
ANALYSE – Depuis sa réélection, le président de la République enchaîne les déconvenues. À l’Élysée, l’atmosphère est pesante, presque celle d’une fin de règne.
Dans les urnes de l’Assemblée nationale, les députés du RN et de la Nupes n’ont pas mêlé que leurs voix pour voter la motion de censure contre le gouvernement. Quelques instants plus tôt, à la tribune, les orateurs des deux formations ont aussi partagé les mêmes mots pour décrire le climat politique du moment. Celui d’une «fin de règne» pour Emmanuel Macron. À quatre ans et demi de la prochaine élection présidentielle, c’est tôt.
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Depuis sa réélection, Emmanuel Macron a enchaîné les déconvenues. À commencer par l’acte fondateur de son second mandat: la nomination du premier ministre. Il voulait tendre la main à la droite en installant Catherine Vautrin à Matignon ; son entourage s’est rebiffé et lui a imposé Élisabeth Borne. Il soutenait la candidature de Roland Lescure pour le perchoir ; ses députés lui ont préféré Yaël Braun-Pivet. Il espérait rassembler le pays autour de son Conseil national de la refondation ; les principaux invités lui ont claqué la porte au nez. Il pensait faire passer la réforme des retraites en amendant le projet de loi de finances de la Sécurité sociale ; son allié de la première heure François Bayrou lui a opposé une fin de non-recevoir…
Quant aux rares succès enregistrés, comme le vote de la réforme de l’assurance-chômage ou les mesures pour le pouvoir d’achat, ils ne corrigent pas l’impression d’ensemble d’un président de la République bien en peine de prendre en main son second mandat. Comme si Emmanuel Macron était arrivé en bout de course, en fin de cycle. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si tout ce qui avait fait son succès initial lui revient aujourd’hui façon boomerang.
Un brutal retour en arrière pour le chef de l’État
Au fondement de l’engagement en politique d’Emmanuel Macron, il y a l’obsession de la liberté. C’est ce qui le pousse à s’orienter vers la banque d’affaires, à sa sortie de l’ENA, sur les conseils d’Alain Minc. Gagner beaucoup d’argent très vite pour assurer son indépendance et ne pas avoir à dépendre d’un parti politique, d’un courant ou d’une écurie pour se déployer. De cette liberté est née son aventure présidentielle de 2017. Seul contre tous, sans compromis. Avec au cœur de son projet l’émancipation des individus et la lutte contre les «vies empêchées». Ironie de l’histoire, c’est sa vie politique qui est aujourd’hui empêchée par un Parlement qui n’est plus à sa main. Et qui le ramène, ironie là encore, au fondement de son ambition présidentielle, l’article 49-3 de la Constitution. Celui-là même qu’il se faisait fort d’éviter lorsque, ministre de l’Économie en 2015, il défendait sa loi Macron devant le Parlement. Il s’agissait alors de réussir à dépasser les clivages partisans, par-delà la droite et la gauche déjà. En brandissant le 49-3 pour faire passer le texte, le premier ministre de l’époque, Manuel Valls, avait coupé court à l’expérience. Et conforté Emmanuel Macron dans son ambition présidentielle.
Sept ans plus tard, c’est un brutal retour en arrière pour le chef de l’État, contraint à son tour de recourir au 49-3 pour faire passer le budget, contraint de reconnaître aussi que le dépassement des clivages n’est plus à l’ordre du jour dans cette Assemblée. Désormais, ce ne sont plus que des accords ponctuels qu’il s’agit de négocier, un jour sur l’assurance-chômage avec la droite, le suivant sur le pouvoir d’achat avec la gauche, le jour d’après avec qui se laissera convaincre de voter tel ou tel texte. Le «cas par cas» a remplacé le «en même temps».
Entre l’apparition de frondeurs, l’impossibilité de transcender les clivages et le zigzag politique, Emmanuel Macron est en train de vivre ses pires cauchemars
Une figure du précédent quinquennat
«Emmanuel Macron est revenu aux marqueurs les plus communs de tout ce qui fait un président sous la Ve. Il est ballotté de droite et de gauche dans un zigzag très hollandais», cingle un visiteur du Palais. Mariage pour tous et déchéance de nationalité pour l’ancien président socialiste, installation des migrants dans les campagnes et projet de rétablir la double peine pour Emmanuel Macron. Ce grand écart à un coût, il provoque l’apparition de frondeurs dans la majorité. Ils se sont déployés à l’occasion du débat sur le budget avec l’amendement pour une taxe sur les superprofits déposé par Jean-François Mattei pour le MoDem, celui pour lutter contre les déserts médicaux en dissuadant les médecins de s’installer dans les zones bien pourvues déposé par Thomas Mesnier pour Horizons. «Entre l’apparition de frondeurs, l’impossibilité de transcender les clivages et le zigzag politique, Emmanuel Macron est en train de vivre ses pires cauchemars», résume une figure du précédent quinquennat.
