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L’Elysée a utilisé une vidéo de la préfecture de police obtenue illégalement et ajouté des images d’une autre scène de violence avant de les diffuser anonymement sur Twitter.

Que s’est-il passé, le 19 juillet 2018, sur le compte anonyme @frenchpolitic, tenu par le responsable du« pôle e-influence » d’En Marche !, Pierre Le Texier ? Comment l’Elysée et la formation d’Emmanuel Macron ont-ils organisé la riposte à la mise en cause, le 18 juillet 2018, du chargé de mission Alexandre Benalla, accusé d’avoir molesté un jeune couple, le 1er mai, à Paris ? Le Monde a retrouvé la vidéo mise en ligne sur ce compte militant aujourd’hui disparu, ainsi que les archives de ce dernier, et tenté de remonter le fil des décisions qui ont conduit à diffuser dans un même tweet des images illégales, mais aussi une vidéo faussement accusatoire.

Nuit de panique à l’Elysée

Durant la nuit du 18 au 19 juillet, un vent de panique saisit l’Elysée. Ismaël Emelien est chargé de la communication de crise, et prend en main la « riposte » avec Sibeth N’Diaye, chef du service de presse de l’Elysée. « Je me souviens avoir dit [à Alexandre Benalla] de diriger vers le service de presse l’ensemble des demandes de journalistes qui lui seraient adressées », a expliqué le conseiller spécial d’Emmanuel Macron aux enquêteurs de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), le 16 janvier.

Le discours est simple : expliquer que M. Benalla a déjà été sanctionné, par une mise à pied durant quinze jours au mois de mai 2018 – ce que déroulera le lendemain matin Bruno Roger-Petit à la télévision. Mais il faut aussi convaincre l’opinion qu’Alexandre Benalla ne faisait que réagir en réponse à des violences. En termes de communication de crise, il s’agit de « donner du contexte ».

Pour cela, le conseiller spécial du président, Ismaël Emelien, a son idée : utiliser des images et les faire diffuser par des comptes militants. Il se charge lui-même de les trouver puis de les transférer dans la matinée du 19 juillet, au responsable de la « riposte » d’En Marche !, Pierre le Texier, via Telegram, une messagerie cryptée privilégiée par les macronistes pour la « riposte », car elle permet un relatif anonymat. M. Le Texier dispose en effet de plusieurs comptes Twitter, dont un anonyme qu’il a créé début 2017, @frenchpolitic, qu’il va privilégier : « Je ne voulais pas que les journalistes fassent le lien avec moi et qu’ils me demandent pourquoi nous défendions M. Benalla », explique-t-il devant l’IGPN.

Alexandre Benalla fournit les premières images. Elles proviennent du système de vidéosurveillance de la Préfecture de police de Paris (PP), et il les a obtenues quelques heures plus tôt sur un DVD-Rom. On y voit le jeune homme de la Contrescarpe et sa compagne lancer des bouteilles et d’autres projectiles sur les policiers présents sur la place, juste avant l’intervention d’Alexandre Benalla. Le jeune couple n’a d’ailleurs jamais contesté cette agression et a été pour cela condamné le 8 février à 1 000 euros d’amende par le tribunal correctionnel de Paris. Aux enquêteurs, M. Emelien a expliqué qu’il ignorait leur provenance et donc leur caractère illégal : il affirme ne pas s’être interrogé « sur leur origine ».

Il explique en revanche s’être interrogé sur leur efficacité, et repense à une autre vidéo, que, selon lui, lui aurait montrée Alexandre Benalla dès le 2 mai. On y voit un homme, très agité, poursuivre un policier, chaise à la main. Lors de son audition le 16 janvier, Ismaël Emelien a expliqué qu’Alexandre Benalla lui avait envoyé alors ces images « par message » sur son téléphone en lui confiant qu’il s’agissait du jeune homme de la Contrescarpe. Le 19 juillet, « Je lui dis que cette vidéo est utile (…). Je lui demande donc de me la renvoyer », assure le conseiller spécial d’Emmanuel Macron. Mais Benalla traîne, et Emelien finit par la retrouver dans son propre portable.

