PORTRAIT – Cet idéologue de l’ombre, qui exerça son influence auprès des trois derniers dirigeants chinois, est monté en grade à l’occasion du 20e Congrès du PCC.
Wang Huning est un homme discret. Mais durant le premier mandat de Xi Jinping, de 2013 à 2018, il n’était pas rare d’apercevoir sa silhouette longiligne et ses petites lunettes cerclées dans l’ombre du dirigeant lors de ses déplacements à l’étranger. Avec le 20e Congrès du Parti communiste chinois (PCC), clôturé samedi, cet universitaire de profession a vu son influence encore grandir. Il hérite du quatrième rang protocolaire au Comité permanent du bureau politique (il était auparavant cinquième), soit l’équivalent d’un ministre d’État en France.
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Une anecdote bien connue en Chine le caractérise d’ailleurs parfaitement : «Le jour de son mariage avec sa première femme, il était chargé d’acheter des fleurs et est rentré avec des livres», s’amuse le spécialiste. Un esprit parfois distrait qui n’a pas empêché l’universitaire érudit de devenir l’éminence grise des deux derniers dirigeants chinois, Jiang Zemin et Hu Jintao, avant d’être celle de Xi Jinping. Il est aujourd’hui décrit comme l’idéologue en chef du parti communiste.
L’anti-modèle américain
Les écrits de Wang Huning ont forgé sa réputation en Chine. Ils puisent leur origine dans un terreau similaire à celui de Xi Jinping : les deux hommes sont de la même génération et ont connu dans leur jeunesse le chaos de la grande révolution culturelle (1966-1976). Plus largement, Wang Huning a construit sa pensée «sur la manière de sécuriser le socialisme contre les forces de la mondialisation occidentale», comme l’analyse Matthew D. Johnson, enseignant à l’université de Pittsburgh, dans un texte traduit par Le Grand Continent.
Il comprend à cet instant que la solution pour la Chine n’est pas le libéralisme, mais un autoritarisme dûment assumé.
Emmanuel Lincot
Ses voyages en Europe, mais surtout aux États-Unis en 1988, lui inspirent son essai le plus célèbre, America Against America, publié au lendemain du massacre de Tiananmen. Il y fait «une dénonciation très communiste de la démocratie américaine, commente Jean Pierre Cabestan. Il pense que seul un pouvoir centralisé est capable de développer économiquement la Chine tout en la rendant plus puissante».
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«Il comprend à cet instant que la solution pour la Chine n’est pas le libéralisme, mais un autoritarisme dûment assumé», abonde Emmanuel Lincot. C’est lui qui est à l’origine de la plupart des concepts politiques emblématiques de Xi Jinping : le slogan politique du «rêve chinois», par opposition au «rêve américain», les «nouvelles routes de la soie» et même «l’idée de la concentration des pouvoirs», à l’œuvre en Chine depuis l’arrivée de Xi Jinping, souligne Jean-Pierre Cabestan.
Le «Douguine chinois»
Durant trois décennies, Wang Huning va savamment distiller cette idéologie auprès de trois dirigeants chinois successifs, en devenant leur «plume», une sorte de «spin doctor» ou de «conseiller du prince». Il devient rapidement la machine à idées du PCC, dont il rédige notamment les discours officiels.
Dans un long texte consacré à Wang, l’écrivain basé à Washington N.S Lyons le place d’ailleurs sans hésiter «dans la lignée des Tremblay, Talleyrand, Metternich, Kissinger ou Vladislav Sourkov». Emmanuel Lincot préfère voir en lui le «Douguine chinois», du nom de l’idéologue russe, défenseur du nouvel impérialisme russe : Wang veut «renouer avec une politique conservatrice», comme Douguine «prône un retour à l’orthodoxie slave». «Pour Wang, l’Occident est corrompu par la démocratie et il faut non seulement s’écarter de cette voie, source de contagion idéologique, mais aussi écarter toute personne qui y souscrirait», ajoute le chercheur.
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À ce titre, sa réaction à l’éviction de l’ancien président Hu Jintao lors de la cérémonie de clôture du 20e Congrès du PCC est symptomatique. «Wang semble absolument médusé mais en même temps ravi. Pour lui, c’est la vieille garde qui s’en va», interprète Emmanuel Lincot. Lors du 18e Congrès du PCC, en 2012, Hu Jintao avait appelé à «attacher plus d’importance à l’amélioration du système démocratique», en séparant plus clairement les rôles du parti et de l’État et en permettant plus de participation de la population dans le choix des dirigeants locaux. Un discours que Wang avait sans doute jugé inacceptable.
Un entremetteur au service de la stratégie du Front uni
Depuis quelques années, Wang Huning semble sortir de l’ombre et assumer un rôle plus officiel. Sous la précédente mandature de Xi Jinping, il dirigeait le Secrétariat central, ce qui faisait de lui l’adjoint direct du dirigeant pour la gestion des affaires courantes du parti. Une anomalie, pour un universitaire, dans le système chinois. «Habituellement, les communistes n’aiment pas trop les intellos. Ils finissent généralement en prison», ironise Jean-Pierre Cabestan. Mais lui «a fait le calcul de faire du marketing politique pour justifier la dictature», ajoute le chercheur.
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En mars, lors de l’assemblée nationale annuelle, Wang Huning montera encore un peu plus en grade (et en visibilité) en devenant le président de la Conférence consultative politique du peuple chinois. Abusivement comparée à un Sénat, cette instance n’a aucun pouvoir de décision et regroupe une majorité de personnalités non-communistes. Mais la nomination de Wang à sa tête lui «permettra de jouer un rôle d’intermédiaire dans la stratégie chinoise du Front uni», estime Jean-Pierre Cabestan.
Toujours dans cette démarche, qui consiste à rallier à la cause du PCC les récalcitrants pour mieux isoler les forces les plus hostiles, Wang pourrait également «jouer un rôle relativement important vis-à-vis de Taïwan». «Il va devenir numéro 2 du groupe dirigeant chargé de Taïwan, et sur ce sujet, la Chine avance sur le front militaire, mais aussi sur le front politique et idéologique», souligne le chercheur. Dans ce cadre, Wang Huning pourrait avoir comme mission de convaincre les Taïwanais des bienfaits d’une réunification.
*Emmanuel Lincot a publié Chine et terres d’Islam aux éditions PUF en 2021.