De nouveaux films populaires ou pointus ont été portés par de bonnes critiques, mais la fréquentation en salle a chuté de 70 % et les plates-formes guettent les grosses productions au tournant.
Il y a un peu plus d’un mois, le 22 juin, les salles de cinéma en France étaient autorisées à rouvrir après plus de trois mois de fermeture pour cause de crise sanitaire. Il y avait de la joie et aussi de l’inquiétude dans l’air – le public serait-il au rendez-vous ? Les professionnels, dans leur ensemble – producteurs, distributeurs, exploitants –, avaient le sentiment d’avoir préparé intelligemment le terrain de la reprise.
Fin juillet, un premier bilan peut donner des sueurs froides : la fréquentation est en recul de près de 70 % par rapport à l’année dernière à la même époque. Certains préfèrent voir le verre à moitié plein, les salles accueillant tout de même en moyenne 1 million de spectateurs par semaine. Entre le 22 juin et le 21 juillet, en effet, 4,5 millions d’entrées ont été enregistrées par le bureau d’études Rentrak Comscore, lequel collecte les chiffres quotidiennement. Faute de spectateurs, une douzaine de cinémas ont décidé de refermer provisoirement, comme Le Palace à Lons-le-Saunier (Jura), le Castillet à Perpignan (Pyrénées-Orientales), Le Grand Rex à Paris, etc.
Tout ne s’est pas passé comme prévu. Certes, des longs-métrages sortis avant le confinement ont pu être reprogrammés, de nouveaux films populaires ou pointus ont été portés par de bonnes critiques – Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi et John Wax, Madre, de Rodrigo Sorogoyen… –, mais d’autres attentes ont été sévèrement déçues. Les blockbusters américains qui devaient sortir fin juillet – Tenet, de Christopher Nolan, ou le dernier Disney, Mulan, de Niki Caro – ont été reportés (Tenet est désormais annoncé pour le 26 août, dans 70 pays dont la France, hors Etats-Unis). Quant aux distributeurs français, certains ont renoncé à programmer des sorties pendant cette période critique.
« Il manque la locomotive »
« La solidarité interprofessionnelle de la filière ne fonctionne plus », a déploré, dans un communiqué, le 27 juillet, la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), qui regroupe l’ensemble des établissements (6 000 écrans au total). « Les sorties de beaucoup de films français sont repoussées malgré la politique volontariste du Centre national du cinéma et de l’image animée et ses mesures incitatives pour favoriser la sortie de films cet été. Beaucoup d’entre eux ne cherchent même pas à bénéficier de l’espace laissé par les films américains absents. » Dans ces conditions, « il est absolument nécessaire que le gouvernement, de manière extrêmement urgente, prenne un acte très fort et très ambitieux de refinancement des salles de cinéma ». De nouvelles mesures sont en discussion avec le CNC.
Tenet va-t-il sauver les exploitants ? « D’ici au 26 août, il y aura malheureusement des salles qui auront sans doute fermé », observe Morgan Pokée, programmateur du cinéma d’art et d’essai Le Concorde à la Roche-sur-Yon (Vendée), lequel a plutôt réussi à sauver les meubles. « Sur le mois de juillet qui vient de s’achever, nous perdons “seulement” 20 % de fréquentation », souligne-t-il. « Ce qui nous manque à tous, c’est LA grosse production (américaine ou française) qui va réenclencher la fréquentation. L’intelligence collective n’a pas été à la hauteur des attentes. Des films qui étaient calés entre mi-juillet et début août se sont reportés à la rentrée, et la spirale des reports a commencé à engendrer la peur », ajoute Morgan Pokée, qui est aussi membre du comité de sélection de la Quinzaine des réalisateurs et critique de cinéma. Il salue d’autant plus les distributeurs qui ont joué le jeu : « Certes, on a de très belles sorties, comme Hotel by The River, de Hong Sangsoo, le 29 juillet, et Eva en août, de Jonas Trueba, le 5 août. On a tous les wagons du train, mais il nous manque la locomotive qui recréera ce cercle vertueux permettant à toutes les typologies de salles et de films de profiter des retombées d’un tel choix de programmation. » Sur le territoire de La Roche-sur-Yon, dit-il, Le Concorde et le multiplexe Cinéville sont « complémentaires ».
La pandémie est-elle une parenthèse ou bien va-t-elle opérer une mutation profonde de l’industrie du cinéma ? Combien de temps pourront tenir les petits distributeurs, déjà fragiles en temps normal ? Comment vont évoluer les ventes internationales lors des prochains festivals ? Certes, il y a de bons signes, comme la reprise des tournages en France, grâce à la création, en juin, d’un dispositif assurantiel, un fonds d’indemnisation géré par le CNC. « Ça frémit, les tournages reprennent et, pour l’instant, le fonds d’indemnisation n’a pas été sollicité, preuve qu’il est possible de reprendre le travail sans dommages », résume Stephan Bender, patron de Film France, qui assure la promotion des tournages et de la postproduction en France. Des tournages interrompus pendant le confinement ont pu être achevés, comme Eiffel, de Martin Bourboulon, avec Romain Duris et Emma Mackey. D’autres viennent de commencer, citons Suprêmes, le biopic sur le groupe NTM réalisé par Audrey Estrougo, ou encore Cœurs vaillants, de Mona Achache, avec Camille Cottin et Swann Arlaud.
« Bronx » réservé à Netflix
Mais encore faut-il que les films sortent en salle. Car les plates-formes guettent au tournant. Après Forte, de Katia Lewkowicz, sorti directement sur Amazon Prime, le 15 avril, Brutus vs César, de Kheiron, sera diffusé le 18 septembre sur la même plate-forme. Et Bronx, d’Olivier Marchal, avec Jean Réno et Gérard Lanvin, à l’origine prévu pour les salles, sera finalement réservé aux abonnés de Netflix cet automne. Gaumont, producteur du film, a dû rembourser les chaînes payantes qui l’avaient préacheté et renoncer au soutien automatique. Gaumont, qui est aussi exploitant, abandonne donc le grand écran. Sollicitée par Le Monde, la direction des cinémas Pathé Gaumont n’a pas souhaité commenter cette décision.
Ailleurs, aux Etats-Unis, c’est l’accord historique conclu le 28 juillet entre le plus gros réseau de salles au monde, AMC, et les films Universal qui a semé le trouble. Au terme des négociations, AMC a obtenu le droit exclusif d’exploiter, aux Etats-Unis, les films Universal et ceux de la filiale Focus Features pour une durée de dix-sept jours seulement – contre quatre-vingt-dix jours selon les usages en vigueur. Libre ensuite à Universal de négocier avec les plates-formes. La sacralisation de la salle n’est plus ce qu’elle était.
Source:© Coronavirus : l’été meurtrier du cinéma français