
CHRONIQUE – Élu par deux Français sur trois, le chef de l’État a dilapidé ses atouts.
Cette fois, les Français avaient cru trouver la clé du bonheur en se dotant d’un président aux allures de Fanfan la Tulipe incarné par Gérard Philipe. Parvenus au milieu du film, il leur faut hélas déchanter. Le rendez-vous à mi-mandat évoque plutôt Bonjour tristesseque La Promesse de l’aube. L’économie s’essouffle et le climat social est à couper au couteau. En ce mois de novembre où les jours n’en finissent pas de raccourcir, «la promesse de bonheur» entraperçue il y a deux ans et demi a fait place à la «convergence des colères». Les étudiants, les hôpitaux, les retraités en herbe des régimes spéciaux, sans compter les insubmersibles «gilets jaunes». Existe-t-il aujourd’hui dans l’Hexagone des gens satisfaits de leur sort?
Élu par deux Français sur trois en mai 2017 – la proportion que Valéry Giscard d’Estaing jugeait idéale pour réformer la France durant son septennat (1974-1981) -, Emmanuel Macron avait au départ tous les atouts pour réussir. La chance du vainqueur, l’audace de la jeunesse, la crédibilité de l’homme neuf délesté des vieilles idéologies gauche-droite.«La reprise, elle est là», n’avait cessé de clamer, et de faire rire, François Hollande. Or au moment du passage de témoin entre le président le plus discrédité de toute la Ve République, au point de renoncer à se représenter, et son ancien secrétaire général adjoint à l’Élysée, la croissance était effectivement de retour. La progression de 2,3 % du PIB enregistrée en 2017 fut la plus forte depuis douze ans. Une bénédiction amplement méritée selon le nouveau pouvoir.Ces premières victoires obtenues à la hussarde furent-elles trop faciles au point d’enivrer son auteur, Jupiter autoproclamé victime de son hubris ?
Car il est bien connu que la chance sourit aux audacieux. Pour sa première saison à la magistrature suprême, notre jeune président eut à cœur d’apporter la preuve de sa détermination. L’été 2017 était à peine achevé qu’il signait à l’Élysée les ordonnances de la loi travail adoptées au pas de charge pour libéraliser le marché de l’emploi. Les télévisions furent convoquées le 22 septembre pour ce spectacle à l’américaine comme les aime Donald Trump qui nous a accoutumés à la signature publique de ses oukases. De l’audace, toujours de l’audace, encore de l’audace. Au printemps 2018, le changement de statut de la SNCF constitua un autre succès tonitruant. «La mère de toutes les réformes», a-t-on dit alors, tellement le bastion de l’entreprise ferroviaire désormais ouverte à la concurrence paraissait quasi imprenable.
Ces premières victoires obtenues à la hussarde furent-elles trop faciles au point d’enivrer son auteur, Jupiter autoproclamé victime de son hubris? Certes, les réformes se sont poursuivies conformément au programme électoral de la présidentielle 2017 dans lequel la suppression de la taxe d’habitation pour les 80 % des moins aisés de la population faisait pendant à l’abolition de l’ISF du 1 % des contribuables les plus riches. Tour à tour, les règles de la formation professionnelle ont été revues, puis l’indemnisation du chômage, sans parler de la «loi Pacte, cet inénarrable fourre-tout (qui inclut la privatisation d’Aéroports de Paris). Ou encore le PAS, le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu censé devenir aussi invisible et indolore que la TVA, perversité suprême du fisc. Autant de novations imposées d’en haut, dans la pure tradition technocratique, qui a oublié qu’«on ne change pas la société par décrets» selon le best-seller du sociologue Michel Crozier. Cette illusion s’est payée très cher à l’automne 2018 avec la crise des «gilets jaunes» survenue sur une banale erreur de calcul de Bercy. Personne n’avait imaginé au ministère des Finances qu’il était absurde d’instaurer une taxe carbone juste au moment où les cours du pétrole s’envolaient…À lire aussi : Un an des «Gilets Jaunes»: ces mesures économiques prises pour répondre à la colère
Ce manque de jugement a été le déclencheur du soulèvement des «GJ». Et depuis lors, la politique de grande transformation du pays ambitionnant de renforcer la compétitivité des entreprises et d’améliorer les compétences des Français (très mal placés dans les classements de l’OCDE) s’est inclinée devant une vulgaire redistribution du pouvoir d’achat par de l’argent public (17 milliards). Autrement dit un creusement de la dette sans que cela ne parvienne à enrayer la baisse de régime de la croissance, deux fois moindre aujourd’hui qu’en 2017. Emmanuel Macron s’inscrit dans la lignée de ses prédécesseurs à l’Élysée depuis «la relance de la consommation populaire» de François Mitterrand en 1981. De même en stigmatisant la règle de la zone euro limitant à 3 % du PIB le déficit public comme «un débat d’un autre siècle», il rend hommage à Jacques Chirac. On se souvient que le président français s’était entendu en 2004 avec le chancelier Gerhard Schröder pour mettre entre parenthèses la norme des 3 %. L’Allemagne en avait alors profité pour réaliser ses réformes structurelles quand la France y avait vu une facilité de court terme.
Reste la réforme des retraites, qui nous promet un troisième conflit social annuel de grande ampleur. La première année du quinquennat fut marquée par la grève de la SNCF «deux jours sur cinq durant tout le deuxième trimestre 2018» et la seconde année par les manifestations du samedi des «gilets jaunes» et les guérillas urbaines afférentes. Sans nier le besoin de toilettage des 42 régimes actuels, la retraite peut-elle être sérieusement érigée en priorité nationale dans un pays où le taux d’activité des gens en âge de travailler est l’un des plus bas d’Europe (64,2 % en France et 79,6 % en Suisse)? Parler de pensions plutôt que de travail, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Voilà une erreur de stratégie de gros calibre de la part du président. Aura-t-on une réforme de la retraite, ou la retraite de la réforme? Cédera-t-il ou pas? Chacun de se demander si Macron est comme un macaron, dur à l’extérieur et mou à l’intérieur. La météo sociale n’a jamais été aussi désespérante.
Source: «Climat social délétère, économie à plat: Macron échoue à redynamiser le pays»