L’ex-directrice de l’Académie européenne du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence prendra ses fonctions le 1er janvier 2020 pour un premier mandat de trois ans.
C’est une première pour le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). Le ministère de la culture a annoncé, samedi 14 décembre, la nomination d’Emilie Delorme, 44 ans, faisant de la Française, née le 23 novembre 1975 à Villeurbanne, la première femme de l’histoire à diriger la vénérable institution fondée en 1795. Un symbole fort après le brelan masculin qui vient de rafler la mise des places fortes musicales du pays – Alexander Neef à l’Opéra de Paris, Richard Brunel à l’Opéra de Lyon, Jean-Philippe Thiellay au Centre national de la musique. Un profil atypique au regard de la noria de compositeurs, de Luigi Cherubini à Gabriel Fauré, qui se sont succédé au sommet de l’institution.
Emilie Delorme, qui prendra ses fonctions le 1er janvier 2020, n’a certes pas l’aura médiatique de son prédécesseur Bruno Mantovani. Le compositeur et chef d’orchestre de 45 ans a quitté son poste fin juillet après neuf ans de directorat et prendra la tête de l’Ensemble Orchestral Contemporain (EOC). Mais la jeune femme a pour elle des états de service remarqués au Festival d’Aix-en-Provence dont elle dirige depuis 2009 l’Académie européenne de musique, une plate-forme d’apprentissage et de création qui accueille chaque année plus de 250 artistes venant d’une quarantaine de pays, dans le cadre d’ateliers et de concerts.
Femme de conviction
En dix ans, cette femme de conviction et boulimique de travail a joué un rôle important dans le domaine de la création lyrique contemporaine, développant des réseaux d’académies européennes tel l’European Network of Opera Academies (ENOA), bâtissant des coopérations avec des artistes du bassin méditerranéen dans le cadre du Mediterranean Incubator of Emerging Artists (Medinea) – deux instances fondées par le festival. Elle a également joué un rôle actif dans l’intégration aixoise en 2014 de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée.Lire le reportage au Festival d’Aix (en juillet 2017) : La Méditerranée en bassin créatif
Emile Delorme a fait des études d’ingénieur à l’Ecole nationale supérieure des mines de Nancy avant d’intégrer en 1999 l’Institut supérieur de management culturel, tout en travaillant au sein de l’agence artistique IMG Artists. En 2000, elle est chargée de production au Festival d’Aix-en-Provence avant de rejoindre le Théâtre royal de La Monnaie de Bruxelles où elle devient directrice des plannings sous le patronat de Bernard Foccroulle. C’est lui qui oriente son retour au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, où il succède à Stéphane Lissner en janvier 2007. Emilie Delorme possède par ailleurs une double formation musicale : des cursus d’instrumentiste – alto et violon – et d’analyse musicale, suivis aux conservatoires de région de Lyon puis de Nancy.
Cette nomination met fin à une longue période d’attente qui a perturbé et déstabilisé le milieu musical. En effet, statutairement prévu pour début août, le remplacement de Bruno Mantovani n’a non seulement pas été anticipé, mais un premier processus de recrutement s’est soldé par un échec – en octobre, le ministère a dû désigner par intérim l’inspectrice générale des affaires culturelles, Anne-Marie Le Guével.Lire l’enquête (en novembre 2013) : Au Conservatoire de Paris, la danse des faux pas
Reste que la personnalité d’Emilie Delorme suscite des inquiétudes dans le milieu réputé conservateur de la musique classique. Certaines prises de position de la future directrice sur les questions du féminisme, de la parité, de la diversité culturelle, voire son soutien à une idéologie décoloniale, ont provoqué rejet et colère (pour l’essentiel sous couvert d’anonymat), tandis que des personnalités publiques se portaient à son secours. Ainsi son ex-patron, Bernard Foccroulle, sur Facebook : « J’ai rarement rencontré une telle force de travail, de conviction, d’éthique et de compétence artistique », a-t-il déclaré tout en soulignant l’engagement de la jeune femme « contre toutes les formes de discrimination », précisant qu’elle « s’était toujours démarquée des comportements radicaux et extrémistes qui tendent aujourd’hui à se développer et à contraindre la liberté d’expression et de création ».
Des « artistes ouverts sur le monde »
Emilie Delorme n’a pas souhaité s’exprimer face aux polémiques. En juillet 2018, interrogée par Le Monde, elle avait affirmé la nécessité de former aujourd’hui des « artistes ouverts sur le monde », soucieux d’interdisciplinarité, de médiation et d’interculturel. Des thèmes qui allaient, disait-elle, « dans le sens de l’histoire », à l’heure où les « structures culturelles se posent la question de l’équité et la diversité ».Lire l’entretien avec Emilie Delorme (en juillet 2018) : « Il est vital d’inventer de nouvelles histoires à l’opéra »
Avec son pôle d’excellence, ses 1 300 élèves triés sur le volet (dont 18 % d’étrangers), ses 1 399 cursus groupés en quatre secteurs d’enseignement – musique, danse, métiers du son et pédagogie –, son corps professoral réputé (388 enseignants et périscolaires) et son budget de fonctionnement de 26,5 millions d’euros (pour 33,3 millions de recettes), le CNSMDP a tout d’une énorme machine de guerre. Il n’est pas pour autant aussi déconnecté qu’on le pense : en 2015, dans le cadre d’une observation de nouvelles pratiques pédagogiques, Bruno Mantovani a passé un accord avec le programme d’éducation vénézuélien El Sistema, une vision complémentaire de l’apprentissage de la musique, collective et égalitaire.
Sur le Web : www.conservatoiredeparis.fr/accueil
Source:© Emilie Delorme, première femme nommée à la tête du Conservatoire de musique et de danse de Paris