L’ancien premier ministre compte sur son allié, le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, pour convaincre les abstentionnistes et retrouver sa majorité perdue aux législatives du 1er novembre.Source: ©En Israël, la campagne éclair du « roi Bibi » pour revenir au pouvoir
Deux heures de retard, vingt-cinq minutes en scène, et Benyamin Nétanyahou file déjà ailleurs. La campagne du « roi Bibi » pour les législatives israéliennes du 1er novembre est une affaire rapide. Clignez des yeux et vous l’aurez manquée. Lundi 24 octobre, jusque tard dans la nuit, l’ancien premier ministre israélien parcourt le nord du pays, de la frontière libanaise au lac de Tibériade. Dans un parc juché sur les hauteurs de la grande cité mi-touristique, mi-religieuse, qui borde ces eaux, ils étaient quelques centaines à l’attendre.
L’étape a été annoncée en début d’après-midi. M. Nétanyahou, 73 ans, n’a même pas serré la main des responsables locaux de son parti, le Likoud, la première formation politique d’Israël, reléguée dans l’opposition en juin 2021, pour la première fois depuis douze ans. Il ne fait plus meeting. Il se contente d’apparaître face aux siens, comme dans l’une des microvidéos qu’il partage sur le réseau TikTok.
Il se tient dans un bus fermé sur l’un des côtés par une vitre blindée transparente. A ses côtés, dans ce bocal, sous un déluge de lumière blanche : son épouse, Sarah, et trois députés du Likoud. Le plus puissant orateur d’Israël a fini par réduire son message à un clip de une minute, qu’il répète en boucle. Paternel, il tance les siens : « Vous êtes la majorité, mais vous ne votez pas ! » Ou pas assez. Le premier ministre, Yaïr Lapid, « hait Israël ». Son gouvernement, tombé au bout d’un an à peine, est un échec. L’inflation galope. Il fait sonner un gros réveil à cloches : « Je suis là pour vous réveiller. » En ce cinquième scrutin depuis 2019, M. Nétanyahou n’a plus à argumenter. Il ne cherche qu’à mobiliser les abstentionnistes, pour gagner un ou deux sièges au Parlement, qui lui rendraient sa majorité évaporée (61 députés sur 120).
Un courant idéologique jusque-là pestiféré
Dans l’assistance, Tiki Yeruham, 67 ans, a tenté jusqu’au bout de rameuter ses copines, au téléphone. Professeure d’arabe à la retraite, divorcée, elle a oublié ses réserves vis-à-vis du vieux leader. « Parce que les gens le haïssent sans raison. Ils disent non à “Bibi”, non à “Bibi”, mais pourquoi ? » Son procès pour corruption, qui reprend ce mardi 25, à Jérusalem, ne l’intéresse pas : « Ils veulent le pendre avant le verdict. » Mme Yeruham ne connaît personne qui ne sache, depuis plusieurs années, pour qui il va voter. Seule nouveauté : nombre de ses amies se rangent derrière le suprémaciste juif Itamar Ben Gvir, meneur du mouvement Sionisme religieux et allié du Likoud.
Tiki Yeruham veut que le Likoud soit « fort ». Mais Ben Gvir l’enthousiasme. Jusqu’aux affrontements entre Juifs et Arabes, qui ont emporté les villes « mixtes » du pays, en mai 2021, elle ignorait poliment ses voisins arabes. « Depuis, je sais qu’ils n’attendent qu’une occasion de trahir l’Etat et le peuple juif. » Elle a « peur d’aller à Jérusalem ». La vague d’attentats menés par des Palestiniens, qui ont fait dix-huit morts au printemps en Israël, l’a marquée. Elle se préoccupe d’une intifada larvée, qui court en Cisjordanie sous la répression de l’armée.
Patronné par M. Nétanyahou, Itamar Ben Gvir a rejoint le Parlement en 2021. Les sondages promettent treize ou quatorze sièges à son mouvement. Cela en fait le troisième parti d’Israël. Cet ancien avocat est désormais en roue libre. On le croirait déjà vainqueur. La semaine passée, il a brandi un pistolet au beau milieu du quartier palestinien de Cheikh Jarrah, à Jérusalem, et tenté d’ordonner aux policiers de faire feu sur des jeteurs de pierres. M. Ben Gvir n’est pas un extrémiste de plus, avec lesquels M. Nétanyahou a toujours pactisé. En l’amenant à lui, l’ancien premier ministre réintègre un courant idéologique qui demeurait pestiféré depuis les années 1980 pour l’ensemble des partis israéliens. A l’époque, le Likoud avait même approuvé une modification d’une des Lois fondamentales du pays pour bannir de la vie politique son mentor, le rabbin Meir Kahane.
Attaques contre les institutions
M. Ben Gvir a fait le tri dans son héritage : il a décroché d’un mur de son domicile un portrait de Baruch Goldstein, qui avait tué vingt-neuf Palestiniens au tombeau des Patriarches d’Hébron, en 1994. Dans la guerre de tranchées où Israël s’est enlisé, « il est le seul à amener dans le camp de droite de nouveaux électeurs, qui n’auraient pas voté sans lui. Il peut apporter la victoire à Nétanyahou », reconnaît un influent député du Likoud, Tzachi Hanegbi. M. Ben Gvir a capté les électeurs religieux écœurés par la « trahison » de Naftali Bennett, qui a porté le coup de grâce à M. Nétanyahou, à l’été 2021, en prenant brièvement la tête du gouvernement. Il séduit de jeunes ultraorthodoxes en rupture avec leurs rabbins, au sein d’une communauté qui demeure inféodée au « bloc » de droite de M. Nétanyahou. Il attire quelques laïques.
Fort de sa popularité, Itamar Ben Gvir réclame déjà le ministère de la sécurité publique, dans un gouvernement de droite pure. Son allié, Bezalel Smotrich, veut la défense. M. Nétanyahou leur promet vaguement des ministères subalternes. Jamais il ne s’est laissé photographier au côté de M. Ben Gvir. La semaine passée, il l’a contraint à descendre d’une estrade avant d’y monter lui-même. Cet allié encombrant rend inaudible la campagne que M. Nétanyahou mène auprès de quelques électeurs de droite « modérés », qu’il espère faire changer de camp. Il trouble son face-à-face avec son successeur, Yaïr Lapid. Ses provocations risquent de mobiliser les partis de gauche et de la minorité arabe (20 % de l’électorat), apathiques.
M. Ben Gvir et les siens ont repris les attaques contre les institutions israéliennes – justice, médias, police – que M. Nétanyahou menait jusqu’ici. Ils proposent une réforme radicale de la justice. Ils souhaitent que le Parlement puisse passer outre ses objections, et que le gouvernement nomme directement les juges. Dans le quotidien de gauche Haaretz, les tribunes s’enchaînent pour dénoncer un « assassinat de la démocratie », une « théocratie à l’iranienne ». Ces alliés entendent aussi prémunir tout parlementaire, de façon rétroactive, des accusations en justice contre lesquelles M. Nétanyahou bataille actuellement – cela mettrait fin à son procès. « Souvent, je rencontre des amis qui cherchent à m’aider plus que je n’en ai besoin », a-t-il tempéré, assurant que son procès irait à son terme.
Louis Imbert(Jérusalem, correspondant)