Il joint alors « les deux vidéos dans un même fichier (celle du 2 mai, et une extraction de celle du 1er mai figurant sur le DVD) ». Or, si les images de vidéosurveillance montrent bien la scène de la place de la Contrescarpe, ce n’est pas le cas des images de « l’homme à la chaise » : il ne s’agit nullement du jeune homme désormais bien connu immobilisé par Alexandre Benalla place de la Contrescarpe, comme en attestent facilement ses chaussures, de couleur différente, ou encore son blouson, sans fourrure. Visiblement tournée par une journaliste (anciennement au Figaro Madame), qui l’avait diffusée sur Instagram, cette vidéo-là date en réalité – on le constate notamment à la luminosité, très différente de la première séquence – de la soirée du 1er mai. Soit bien après l’altercation entre Alexandre Benalla et le couple.

« Problématique de communication »

Le Monde l’a également localisée : l’homme à la chaise poursuit un policier rue du Pot-de-Fer, à environ 200 m de la Contrescarpe. Ce n’est donc ni la bonne personne, ni la bonne heure, ni le bon lieu. La vidéo accusatoire de « l’homme à la chaise » est pourtant ajoutée à celle « des bouteilles » et envoyée à Pierre Le Texier, qui choisit d’y ajouter une légende en deux phrases laconiques : « OK, même si ce n’était pas à #Alexandre Benalla de le faire, ne faisons pas passer cet étudiant pour un garçon bien sous tout rapport. C’était un individu violent qui était sciemment venu place de la contre-escarpe pour casser du flic. »

Le 19 juillet, à 12 h 59, @frenchpolitic met en ligne le film contenant les deux vidéos. Tant pis pour l’effet de sens produit par ce collage, qui fait évidemment croire qu’il s’agit du même jeune homme. M. Le Texier relaie à nouveau la vidéo quelques heures plus tard à l’aide d’un autre faux compte, celui d’un certain « Alain GrandBernard », pseudonyme collectif utilisé par les militants macronistes en ligne, qui dispose également d’un blog. Le même soir, vers 19 h 15, « Alain GrandBernard » se fend d’ailleurs d’un billet titré : « L’affaire Benalla est grave. Mais elle n’est pas politique. »

Emmanuel Macron se trouve ce jour-là en déplacement à Périgueux, en Dordogne, en compagnie de nombreux journalistes accrédités. Trois quarts d’heure après la mise en ligne du montage par le compte macroniste, Sibeth N’Diaye en prévient quelques-uns oralement : « Va voir un compte qui s’appelle “French Politic”. Tu verras que Benalla n’est pas celui qu’on dit. » Ils tombent sur la vidéo avec la légende de Pierre Le Texier. Ce dernier supprimera le tweet contenant la vidéo au bout de quelques heures, sur demande de M. Emelien.

Sur France 5, jeudi 28 mars, Ismaël Emelien, qui a démissionné de l’Élysée le 11 février et fait actuellement la promotion de son livre Le progrès ne tombe pas du ciel (Fayard), a indiqué qu’il ne savait pas que l’homme de la vidéo « à la chaise » n’était pas celui de la Contrescarpe (« J’en sais rien, je ne sais pas qui est ce monsieur, je ne sais pas si c’est celui-là ou pas. »). Il a aussi admis et justifié l’utilisation de comptes anonymes : « Vous savez, sur Twitter, c’est un peu la règle. » « Y compris à l’Elysée ? », le relance le journaliste Patrick Cohen. « Non, pas directement », nuance l’ex-conseiller, qui était pourtant bel et bien à la manœuvre.

Dix jours plus tôt, devant un parterre d’intellectuels, Emmanuel Macron les dénonçait pourtant violemment. « Ce que je peux faire dans le réseau social, maintenant je le fais dans la rue. L’anonymat devient un casque, une cagoule, un masque », expliquait le président.

Source:© Comment l’Élysée a fait diffuser un montage vidéo trompeur pour tenter d’excuser Alexandre Benalla

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