Comment s’extraire de la nasse?
Pour couronner le tout, le chef de l’État enregistre une forte baisse de popularité, sur fond de grève dans les raffineries. Et subit sur ce conflit social un procès en impréparation intenté par ses oppositions. Chez Les Républicains, on stigmatise un président qui a perdu le contact avec le pays. «Ils ont eu du retard à l’allumage dans la crise des carburants à cause de leur manque structurel de capteurs sur le terrain et d’une hypercentralisation autour de Macron», assure le chef des députés LR, Olivier Marleix. Les départs contraints des grognards Richard Ferrand et Christophe Castaner après leur défaite aux législatives n’ont rien arrangé. «Macron a perdu ses éléphants de la politique, constate en privé Marine Le Pen, la patronne du groupe RN. Il ne voyait déjà plus ses députés, mais, maintenant, il n’est plus entouré que de techniciens. Il y en a de bons, mais ça ne remplace pas l’expérience de quarante ans de vie politique.»
Mais comment s’extraire de la nasse? Emmanuel Macron cherche la sortie. Il a déjà brandi la menace de dissolution si l’Assemblée nationale devait un jour voter une motion de censure. Si elle devait se montrer incontrôlable aussi. «Macron dissoudra quand il pensera que ça peut être positif pour lui. Son problème, c’est qu’il n’est pas sûr que ça puisse devenir positif pour lui à un moment dans le quinquennat», observe Marine Le Pen. Pour l’heure, le chef de l’État tente de s’accommoder de la majorité relative dont il dispose à l’Assemblée. «À la fin, il se considère comme dépositaire d’engagements pris devant les Français et qu’il veut appliquer, assure-t-on dans son entourage. Alors il va continuer à mettre en œuvre les transformations engagées comme il le fait depuis le début de son second mandat. Son gouvernement s’est adapté et a fait passer des textes malgré des oppositions qui cherchent à toute force le blocage. Lui garde son calme et avance.» Malgré le climat délétère qui règne à l’Assemblée nationale. «Après la présidentielle, Macron était rincé, reconnaît un ministre. Puis il a perdu les législatives. Il a eu un coup de blues, comme une forme de mélancolie. Là, je sens qu’il redevient plutôt batailleur.» Un autre membre du gouvernement met en garde: «Vu les difficultés à venir, il vaut mieux rester groupés. Chacun doit réaliser que le meilleur atout pour traverser les turbulences, c’est Macron lui-même.» Qui garde quelques cartes en main. Car la dissolution n’est pas le seul outil à sa disposition pour tenter de reprendre la main. En cas de blocage avéré à l’Assemblée nationale, il peut aussi en appeler aux Français et recourir au référendum.
J’aimerais parfois qu’il franchisse le Rubicon de façon plus franche, car la France est aujourd’hui majoritairement du côté du parti de l’autorité, de la fermeté, de la liberté
Nicolas Sarkozy
Autre solution, l’accord de coalition avec LR. Celui que Nicolas Sarkozy a suggéré à Emmanuel Macron dans le JDD . «J’aimerais parfois qu’il franchisse le Rubicon de façon plus franche, car la France est aujourd’hui majoritairement du côté du parti de l’autorité, de la fermeté, de la liberté, assure l’ancien président. Si j’avais un souhait, c’est que la matrice politique du président se rapproche davantage de la matrice du pays telle que je la ressens.» Problème, le scénario ne plaît ni à Emmanuel Macron, qui a déjà exploré la piste après les élections législatives, ni aux Républicains, qui ont fait du rejet du président l’axe de leur campagne de congrès.
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Quant à la contrainte constitutionnelle qui l’empêche de se représenter pour un troisième mandat, et donc de maintenir la cohésion des troupes, Emmanuel Macron a laissé circuler le scénario d’un retour en 2032. Pour calmer les ambitieux, à commencer par ceux qui s’agitent déjà au sein de sa propre majorité, Édouard Philippe et Bruno Le Maire en tête. Pour éloigner le scénario de la fin de règne de François Hollande aussi.
Comme son prédécesseur à l’Élysée, Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter à l’issue de son mandat. Si les causes sont bien différentes puisque l’empêchement est constitutionnel pour Emmanuel Macron alors qu’il était personnel pour un François Hollande rejeté par son camp, le risque est le même. Celui de voir le président de la République renvoyé à l’Élysée dans un rôle de gestionnaire des affaires courantes pendant que la campagne présidentielle se déploie. La période avait duré quatre mois et demi pour François Hollande, reclus dans un Palais de l’Élysée déserté. Celle qui s’ouvre devant Emmanuel Macron va durer quatre ans et demi. Assurément intenable.