ANALYSE – Gérald Darmanin se rend mercredi à Ajaccio pour tenter de rétablir l’ordre et d’aborder cette revendication des nationalistes jusqu’alors rejetée par l’exécutif.
C’est un tabou qu’Emmanuel Macron a décidé de briser. Confronté à une flambée de violences en Corse en pleine campagne présidentielle, depuis l’agression brutale d’Yvan Colonna par un codétenu djihadiste le 2 mars, le chef de l’État s’est résolu à ouvrir la voie à une revendication historique des nationalistes modérés: l’autonomie de l’île.
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Son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, commence mercredi une visite de deux jours à Ajaccio pour examiner cette piste avec les élus et tenter de rétablir l’ordre, après la manifestation qui a dégénéré en émeutes dimanche à Bastia. Gérald Darmanin l’a annoncé dans un entretien à paraître ce mercredi, dans Corse-Matin: «Nous, nous sommes prêts à aller jusqu’à l’autonomie. Voilà, le mot est dit. Après la question est de savoir ce qu’est cette autonomie. Il faut qu’on en discute.»
Une opposition depuis 2017
Les contours de ce scénario restent à préciser, mais s’il venait à aboutir, l’État n’exercerait ses compétences que dans les domaines régaliens – police, justice, armée. De son côté, l’exécutif local aurait toute liberté pour décider de ses règles en matière d’économie, de social et de santé. Une potentielle révolution dans l’organisation de l’Hexagone, jusqu’alors exclue par le gouvernement.
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Depuis son arrivée à l’Élysée, Emmanuel Macron s’est opposé à toutes les demandes en ce sens de l’autonomiste Gilles Simeoni, à la tête de l’île depuis 2015. Le chef de l’État, en visite à Bastia en février 2018, avait expliqué ne pas vouloir créer un nouveau statut pour ce territoire de 330.000 habitants – le cinquième depuis 1982. Il s’était contenté de promettre de mentionner la Corse dans la Constitution, avant que l’arrêt de la réforme des institutions laisse cet engagement sans effet.
Changement de paradigme
Après deux semaines de tensions dans l’île, marquées par les cris de «État français assassin», Emmanuel Macron a changé de paradigme. L’agression d’Yvan Colonna a ravivé la colère des nationalistes et a contraint le ministre de l’Intérieur à trouver une solution à la très explosive question corse. «Il faut faire avec. C’est un dossier sensible et compliqué, relève un collègue de Gérald Darmanin au gouvernement. Beaucoup s’y sont frottés et ont perdu des plumes.»
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Le gouvernement a cherché une voie de sortie dès la semaine dernière, en annonçant la levée du statut de «détenu particulièrement signalé» (DPS) des trois membres du «commando Érignac», condamnés pour leur participation à l’assassinat du préfet en 1998 – Yvan Colonna, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri. Un préalable à leur rapprochement dans la prison de Borgo (Haute-Corse), demandé à l’unanimité par les élus corses. Mais cette décision n’a pas suffi à apaiser les tensions.
Désormais chargé du dossier, Gérald Darmanin a donc annoncé lundi vouloir «ouvrir un cycle sans précédent de discussions» avec les élus locaux et les acteurs économiques. Un préalable a toutefois été posé par le ministre de l’Intérieur: le «retour au calme sans délai».
De vieux débats entre jacobins et décentralisateurs
En ouvrant la voie à l’autonomie, le gouvernement renonce à toute logique de bras de fer contre-productif avec Gilles Simeoni. Le président du Conseil exécutif de Corse, qui doit rencontrer Gérald Darmanin mercredi, a lui-même intérêt à sortir de l’impasse.
Depuis deux semaines, l’ex-avocat d’Yvan Colonna, prompt à dénoncer la «responsabilité de l’État» dans son agression, se retrouve débordé par des militants radicaux. Y compris par ses anciens alliés indépendantistes de Corsica Libera. «On ne contrôle plus rien, reconnaît son ami, le député autonomiste Michel Castellani. Les manifestants nous ont décrédibilisés, en obtenant plus d’avancées en sept jours que nous en sept ans.»
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Soutenue par les nationalistes comme par une partie de la droite locale, l’autonomie de la Corse pourrait raviver, à l’échelle nationale, de vieux débats entre jacobins et décentralisateurs. Une courte majorité de Français (53%) y sont favorables, selon un récent sondage Ifop pour Corse-Matin. Mais ce sujet a cessé d’être un point de discorde majeur dans la classe politique. Il faut dire que même des représentants de partis historiquement jacobins ont fini par s’y rallier, comme l’Insoumis Jean-Luc Mélenchon et la candidate des Républicains à la présidentielle, Valérie Pécresse.
Source:© Emmanuel Macron brise le tabou de l’autonomie de la Corse