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Jean-Paul Brighelli
Jean-Paul Brighelli

Édito. Jean-Paul Brighelli, enseignant et essayiste spécialiste du système éducatif, tire les conclusions de la publication du dernier classement de Shanghai.

L’université française s’enfonce donc dans le classement de Shanghai ? Oui, mais ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle, à bien y regarder. Ce serait même une incitation à tout bouleverser.

 

Les trois universités présentes dans le top 100 sont Pierre-et-Marie Curie (médecine et sciences), Paris-Sud (sciences) et l’ENS Ulm. Un peu plus loin, l’ENS Lyon progresse fortement. En revanche, la Sorbonne disparaît du classement — au-delà donc de la 500ème place. Quel point commun entre le dessus du panier et le fond du classement ? La volonté de constituer des pôles d’excellence — ce que le précédent gouvernement aurait qualifié du vilain mot d’élitisme. En fait, seule une conception saine de l’élitisme sauvera demain l’université française, donc la recherche, donc le futur, donc la France.

Les principes du classement de Shanghai sont certes fort contestables. Ils ont été calculés pour correspondre à ce qu’offrent les grandes facultés américaines — et, à terme, chinoises. Comme si une entreprise définissait un poste en fonction des qualités de la personne qu’elle souhaite embaucher, puis qu’elle feignait de s’extasier de trouver un postulant correspondant parfaitement à ses critères…

Repenser le modèle de nos universités

Les universités françaises ne sont pas bâties sur le modèle adéquat. Déjà, elles portent le poids du premier cycle (le niveau licence), que les universités américaines ne gèrent pas, puisque le tri s’effectue en « collège ». Commençons donc par dissocier la licence, ce fourre-tout où s’engouffre tout ce qui arrive du bac (dans quel état !), et qui grève lourdement le budget des facultés. Les sciences humaines, où nous brillons encore, sont très mal évaluées dans le classement. Les publications prises en compte concernent des revues de langue anglaise. Quant au nombre de Nobel et de médailles Fields enseignant chez nous…

À propos de budget… Celui des deux universités (parisiennes) présentes dans le top 100, Paris-Sud et Pierre-et-Marie Curie, est de l’ordre de 450 millions d’euros pour 30.000 étudiants, à quelques unités près (15.000 euros par étudiant). Pour l’essentiel, de l’argent public. Le n°1 du classement, Harvard, compte 20.000 étudiants et dispose de revenus annuels de l’ordre de 3,8 milliards de dollars (190.000 $ par étudiant), dont 40% proviennent de l’endowment, le produit du capital propre de Harvard, qui s’élève à 26 milliards de dollars. 18% de ce budget viennent en outre des droits d’entrée réglés par les étudiants — de 9000 à 34 000 dollars par an pour une année universitaire, tout compris, coûtant un peu plus de 50 000 $, hébergement compris, mais des bourses au mérite atténuent, pour 60% des étudiants, le coût du ticket d’entrée. Le reste vient de dons spécifiques (ainsi en 2013 un appel aux dons avait permis à Harvard de lever 6,5 milliards de dollars).

Deux conclusions préalables. Nous ne jouons pas dans la même cour, et le modèle n’est pas transposable. Les riches Français n’ont pas la même propension au don que les riches américains. Et les entreprises françaises susceptibles de financer le cursus d’étudiants prometteurs, outre qu’elles n’y sont guère encouragées par l’Etat, investissent assez peu dans la formation ou la recherche — et jamais dans la recherche fondamentale.

La sélectivité doit faire son entrée à l’université

Le baccalauréat, y compris le bac professionnel, reste le sésame des études universitaires, même si plus de 50% des inscrits échouent en 1ère année. La pratique du tirage au sort instituée par Mme Vallaud-Belkacem, pour aberrante et scandaleuse qu’elle soit, n’est toujours pas sérieusement remise en question. Bien que plus de 40% des formations supérieures (BTS, IUT, classes préparatoires, facs à dérogation du type Dauphine — ou Médecine à bac + 1) soient déjà sélectives, les universités ne sont pas libres d’instaurer la sélection de leur choix, que ce soit sur examen des livrets scolaires (ce qui permettrait en amont d’inciter les élèves de lycée à travailler sérieusement dès la classe de première), ou sur examen. Les Masters sélectifs sont systématiquement contestés en justice, avec succès tant que la loi ne les autorise pas formellement. L’ENS Ulm, présente dans le top 100 de Shanghai, ou l’ENS Lyon, qui progresse notablement vers la 200ème place, ne sont accessibles qu’au terme d’un tri impitoyable, et devraient servir de modèles. Pendant ce temps, les grandes universités asiatiques sélectionnent avec un malthusianisme féroce.

Quant au recrutement d’enseignants d’exception, payés en conséquence, il est possible dans de grandes écoles privées du type HEC, mais exclu dans des universités dont le budget global vient d’être amputé de 331 millions d’euros. Les enseignants-chercheurs français sont payés selon une grille obsolète, et les meilleurs s’exilent, comme on sait — et leurs publications enrichissent les références des facs étrangères.

Le ministère de l’Education ne parvient pas à se décider à transformer le Bac, premier diplôme universitaire, en diplôme de fin d’études secondaires — par peur de protestations dont je doute fort qu’elles aient aujourd’hui l’ampleur de celles provoquées par la réforme Devaquet en 1986 : l’ombre de Malik Oussekine plane encore sur la rue de Grenelle. Le ministre des universités a entamé en juillet des négociations avec des syndicats d’étudiants qui ne représentent qu’eux-mêmes et des organisations de parents d’élèves éminemment compétentes afin de les amener à accepter une forme de sélection — et déjà on entend leurs cris d’orfraie. Le courage n’est pas une priorité, ni rue de Grenelle, ni rue Descartes où siège le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Le classement de Shanghai, tout comme nos performances sur l’indicateur PISA, devraient inciter les responsables à prendre les décisions nécessaires. On en est encore loin : passées les campagnes électorales, le courage ni l’audace ne sont plus au rendez-vous.

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Source :©  Un “élitisme sain” pour sauver nos universités | Valeurs actuelles

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