Dans un tchat avec les internautes du « Monde », notre correspondant à Washington, Gilles Paris, revient sur la stratégie américaine pour affronter l’épidémie due au coronavirus.
Correspondant du Monde à Washington, le journaliste Gilles Paris a répondu aux questions des internautes dans un tchat consacré à la gestion du coronavirus aux Etats-Unis. Il évoque notamment les « changements de pied » que Donald Trump a multipliés dans ses déclarations.Lire aussi Coronavirus : plus d’un million de cas recensés dans le monde
Analia : Y a-t-il des Etats plus épargnés que d’autres par l’épidémie, et pourquoi ?
Gilles Paris : Tous les Etats ont enregistré des cas de contamination mais, sans surprise, les Etats du Midwest sont moins touchés que les deux côtes et les métropoles. Il y a également des différences significatives au sein de ces catégories. L’Etat de Washington, qui a été le premier touché massivement, a réussi pour l’instant à contrôler la progression du virus. Ce qui n’a pas été le cas de la métropole new-yorkaise, où le défi est gigantesque.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Face au coronavirus, New York retient son souffle
En fait, il n’y a pas de politique fédérale de confinement. Cette dernière relève des Etats et est laissée à l’appréciation des gouverneurs. Donald Trump s’est contenté d’énoncer des règles générales concernant les gestes barrières et l’interdiction des rassemblements.
Boouloun : Comment la gestion de la crise par l’administration Trump est-elle jugée par les Américains ?
La lecture des sondages met en évidence un réflexe de « rassemblement autour du drapeau » dont Donald Trump bénéficie. Dans ce contexte de crise, les jugements favorables portés sur sa présidence n’ont jamais été aussi élevés. Ils sont devenus majoritairement positifs dans certains baromètres, même si les avis négatifs l’emportent encore de peu (2,5 points) dans l’agrégateur du site RealClearPolitics, qui prend en compte toutes les mesures d’opinion.
Donald Trump a multiplié les changements de pied, d’abord en minimisant le danger, puis en se présentant comme un président « pour temps de guerre », le 18 mars, puis en évoquant une rapide remise en route du pays, le 24 mars, avant de faire brutalement machine arrière six jours plus tard, mais les Américains ne lui en tiennent pas rigueur pour l’instant. Ce regain de popularité n’est cependant pas comparable à celui d’un gouverneur très exposé, Andrew Cuomo, de l’Etat de New York, qui fait presque l’unanimité.
Donald Trump bénéficie, il est vrai, d’une exposition médiatique impressionnante : il est omniprésent dans les conférences de presse quotidiennes souvent interminables (deux heures dix hier) et ces rendez-vous sont très suivis, comme il le répète lui-même avec une satisfaction manifeste, les comparant aux audiences des émissions de télé-réalité.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : Donald Trump prépare les Etats-Unis à « deux semaines très difficiles »
James : quelles sont les conséquences de l’épidémie sur la campagne présidentielle ?
Pour l’instant, les primaires pour l’investiture démocrate sont à l’arrêt. Une bonne partie des Etats ont repoussé les leurs en juin. L’ancien vice-président Joe Biden dispose d’une solide avance en nombre de délégués sur son rival, le sénateur Bernie Sanders (1 217 contre 914), mais ce dernier n’entend pas renoncer.
Si l’épidémie perdure, elle va poser un problème majeur d’organisation au camp démocrate, dont le candidat ne disposera pas du temps nécessaire pour préparer la bascule vers l’élection générale. Les conventions d’investiture, ces grands rassemblements populaires, pourraient également devenir des casse-tête. Celle des démocrates est prévue à la mi-juillet et celle des républicains a été fixée à la fin août. Un détail : les dates des primaires relèvent des Etats, ils peuvent donc les modifier à leur guise.
Il en va autrement avec l’élection présidentielle, qui peut difficilement être déplacée, il faudrait en effet une loi fédérale, ce qui suppose un consensus au Congrès, ainsi qu’un amendement constitutionnel pour reporter la date de la prestation de serment. Les deux sont peu probables.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : aux Etats-Unis, la coalition des sceptiques perd du terrain
Arthur : Est-ce vrai que certains malades ne peuvent ou ne veulent pas se rendre à l’hôpital car ils n’ont pas d’assurance-maladie ?
