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TRIBUNE – Une deuxième vague de l’épidémie est possible en juin. Préparons-nous à ce scénario ou bien le déconfinement pourrait être un échec, argumentent Philippe Juvin, chef du service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, et Jean Rottner, président de la région Grand Est.
Philippe Juvin est maire de La Garenne-Colombes (Hauts-de-Seine). Jean Rottner est médecin urgentiste de profession.
Quand on étudie les scénarios de déconfinement, il faut avoir en tête que personne ne connaît la recette idéale. Pour affronter cette épreuve collective, on devra compter avec les Français. Afin de regagner leur confiance, il ne faudra plus rien leur cacher des difficultés.
Que peut-il se passer? Rien ou tout. Des individus non immunisés vont sortir et pourront s’infecter. Certains seront à l’origine de «clusters», et il faudra les dépister vite. D’autres feront des formes graves, et il faudra pouvoir les traiter. Considérant une incubation de 2 à 14 jours plus une dizaine de jours pour que naissent les formes graves, on peut théoriquement craindre une vague fin mai- début juin. Les autorités pourront aussi devoir reconfiner si notre système est submergé. Et si les déconfinements sauvages se multiplient, la vague peut même survenir plus tôt.
Peut-on prévenir un tel scénario? Comme on n’a pas le droit de parier (sur un médicament, une saisonnalité du virus) quand il s’agit de santé, nous devons nous préparer. Des conditions doivent être posées pour déconfiner, en espérant qu’elles évitent la vague ou en limitent les effets.
La première condition est que le pays dispose enfin d’un pilote unique dans l’avion, investi de grands pouvoirs sur tous les moyens publics. L’ennemi reste la non-décision, les dissonances, la multiplication des circuits de validation, les sous-chefs, les ordres et les contre-ordres.
Une partie du drame français s’illustre dans cette difficulté à donner des informations claires et stables au publicLa deuxième condition est de tout faire pour ralentir l’inéluctable transmission qui apparaîtra après le déconfinement. Il faut porter un masque, à chaque sortie. Dans les transports bien sûr, qui comptent pour 34 % des origines des clusters en Chine (medRxiv, Hua Qian, 7 avril 2020), mais partout aussi, y compris à domicile au moindre signe. À défaut de leur fournir des masques, les pouvoirs publics devraient au moins clairement apprendre aux Français à confectionner le leur. Il est urgent de mettre à disposition du grand public un tutoriel officiel efficace, simple et standardisé, comme l’a fait depuis le début de l’épidémie le Center of Disease Control d’Atlanta. Une partie du drame français s’illustre dans cette difficulté à donner des informations claires et stables au public.
La troisième condition est d’être en mesure de dépister très rapidement les «clusters» naissants pour éviter qu’ils ne prospèrent jusqu’à devenir incontrôlables. Il faudra à la fois des tests, des équipes épidémiologiques d’enquête et tous les outils que l’intelligence artificielle peut nous offrir. Les a-t-on? Qui organise quoi?
La quatrième condition est de ne pas renvoyer les positifs dans leur famille et sans masque. C’est ce que nous avons malheureusement fait jusque-là, au risque qu’ils infectent leur entourage (80 % des «clusters» en Chine sont nés à la maison). Pour cela, il faut d’urgence organiser
une large palette d’hébergements (chambres d’hôtel, centres de vacances) avec toute la logistique qui va avec.
La cinquième condition aurait dû être réglée depuis longtemps. Il faut tester par PCR toutes les personnes «confinées obligatoires» (Ehpad, établissements psychiatriques ou pour personnes handicapées, prisons).
Le gouvernement continue à prétendre qu’il ne faut tester qu’en cas d’apparition d’un cas symptomatique sans d’ailleurs même le faire. Cette attitude est illogique quand on sait que 50 % des cas sont asymptomatiques, et que ces asymptomatiques sont responsables
de 44 % des contagions. Autrement dit, attendre l’apparition d’un premier cas symptomatique pour tester toute la communauté, c’est prendre le risque de rater près des trois quarts des «clusters» naissants, et d’avoir toujours un coup de retard sur l’épidémie. La même stratégie devrait s’appliquer dans touts les lieux indispensables au bon fonctionnement
du pays (police, hôpitaux, pompiers, centrales nucléaires). Que se passera-t-il si la moitié de la caserne de pompiers tombe malade? Une PCR négative un jour ne garantit certes pas l’absence d’infection le lendemain. Mais elle permet, en séparant les positifs des négatifs
à un moment donné, de freiner les circuits de transmission.
La sixième condition est qu’il faut reconstituer d’urgence tous les stocks actuellement vides (médicaments, surblouses) et s’assurer que les soignants, qui viennent d’essuyer plusieurs semaines éprouvantes, ont pu se reposer. Nous en sommes loin.
La septième condition est encore plus fondamentale. Pour déconfiner, il faudra s’assurer que nos réanimations auront suffisamment de places pour accueillir les patients graves. Nos capacités de réanimation devront peut-être même être supérieures à celles, déjà considérables, que les hôpitaux avaient mises en œuvre en mars. Car fin mars, nous n’avons eu affaire qu’aux malades du Covid. Après le déconfinement, à la vague de patients Covid peut s’ajouter une vague de patients non-Covid, qui sont ceux dont l’état de santé s’est dégradé pendant le confinement. Autrement dit, la situation pourrait être encore plus difficile en juin qu’en mars. Armons dès maintenant une réserve stratégique de lits de réanimation, en utilisant les 10.000 respirateurs dont
a parlé Emmanuel Macron. En Chine, des équipes médicales fraîches ont été massivement amenées vers les régions épidémiques pour armer de telles unités. Préparons-nous à faire de même à l’échelle européenne.
Nous entrons dans une période de très grand péril. Avec moins de 10 % de la population ayant rencontré le virus, nous avons déjà 30.000 morts. Où en serons-nous quand 50 % d’entre nous aurons été infectés? Non maîtrisée, une seconde vague peut submerger le système de santé et causer de très nombreux décès.
Les conditions médicales du déconfinement sont-elles aujourd’hui remplies pour éviter ce scénario catastrophe? Clairement non. Le seront-elles le 11 mai? Au gouvernement de nous l’assurer. Si elles ne le sont pas, on devra avoir le courage de l’expliquer aux Français et de repousser la date, ou de déconfiner moins que prévu. La bataille est loin d’être gagnée.
Source:© «Déconfinement: les conditions du succès ne sont pas encore réunies à ce jour»