
À peine arrivé à Paris, dimanche matin, Emmanuel Macron s’est rendu sur les Champs-Élysées pour constater les dégâts. – Crédits photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP
RÉCIT – Pour la première fois depuis son élection, Emmanuel Macron a reculé. De Buenos Aires aux salons de l’Élysée, Le Figaro raconte les trois jours qui ont fait basculer le quinquennat.
Entre deux réunions avec les grands de ce monde, Emmanuel Macron consulte les images que ses collaborateurs lui montrent sur leurs portables. Paris noyé sous les bombes lacrymogènes. L’Arc de triomphe assiégé. Les avenues de la capitale mises à sac. La préfecture du Puy-en-Velay incendiée. Le président de la République participe au G20 à Buenos Aires en Argentine. À 11.000 km de là, la manifestation des «gilets jaunes» dégénère en émeutes urbaines d’une ampleur encore jamais vue. «Je ne suis pas fait pour diriger par temps calme. […] Je suis fait pour les tempêtes», assurait le président de la République il y a près d’un an. Il y est.
Pour celui qui a fait de la détermination sa marque de fabrique, c’est l’épreuve de force, peut-être même le moment clé de son quinquennat. Le défi qui lui est adressé par les «gilets jaunes» à Buenos Aires, via les écrans de smartphone, est simple: reculer sur la hausse des taxes sur le carburant ou plonger le pays dans le chaos. Face à cette crise inédite, tout le système Macron est mis à l’épreuve: son gouvernement, sa majorité, son parti et surtout Emmanuel Macron lui-même. À Paris, un ministre commence à trouver le temps long: «Au fait, il rentre quand?» Dans douze heures, la durée du vol entre Buenos Aires et Paris.
Une série d’entretiens
Lorsque le président de la République quitte le G20 samedi soir, il n’est pas question de céder. Depuis le cortège qui l’emmène du centre de conférence Costa Salguero à l’aéroport, il convoque pour le dimanche matin une réunion de crise à l’Élysée avec le premier ministre, Édouard Philippe, le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, son secrétaire d’État, Laurent Nuñez, et le ministre de la Transition écologique, François de Rugy. La priorité est à la sécurité, pas encore à la politique. Il va bien falloir y venir, pourtant. Ce sera après une visite symbolique.
À peine arrivé à Paris, Emmanuel Macron se rend à l’Arc de triomphe pour se rendre compte lui-même des dégâts. Il salue les forces de l’ordre, les pompiers, les commerçants, sous un mélange de huées et d’applaudissements. C’est la prise de conscience. «Personne n’imaginait que ce serait aussi violent», reconnaît un ministre. Emmanuel Macron non plus. Le mouvement des «gilets jaunes» devient incontrôlable, ce que lui confirment Christophe Castaner et Laurent Nuñez lors de la première réunion de la journée à l’Élysée.
Face aux « gilets jaunes », un bras de fer terrible se joue au cœur du pouvoir
L’idée d’un moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants commence à faire son chemin. Elle va aboutir le soir même après une série d’entretiens. «Le président pense alors que c’est la bonne décision», raconte un proche du chef de l’État. Encore faut-il la faire accepter par le premier ministre. Face aux «gilets jaunes», un bras de fer terrible se joue au cœur du pouvoir. Édouard Philippe, soutenu par le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler, et son propre directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas, est opposé à un moratoire.
Le mardi précédent, le premier ministre avait réussi in extremis à convaincre Emmanuel Macron de ne pas annoncer de pause fiscale, lors de la présentation de la programmation pluriannuelle de l’énergie. À 9 h 30, la proposition figurait dans la première version du discours du chef de l’État. À midi, lorsque Emmanuel Macron achève son allocution, ceux qui soutenaient l’idée d’un moratoire, à commencer par François Bayrou, sont bien obligés de se rendre à l’évidence: la mesure a disparu. Emmanuel Macron continue à cultiver contre vents et marées l’image de celui qui ne reculera jamais. La ligne «droit dans ses bottes» l’a emporté sur la ligne «on ne gouverne pas contre le peuple». Édouard Philippe 1 – François Bayrou 0.
L’idée du leader du MoDem commence pourtant à infuser dans la majorité. Elle va même s’amplifier après les violentes émeutes du 1er décembre, donc finir par rallier à elle le président de la République. C’est le premier recul d’Emmanuel Macron ; il faut le justifier, le minimiser, le relativiser. «Si on me réduit à des hausses de taxes, j’aurai été à l’inverse de mon mandat. Je n’ai pas l’intention de me laisser enfermer dans un débat fiscal», explique le président à des proches. L’un d’entre eux résume: «Il ne veut pas perdre de crédit politique sur de la plomberie fiscale.»
Édouard Philippe en première ligne
Reste à convaincre Édouard Philippe. Il se rangera dans la soirée à l’idée d’un moratoire. «Après le déchaînement de violences, il fallait un geste d’apaisement pour faire retomber la pression», justifie-t-on dans l’entourage du premier ministre. Il ne veut pas non plus se retrouver isolé, à la tête d’une majorité où l’idée de faire machine arrière gagne du terrain. C’est lundi matin à l’Élysée, lors d’une rencontre entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe, que le principe d’un moratoire est acté. «L’hypothèse est crantée, la décision validée», raconte un proche du chef de l’État. Il n’y a plus qu’à la mettre en œuvre techniquement et à la scénariser.
Désormais, entre Macron et Philippe, il y a plus qu’une feuille de papier à cigarette: un moratoire fiscal
Lundi soir, une réunion ministérielle est convoquée dans le salon vert de l’Élysée. Commencée à 19 heures, elle s’achèvera à 22 heures. François de Rugy, Christophe Castaner et Muriel Pénicaud demandent un «geste social». Gérald Darmanin plaide pour «une réponse identitaire, rapide, et qu’on aille sur un autre terrain que fiscal». Jean-Michel Blanquer s’inquiète d’une radicalisation possible d’une partie des lycéens et rappelle que la réduction du nombre de professeurs passe mal dans l’Éducation nationale. Emmanuel Macron écoute, mais la décision est prise. C’est surtout pour l’annoncer à ses ministres qu’il leur a demandé de venir à l’Élysée. Pour la première fois de son mandat, Emmanuel Macron s’apprête à reculer. D’ailleurs, il ne va pas monter lui-même en première ligne pour endosser ce revirement, mais y envoyer son premier ministre.
Au pupitre, mardi, Édouard Philippe enterre «pour six mois» la taxe carbone. Le voilà propulsé dans le rôle classique de rempart du président, voire de fusible. «Il y a la volonté de jouer à fond le jeu des institutions», glisse-t-on dans l’entourage du président. Désormais, entre Macron et Philippe, il y a plus qu’une feuille de papier à cigarette: un moratoire fiscal. Si l’unité du tandem exécutif s’est fissurée sur la colère des «gilets jaunes», les deux hommes conservent toutefois un même objectif: pouvoir continuer à réformer malgré le recul.
«On ne repartira pas comme avant, ça, c’est sûr», reconnaît un ministre. À l’Élysée, Emmanuel Macron veut s’appuyer sur la crise pour poursuivre la transformation du pays. «Cela enrichit considérablement la méthode que nous bâtissons pour réformer, assure-t-on dans l’entourage du chef de l’État. Les réformes à venir tireront les leçons de ce que nous sommes en train de vivre.» Il n’empêche, depuis le mardi 4 décembre 2018, le quinquennat d’Emmanuel Macron est entré dans une nouvelle ère.
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Grand reporter au service politique du Figaro
Journaliste
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