mariages », affirme la journaliste et essayiste.

Les pères les plus défavorisés économiquement et socialement sont ceux qui se voient retirer le plus souvent la garde de leur enfant. 40% ont arrêté l’école en sortant du lycée, et 7% seulement sont diplômés du supérieur.

Les pères les plus défavorisés économiquement et socialement sont ceux qui se voient retirer le plus souvent la garde de leur enfant. 40% ont arrêté l’école en sortant du lycée, et 7% seulement sont diplômés du supérieur. En 2020, 1 enfant sur 5 (21%) aux États-Unis vivait avec sa mère uniquement, c’était deux fois moins en 1968. Dans les six ans suivant la séparation de leurs parents, un enfant sur trois n’a jamais vu son père, et dans des proportions similaires l’a vu seulement une fois par mois.

Les taux sont comparables en France. Selon l’Insee, 76% des enfants de parents divorcés vivent uniquement chez leur mère, contre 9% chez leur père et 15% en résidence alternée. Toutefois, les pères restent une minorité à réclamer la garde de leur enfant. Selon les chiffres du Collectif Onze, regroupant quarante-huit sociologues, dans environ deux tiers des dossiers, les parents demandent conjointement la fixation de la résidence des enfants chez la mère. Dans un quart des dossiers, ils demandent une résidence alternée. Que les parents soient d’accord ou non sur les procédures de séparation, ils s’entendent majoritairement pour que le lieu de résidence des enfants soit fixé chez la mère. Par ailleurs, à profession des parents égale, les hommes sont moins prompts à faire des concessions professionnelles qu’une femme pour se consacrer à leur progéniture. Au sein des familles, cette disparité demeure. Bien que les hommes prennent de plus en plus part à l’éducation des enfants, les mères y consacrent entre 71% et 81% de leur temps disponible, et entre 53% et 65% pour les pères, selon une étude de la DARES datant de 2017.

Le malaise masculin

La transformation de la relation économique entre les deux sexes, qui s’est opérée en quelques décennies, n’a pas permis aux hommes de trouver leur place. De plus en plus seuls, ils se remettent de moins en moins bien de leur divorce. Ils souffrent d’une solitude affective et relationnelle : 15% des hommes déclarent ne pas avoir d’amis proches en 2020 – ils étaient 3% en 1990, rapporte Reeves. En 2017, l’espérance de vie des hommes aux États-Unis a diminué de deux ans pour la première fois dans un pays occidental depuis la Seconde Guerre mondiale. Et ce, en particulier dans les états désindustrialisés, chez cette classe moyenne blanche et déclassée, qui votera majoritairement Trump. Sont également responsables de cette baisse de l’espérance de vie les « morts violentes » : homicides, suicides, overdoses. Le Prix Nobel d’économie Angus Deaton et l’économiste Anne Case ont qualifié ces cas de « morts de désespoir ». En France, l’écart moyen d’espérance de vie entre les femmes et les hommes est de six ans. Les hommes se suicident trois plus que les femmes. Ils sont aussi ceux qui souffrent le plus de la grande pauvreté : 80% des SDF du territoire hexagonal sont des hommes isolés.

Selon Lætitia Strauch-Bonart: « Il y a ce sentiment diffus, chez certains, d’avoir perdu leur raison d’être, parce que le monde d’aujourd’hui leur montre, de façon subliminale, qu’ils n’y apportent plus grand-chose »Primé à Cannes en 2022 et nommé aux Oscars 2023 dans la catégorie meilleur film étranger, le film du réalisateur belge Lukas Dhont, «Close», évoque cette crise occidentale de la masculinité. Les liens d’amitié qui unissent Léo et Rémi sont éprouvés au moment de leur entrée au collège. Pour ne pas subir le soupçon de l’homosexualité, les jeunes garçons s’isolent et embrassent les stéréotypes masculins, jusqu’à la disparition de leur intimité fraternelle. L’évocation du malaise masculin, encore rare au cinéma, est très présente dans la littérature, des romans de Michel Houellebecq à ceux de Patrice Jean. « De nos jours tout le monde a forcément, à un moment ou à un autre de sa vie, l’impression d’être un raté », écrit l’auteur de l’Extension du domaine de la lutte. Peut-être résumait-il ainsi le sentiment qui gagne progressivement nos pères, nos époux, nos frères et nos fils ?

 

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