C’est exact, en l’absence d’un système de santé universel, la situation est particulièrement complexe aux Etats-Unis, où coexistent une multitude de situations différentes. Les plus pauvres bénéficient d’un programme fédéral, Medicaid. Les personnes qui occupent un emploi bénéficient d’une assurance-santé payée par leur employeur (cela vaut pour la majorité des Américains), mais celle-ci peut ne pas couvrir l’ensemble des soins.
Les non-assurés se trouvent dans cet entre-deux, soit parce qu’ils dépassent le plafond de Medicaid, soit parce qu’ils travaillent dans les entreprises trop modestes, ou qu’ils n’ont pas souscrit au programme Obamacare pour des raisons financières.
Pour l’instant, les conséquences de la crise sanitaire sont les suivantes : les personnes licenciées du fait de la mise à l’arrêt du pays pour enrayer la progression de l’épidémie vont continuer à bénéficier de l’assurance-santé de leur employeur, mais seulement pour une durée limitée, certaines compagnies d’assurances ont, par ailleurs, précisé qu’elles prendraient en charge les coûts de santé liés au Covid-19 même s’ils n’étaient pas prévus dans les contrats, mais toutes ne l’ont pas fait. En outre, les milliards débloqués en urgence par le Congrès en mars devraient permettre une prise en charge des malades du Covid-19, mais uniquement de cette maladie.Article réservé à nos abonnés Lire aussi La panne du leadership américain dans la crise du coronavirus
EtudiantEnExamen : Les craintes justement liées au système de santé ne risquent-elles pas d’entraîner, après la crise, des mobilisations sociales d’ampleur contre la suppression de l’Obamacare par Donald Trump ?
Le programme Obamacare qui vise les non-assurés n’a pas disparu. Les tentatives de Donald Trump pour le supprimer ont toutes échoué, il est même devenu paradoxalement populaire depuis l’arrivée au pouvoir du milliardaire. Ce dernier n’aura sans doute pas le temps d’une nouvelle offensive avant la présidentielle de novembre, mais, de manière significative, il s’est opposé hier à une réouverture exceptionnelle des inscriptions (il s’agit de contrats annuels) demandées par les démocrates et des spécialistes de la santé dans le contexte de la crise sanitaire.
Les questions liées à la couverture santé étaient centrales dans les primaires démocrates, avant que l’apparition du virus ne les interrompe. Il est possible qu’elles deviennent l’un des principaux sujets de la présidentielle, en fonction du bilan humain de la pandémie.

Je te kiffe journaliste du… : Quel type de système de chômage ou de chômage partiel existe aux Etats-Unis ?
L’absence de dispositif d’amortissement de choc économique, tel que le chômage partiel, explique le nombre de 3,2 millions de nouveaux demandeurs d’emploi enregistré à la fin de mars, un chiffre qui à nouveau augmenté pour atteindre les 10 millions jeudi 2 avril. Il a obligé le Congrès à débloquer en urgence 2 200 milliards de dollars (environ 2 000 milliards d’euros) dont une partie sera redistribuée aux chômeurs sous la forme de chèques, dont le montant sera proportionnel aux revenus ordinaires.
Ce mécanisme a suscité l’indignation d’élus républicains, qui ont calculé que, dans certains Etats, les bénéficiaires toucheraient un montant supérieur au salaire minimal. Les démocrates font cependant valoir que ce dispositif ne sera pas suffisant à moyen terme et qu’il faudra rapidement le compléter par un autre plan de soutien.Lire aussi Coronavirus : aux Etats-Unis, la NRA saisit la justice pour garder les armureries ouvertes
Maëlle : Bonjour, y a-t-il des polémiques similaires à celles observées en Europe : manque de masques, matériel de protection, respirateurs ou médicaments ?
Oui, on assiste exactement aux mêmes phénomènes avec un décalage de quelques jours. La polémique principale est celle qui oppose les gouverneurs à un Etat fédéral jugé trop lent. Donald Trump a surtout répondu en mettant en cause les administrations précédentes, qui n’auraient pas constitué les stocks nécessaires, même s’il est au pouvoir depuis plus de trois ans.