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DÉCRYPTAGE – Les responsables du Cevipof ont étudié le profil sociopolitique des étudiants et son évolution de 2002 à 2022. Déjà très marqué, le tropisme de gauche s’est encore renforcé. Source:© Comment expliquer un tropisme de gauche si fort à Sciences Po?

Vingt ans après une première consultation ayant cerné le profil sociopolitique des étudiants de Sciences Po (IEP Paris), nous avons réalisé une nouvelle enquête pour en saisir les évolutions les plus remarquables. Les résultats donnent un aperçu de ce que seront les futurs responsables économiques, culturels et politiques.

 

● Une politisation record

Depuis sa création en 1872, la politique ainsi que les sciences qui l’étudient sont la marque de fabrique de l’École. Depuis 2002, soit en l’espace d’une génération, la proportion d’étudiants intéressés par la politique, accordant à celle-ci une place importante dans leur vie, interpellés par les questions de société et les débats qu’elles suscitent, et se mobilisant en grand nombre pour les causes auxquelles ils croient, a très largement progressé. Neuf étudiants sur dix reconnaissent leur intérêt pour la politique. Et parmi eux, une majorité (54%) déclare s’y intéresser beaucoup. En comparaison, les jeunes âgés de 18-24 ans en France sont 4 fois moins nombreux dans ce cas. Cette politisation est particulièrement notable parmi les étudiantes, qui étaient 32% à manifester un fort niveau de politisation en 2002 et qui sont désormais 48% dans ce cas. C’est un résultat important qu’il faut du reste rapprocher de l’accroissement significatif du nombre d’étudiantes au sein de l’établissement ces dernières années.

Néanmoins, une telle politisation n’exclut pas une certaine défiance envers les institutions démocratiques ou les représentants élus: quatre étudiants sur dix estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien en France. C’est un avis moins négatif que celui que nous enregistrons pour les Français de moins de 26 ans (50%). Néanmoins, c’est une proportion loin d’être négligeable au sein d’un établissement comme celui de Sciences Po. Par ailleurs, un étudiant sur deux considère que les responsables politiques sont corrompus. Enfin, 28% considèrent qu’il est acceptable d’insulter le président de la République (et 43% que si ce n’est pas acceptable, c’est compréhensible).

● Plus à gauche que la moyenne des 18-26 ans

L’enquête menée il y a vingt ans avait mis en évidence l’orientation à gauche majoritaire parmi les étudiants de la rue Saint-Guillaume. En 2002, 57% d’entre eux se positionnaient à gauche. Aujourd’hui, cette orientation idéologique s’est renforcée et ce sont 71% des étudiants qui revendiquent cette inclinaison (plus 14 points). Le positionnement à droite a quant à lui reculé, passant de 22% à 14% (moins 8 points). Les étudiants de Sciences Po se distinguent des autres jeunes de leur génération. En effet, seuls 41% des 18-26 ans se situent à gauche (soit 30 points de moins que les étudiants de Sciences Po), 38% se situent à droite (plus 24 points). Enfin, 21% se situent en position centrale (plus 11 points).

Comme les autres jeunes de leur génération, les étudiants de Sciences Po ont adopté les comportements et les attitudes d’une culture politique protestataire qui s’est assez largement diffusée. Près des deux tiers d’entre eux ont déjà participé à une manifestation (contre 54% en 2002). Toutefois, contrairement à une frange croissante des jeunes de leur génération, leur protestation ne va pas jusqu’à rejeter le système de la démocratie représentative. Leur protestation reste davantage insérée dans le système politique. En témoigne le fait que les personnalités politiques qu’ils admirent le plus sont non seulement des femmes, mais deux figures internationales d’élues de premier plan et au cœur du dispositif de la représentation démocratique: Alexandria Ocasio-Cortez (membre démocrate de la Chambre des représentants aux États-Unis) et Jacinda Ardern (première ministre de la Nouvelle-Zélande). Dans ce palmarès, Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon occupent respectivement les troisième et quatrième places, juste avant l’Ukrainien Volodymyr Zelensky.

Par ailleurs, ils ne sont pas vraiment gagnés par le syndrome de l’abstention (plus de neuf étudiants sur dix ont voté lors de la dernière élection présidentielle) et la violence politique ne séduit qu’une minorité d’entre eux. Ils sont davantage à la recherche d’une amélioration de la démocratie représentative qu’à celle d’un substitut à celle-ci. Au travers de ces choix, comportements ou attitudes, se dessine le portrait de jeunes adoptant une citoyenneté critique où l’on observe sinon un affaiblissement de la norme civique des devoirs citoyens, en tout cas une citoyenneté de droits multiples revendiqués. En somme, une citoyenneté en recherche et en quête de sens pour le monde de demain dans lequel ils doivent s’inscrire, non sans inquiétude et anxiété.

