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ENTRETIEN – Pour le président de l’Association des maires de France (AMF), les élus de terrain ont mille raisons d’alerter le pouvoir sur la situation du pays.
Source:© David Lisnard: «L’État doit cesser d’entraver les dynamiques locales»

ENTRETIEN – Pour le président de l’Association des maires de France (AMF), les élus de terrain ont mille raisons d’alerter le pouvoir sur la situation du pays.

David Lisnard, maire LR de Cannes, est le président de l’Association des maires de France (AMF).

LE FIGARO. – Ce 104e congrès marque votre 1er mandat dans un climat de crises. Comment voyez-vous le pays?

David LISNARD. – La France a tous les potentiels pour retrouver son rang, mais son déclassement continue sur tous les plans. Il existe un décalage entre les prises de position très souvent théâtrales de l’exécutif et la réalité de l’exécution des politiques publiques. Cette impuissance, proportionnelle à l’emphase du discours, accentue la
crise civique alors que l’ampleur des défis à relever exige précisément une mobilisation civique.

Comment les élus locaux vivent-ils leur mandat en cette fin d’année 2022?

Être maire est un engagement de vie et une responsabilité exigeant un grand professionnalisme. J’ai rencontré plus de 5200 maires cette année et, très souvent, j’ai ressenti une grande passion. Quelles que soient les entraves croissantes ou la dévitalisation financière et juridico-administrative liées à la recentralisation en cours depuis 15 ans, ces élus trouvent des solutions. Mais je perçois une exaspération, voire de l’énervement, car les maires sont entre le marteau de l’action immédiate exigée par les habitants et l’enclume des contraintes contradictoires. «Pouvoir agir» est d’ailleurs le thème de notre congrès.

Vous soulignez la qualité du dialogue avec le gouvernement mais quels sont les fruits concrets de cette relation nouvelle?

Il est encore tôt pour définir ces fruits, car les textes qui permettront de vérifier si les engagements seront respectés sont toujours en cours d’examen. Ce qui est sûr, c’est qu’il existe une volonté et une méthode pour prendre en compte nos aspirations, ce qui tranche avec ce que nous avions connu. Manifestement, Élisabeth Borne a une culture de la discussion. Des avancées en attestent, mais nous avons également entendu des signaux contradictoires sur la dotation globale de fonctionnement, pour laquelle nous demandons une indexation sur l’inflation. Si elle ne l’était pas, cela constituerait un prélèvement de plus de 5 % de l’État sur l’argent des collectivités. Donc, nous discutons encore, en refusant l’encadrement de nos dépenses de fonctionnement. Ce serait une atteinte grave au principe constitutionnel de libre administration des collectivités. Concernant le bouclier énergétique, nous avons salué un changement important depuis l’été, mais nous attendons aussi les détails des mesures. Nous ne demandons pas un effort à l’État puisque l’État, c’est nous tous. Nous lui demandons simplement d’accompagner nos politiques pour franchir les crises.

L’AMF a toujours dénoncé l’influence du ministère de l’Économie. Que dites-vous au ministre Bruno Le Maire?

Même certains ministres très haut placés nous disent souvent qu’ils sont entravés par Bercy! Mais je dis deux choses à Bruno Le Maire: premièrement, nous ne sommes pas un problème. Nous parvenons même à dégager de l’excédent budgétaire déduit des déficits publics quand l’État présente ses comptes à Bruxelles. En réalité, ce sont les comptes de l’État et les comptes sociaux qui posent problème. Si nous devons affronter les crises ensemble, comme la crise énergétique, une tutelle de l’État n’est pas acceptable. Les communes doivent garder une capacité d’autofinancement. Nous sommes des apporteurs de solutions, y compris pour la production d’énergies renouvelables. Malheureusement, je viens de découvrir un amendement prévoyant une ponction de 500 millions d’euros sur nos unités de valorisation énergétique. Personne ne nous en avait parlé. Nous ne voudrions pas revivre ce que nous avons vécu au premier quinquennat.

La taxe d’habitation a été supprimée mais le pays n’a jamais connu autant d’impôts

David Lisnard

Chaque année, on a le sentiment que la «décentralisation» reste un vœu pieux. Où sont les freins?

Les maires sont la seule façon de retrouver de l’efficacité. Cette décentralisation n’implique pas un affaiblissement de l’État, car l’État doit être renforcé sur ce qui le regarde. Mais plus l’État s’est mêlé de ce qui ne le regardait pas, moins il a été performant et plus il a prélevé d’argent. La taxe d’habitation a été supprimée mais le pays n’a jamais connu autant d’impôts. Nous venons de franchir les 45 % de prélèvements obligatoires. Nos collectivités (villes, départements, régions) représentent 19 % du total de la dépense publique contre 30 % à 40 % en Europe. Elles ont moins de pouvoir qu’ailleurs alors qu’elles représentent 75 % des investissements. Tout l’enjeu est là: l’État doit cesser d’entraver les dynamiques locales et se recentrer sur ses missions régaliennes.

À propos de régalien, après l’Ocean Viking, quelles sont les questions les plus urgentes vues du bloc communal?

L’Ocean Viking marque une sorte d’«en-même-tempisme» le plus évident. Le pouvoir exige un suivi précis des migrants par les préfets, de l’autre la France est incapable de traiter 234 personnes dans un port militaire. Un commissaire de police me disait récemment que l’arrivée d’immigrés clandestins dans une commune changeait la nature de l’insécurité, comme l’ont d’ailleurs dit le ministre de l’Intérieur et le président de la République. Mais aujourd’hui, la situation est explosive. On crée des zombies juridiques sans que les maires n’aient, hélas, les outils pour les assimiler ou les renvoyer dans leurs pays. Cet entre-deux n’est pas tenable.

Quelles sont les solutions?

L’État doit réduire le robinet de l’immigration pour nous permettre de bien accueillir ceux qui ont le droit d’être sur le territoire national. Tout le monde ressent le devoir d’humanité, mais la France est confrontée à une explosion de l’immigration, confirmée par la délivrance record d’1,2 millions titres de séjours légaux et une flambée de l’immigration illégale. Nous sommes face à un grand théâtre, un leurre.

Avez-vous les moyens d’améliorer la sécurité à Cannes?

Les polices municipales sont devenues un maillon fort dans la chaîne sécuritaire locale, mais sans en avoir l’autorité judiciaire. Soit l’État reprend la main avec des moyens concrets en s’appuyant sur une nouvelle organisation pour rétablir l’ordre en zones de police, soit les mairies disposent d’une autorité judiciaire réelle pour être plus efficaces dans les interpellations et le traitement de la délinquance.

Cette année, Emmanuel Macron veut aller au contact direct des élus durant le congrès. Qu’aimeriez-vous lui dire en toute franchise?

Sachant que nos discussions sont toujours franches avec le gouvernement, je lui dirais: «Félicitations pour votre changement d’approche sur la décentralisation entre votre discours de l’an dernier et celui prononcé en Mayenne en octobre. Je salue ce virage à 180 degrés, mais maintenant, nous attendons de travailler avec vous pour passer aux actes.»

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