Des flux importants de liquide céphalorachidien déferlent toutes les 20 secondes lorsqu’on dort profondément.
C’est peut-être la pièce manquante d’un
puzzle dont le dessin s’esquissait ces dernières années. Celui du
mécanisme qui lie le sommeil avec la mémoire et les maladies
neuro-dégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer. Ce sont de
véritables «marées» du liquide céphalorachidien (LCR) dont la
description vient d’être faite dans la revue internationale Science.
Car
en effet le système nerveux tout entier, du cerveau jusqu’au bout de la
moelle épinière, baigne dans du LCR ou se draine les toxines. Le Pr
Maiken Nedergaard, à l’université de Copenhague (Danemark), a identifié
ce système, baptisé plus tard système glymphatique, en 2013. Elle estime
que la découverte publiée dans Science est décisive: «C’est
la première fois qu’on montre que l’activité électrique du cerveau peut
déterminer le flux de LCR pendant le sommeil, et surtout comment.»
«Nous avons découvert que pendant les phases NREM du sommeil (sommeil profond, NDLR), de larges vagues de liquide céphalorachidien surgissent dans le cerveau», explique au Figaro
le Dr Laura Lewis, professeur assistant d’ingénierie biomédicale à
l’université de Boston qui a dirigé ce travail réalisé avec des
chercheurs du Martinos Center au Massachusetts General Hospital de
Boston. «Ces vagues de haute vélocité déferlent toutes les 20
secondes, sans rien de comparable avec ce que l’on peut voir pendant
l’éveil», ajoute-t-elle. Un grand nettoyage spécifique du sommeil profond.À lire aussi : Comment les souvenirs se fixent en dormant
Il
y a en effet deux phases principales dans le sommeil. La plus connue
est la phase de rêve pendant laquelle on peut observer des mouvements
rapides des yeux (REM, en anglais). Par opposition, l’autre phase du
sommeil est nommée non-REM (NREM).
C’est
lors du sommeil NREM que se produit la consolidation des souvenirs mais
le Pr Lewis, avec son équipe, lui attribue un autre rôle crucial: le
nettoyage du cerveau de ses toxines. Comme dans une grande ville où le
ramassage des poubelles est facilité la nuit, le cerveau profite du
faible trafic neuronal pendant le sommeil profond pour laver ses routes à
grandes eaux. Donc potentiellement, les dépôts bêta amyloïdes et de
protéine tau, impliqués dans la maladie d’Alzheimer. «Après la fête, il faut nettoyer, on ne peut pas faire les deux en même temps», s’amuse le Pr Nedergaard, «c’est en dormant que le cerveau nettoie les dégâts (protéines diverses…) faits dans la journée».
«Petites marées»
Comment?
Les scientifiques butaient sur cette question car jusqu’alors ils
n’avaient observé que de faibles oscillations du LCR, synchrones avec la
respiration, dans la journée. Des «petites marées»
insuffisantes pour un grand nettoyage. En fait, la découverte du Pr
Lewis montre que ces marées de LCR sont bien plus fortes lorsque le
cerveau est endormi profondément, ce qui pourrait être le chaînon
manquant du lien entre les troubles du sommeil et des maladies
neurodégénératives ou psychiatriques. La chronologie semble claire.
«Les vagues de LCR sont couplées avec l’activité électrique d’ondes lentes des neurones, explique le Pr Lewis, on
voit d’abord l’activité des neurones diminuer, ensuite, quelques
secondes plus tard, on observe une chute de l’oxygénation sanguine et
une vague de LCR» (voir infographie). Un enchaînement confirmé par la modélisation réalisée dans le laboratoire du Pr Lewis. «Notre
modèle indique que les neurones commandent le flux de LCR, puisqu’ils
modifient le volume sanguin, mais nous n’avons pas testé directement ce
mécanisme», remarque-t-elle.
En tout cas, ce travail conforte la nécessité d’un bon sommeil pour une bonne fonction du système glymphatique
Pr Éric Boulanger
«En supposant qu’un lien biologiquement pertinent existe, commente le Pr Lisa Marshall (université de Lübeck) qui avait découvert ce phénomène chez les souris en 2006, «la
question fascinante suivante est de savoir comment ces deux fonctions
sont associées! Est-il possible que les processus neuronaux qui
consolident la mémoire bénéficient d’un cerveau nettoyé sur le plan
métabolique?».À lire aussi : Les incroyables bienfaits des livres sur notre cerveau
«En tout cas, ce travail conforte la nécessité d’un bon sommeil pour une bonne fonction du système glymphatique», estime le Pr Éric Boulanger, spécialiste de la médecine et biologie du vieillissement au CHU de Lille (Inserm), «et
cela devient une excellente piste pour prévenir et/ou soigner la
maladie d’Alzheimer. Est-elle au final une maladie du sommeil?».
«Nous pensons que c’est important pour la mémoire ou la cognition mais il faudra d’autres études pour le démontrer, insiste le Pr Lewis. De notre côté nous allons étudier s’il est possible de moduler ces vagues.»
À voir aussi: Hypnose ASMR pour être zen et dormir comme un chat [par Benjamin Lubszynski]Hypnose ASMR pour être zen et dormir comme un chat [par Benjamin Lubszynski]Current Time 0:05/Duration 42:17