● 55% pour Mélenchon au 1er tour de 2022

La prédominance renforcée d’une culture politique de gauche est visible dans les choix électoraux exprimés lors de la dernière élection présidentielle. Encore plus politisés qu’en 2002, les étudiants de Sciences Po ont accordé leurs suffrages en premier lieu à la gauche radicale et à son leader Jean-Luc Mélenchon. Au premier tour du scrutin présidentiel, ce vote concerne plus d’un étudiant sur deux (55%), soit +24 points par rapport à l’ensemble des jeunes Français âgés de 18 à 24 ans ayant voté.

De jospiniste et socialiste en 2002, la gauche des étudiants de Sciences Po est devenue mélenchoniste et insoumise en 2022. Certes, en vingt ans, l’offre politique à gauche s’est assez largement recomposée – comme, du reste, à droite -, et la disruption macronienne a pu encore troubler le jeu. Mais l’on retiendra que les étudiants n’ont pas résisté au mélenchonisme, délaissant la mouvance socialiste, et même le parti écologiste Europe Écologie-Les Verts, en tout cas électoralement. Ils se sont inscrits pleinement dans un mouvement d’homogénéisation des votes à gauche.

En 2002, Lionel Jospin avait fédéré 60% des votes de gauche des étudiants de Sciences Po ; en 2022, Jean-Luc Mélenchon a capté 77% d’entre eux. Cette translation en faveur de La France insoumise indique, si ce n’est une radicalisation politique au sein de l’établissement, en tout cas une tentation pour la radicalité portée et revendiquée par cette famille politique au sein de la gauche.

Même s’il existe un vote de droite caché dans le choix d’Emmanuel Macron, la droite n’a jamais été aussi faible à Sciences Po

Dans cet univers politique assez univoque, il reste peu de place pour les cultures politiques de la droite. Si l’on remonte vingt ans en arrière, la droite de gouvernement n’était déjà pas très représentée au sein de la population étudiante. Aujourd’hui, elle a quasiment disparu, et ce même si les étudiants militants dans ce camp politique, notamment au sein des Républicains, se montrent parmi les étudiants les plus mobilisés et les plus actifs au sein de Sciences Po.

Même s’il existe un vote de droite caché dans le choix d’Emmanuel Macron, la droite n’a jamais été aussi faible à Sciences Po: alors que ses candidats rassemblaient 28% des intentions de vote en 2002, les quatre candidats de droite n’attirent en 2022 que 7% des suffrages étudiants. L’extrême droite lepéniste reste très marginale sur les bancs de l’École, comme en 2002 (Marine Le Pen recueille 1% des suffrages). Quant à Éric Zemmour, il obtient 3% du vote des étudiants, soit autant que Valérie Pécresse.

L’affaiblissement de la droite est visible y compris dans les filiations politiques des étudiants et surtout des étudiantes, qui sont nombreuses à témoigner de ruptures d’allégeances par rapport à leurs parents de droite. Par ailleurs, même les étudiants s’inscrivant dans une filiation de droite votent autant en faveur d’Emmanuel Macron plutôt qu’en faveur des autres candidats de droite.

La base électorale et politique de la macronie reste relativement limitée. Le président réélu n’a obtenu les suffrages que de 21% des jeunes électeurs de Sciences Po. Les étudiants qui se définissent comme étant plutôt de gauche ont boycotté le président sortant (8%), alors que les étudiants de droite ont voté à une courte majorité absolue (50%) pour lui, les étudiants refusant le clivage gauche-droite le plébiscitant à hauteur de 63%. Le déplacement du centre de gravité de la gauche vers la droite qu’a connu l’électorat Macron de 2017 à 2022 est bien visible.

● L’engagement associatif progresse

Les étudiants de Sciences Po témoignent d’un engagement partisan relativement élevé. 11% déclarent être membres d’un parti politique. C’est plus qu’en 2002 (8%). Dans l’ensemble de la population du même âge, c’est entre 1 et 2%. Le militantisme au sein des partis a donc une place à Sciences Po et connaît même une relative vitalité dans le contexte actuel: 48% des étudiants se disent prêts à adhérer à un parti ou à un mouvement politique.

Néanmoins, c’est le militantisme associatif ou alternatif qui s’impose et prévaut. Plus du tiers des étudiants font partie d’une association humanitaire ou caritative (36%), soit le double d’il y a vingt ans. Et 16% d’entre eux font partie d’une association de défense de l’environnement, soit trois fois plus qu’en 2002.

Une large majorité des étudiants de Sciences Po fait donc preuve d’engagements concrets, faisant partie d’une organisation politique traditionnelle ou associative (58% contre 35% en 2002). Ces engagements vont de pair avec les causes et les luttes qui les animent ou les inquiètent. Sans surprise, ils appartiennent à une génération où le combat contre les inégalités et la lutte contre le réchauffement climatique dominent leurs mobilisations et leurs manières de voir le monde. Pour eux, la politique est avant tout un moyen de régler les conflits à l’origine des désordres de la société et moins une finalité

 

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