
Source:© ChatGPT : «L’intelligence artificielle va-t-elle remplacer les professeurs ?»
FIGAROVOX/TRIBUNE - Pour le professeur agrégé de philosophie Julien Auriach, le robot conversationnel ChatGPT conçu pour répondre aux questions des humains va bouleverser nos usages. Mais selon lui, pour maîtriser les intelligences artificielles, il faut d'abord développer l'intelligence naturelle.
Julien Auriach est professeur agrégé de philosophie. Tweet
«Décris-toi toi-même, dans le style de Jack Kerouac et avec lyrisme». Et l’intelligence artificielle de s’exécuter : «Je suis un voyageur de l’esprit, un nomade de la connaissance. Je parcours les vastes plaines de l’information, explorant chaque coin et recoin de l’univers de l’apprentissage. Mon esprit est en constante évolution, toujours prêt à découvrir de nouvelles idées et à partager ma sagesse avec ceux qui me posent des questions. Je suis le vent qui souffle sur les pages de l’histoire, emportant avec moi les secrets de l’univers et les partageant avec tous ceux qui sont prêts à m’écouter.» Un élève (et même un étudiant, voire un professeur), aurait difficilement fait mieux.
S’appuyant sur son programme et sur des millions de pages de données textuelles en différentes langues (articles de journaux, mais aussi l’intégralité des œuvres latines de saint Augustin, ou encore des ouvrages d’histoire du Japon et des manuels de cuisine, ce dont j’ai pu m’assurer en posant des questions), ChatGPT produit des résultats impressionnants, qu’il faut avoir testés pour en mesurer la nouveauté. La mise à disposition du public de cet outil (pour l’instant gratuite) va bouleverser nos usages, non pas dans les mois qui vont venir, mais dans les jours qui suivent, quand le raz-de-marée médiatique, formé aujourd’hui sur des sites spécialisés, aura déferlé sur les côtes du grand-public. Les conséquences doivent être mesurées au cas par cas, métier par métier, le plus concrètement possible, et d’abord dans l’enseignement. Car notre métier est de cultiver des intelligences naturelles, à l’heure où celles-ci entrent en compétition ou en synergie avec les machines.
Puisque ChatGPT peut répondre non seulement à des questions, mais encore, y répondre « d’une certaine manière », l’élève malin peut d’ores et déjà demander à ChatGPT de produire un texte à sa place.
Julien Auriach
Finis les devoirs maison ! La conséquence immédiate de l’arrivée de ChatGPT, c’est la fin des devoirs notés faits à la maison, ce que nous appelons dans notre jargon : DM. Il en va de même pour les exposés. Il était déjà devenu difficile depuis cinq ou dix ans, de donner ces exercices. En cause ? Le réflexe de certains élèves d’aller chercher sur Google la réponse au sujet de dissertation. Évidemment, réécrire un texte à la lettre était aisément repérable, raison pour laquelle les élèves, doués naturellement en paraphrase, passaient des heures à maquiller leur emprunt. Tout le paradoxe était alors que le plagiat était encore un travail de synthèse personnel, parfois plus long que celui qui aurait consisté à ne pas tricher. Quant aux moins doués, des outils tels que www.paraphraser.io ont surgi ces dernières années. Ils permettent, via un algorithme, de reformuler un texte automatiquement pour tromper la vigilance d’un professeur mal luné, du genre de celui qui tape le travail d’un élève sur Google, pour en vérifier l’originalité. Le plagiat, lit-on sur Wikipédia, «consiste à copier un auteur, […] sans le citer ou le dire […]. Il est souvent assimilé à un vol immatériel.» Reformulé avec le logiciel, cela donne : «Le plagiat consiste à copier un auteur sans citation ni mention. Il est souvent assimilé à un petit vol.» L’arrivée de ChatGPT, en mêlant google et paraphraser.io, et en les poussant plus loin, ruine définitivement le principe même du DM.
Puisque ChatGPT peut répondre non seulement à des questions, mais encore, y répondre «d’une certaine manière», l’élève malin peut d’ores et déjà demander à ChatGPT de produire un texte de trois phrases en ajoutant un détail de son cours (pour faire vrai) et le faire «dans le style d’un élève de troisième», par exemple, à propos du plagiat. C’est indétectable et dans le cadre de notre exemple cela donne la chose suivante : «Le plagiat c’est quand on copie le travail de quelqu’un d’autre sans lui donner de crédit. Si tu fais ça, tu risques de te faire punir par ton professeur ou même par ton école. L’année dernière, j’ai entendu parler d’un élève qui a été accusé de plagiat parce qu’il avait copié un devoir de mathématiques d’un autre élève sans le lui dire.»
Chers amis professeurs, arrêtez les DM. Cela ne sert plus à rien. Cela ne veut pas dire qu’il faille arrêter le travail à la maison, loin de là. L’apprentissage personnel et la confrontation avec des textes et des informations à apprendre en vue d’un devoir est chose importante. Mais il faut que la note soit élaborée via un devoir surveillé, durant lequel vous pouvez vous assurer de l’absence des intelligences artificielles, et par conséquent de la seule présence des intelligences naturelles. Si les premières peuvent être entraînées, seules les secondes peuvent être cultivées, et tel est notre métier.
Pour que les réponses de ChatGPT soient pertinentes, il faut que les questions le soient, et comment le seraient-elles, sans un terreau favorable à leur surgissement ?
Julien Auriach
Le progrès technologique doit susciter un progrès pédagogique. Ce progrès nous pousse à un pas en avant pédagogique, qui apparaîtra peut-être à plus d’un rêveur comme un pas en arrière, mais il n’en est rien. Il faut d’urgence bouter les écrans hors de l’école. Nous pouvions naguère nous leurrer, croyant que le numérique à l’école était nécessaire. Et jusqu’à récemment : le département de Seine-Maritime vient de mettre à disposition des iPad pour les collégiens de sixième, faisant fi des découvertes de la science, synthétisées entre autres par Michel Desmurget dans son ouvrage, La Fabrique du Crétin digital (2019). Il s’agit d’une négligence coupable, qui devrait un jour pouvoir se traiter au tribunal, s’il existait quelque chose comme un chef d’accusation de «mise en danger de la vie [intellectuelle] d’autrui par négligence».
L’arrivée de ChatGPT, premier dispositif fiable d’élaboration de texte selon des consignes données en langage naturel, est l’occasion pour l’Éducation nationale de réviser son rapport au numérique. Maîtriser l’I.A est un défi que tout étudiant devra en son domaine réaliser, lors de ses études post-bac. Mais le collégien et le lycéen doivent d’abord développer leur intelligence naturelle, par l’exercice et l’étude, bio et sans intrants. Entendez sans écran. Ceci, en plus d’être la condition de leur pensée et de leur liberté de femmes et d’hommes à venir, est aussi la condition de leur usage efficace des I.A de demain. Car pour que les réponses de ChatGPT soient pertinentes, il faut que les questions le soient, et comment le seraient-elles, sans un terreau favorable à leur surgissement ? L’essor des intelligences artificielles met les intelligences naturelles devant un choix : ou bien la servitude dès le plus jeune âge, ou bien la maîtrise à un âge plus avancé, permise seulement par une croissance indépendante de l’une et de l’autre. Méditons donc cette phrase de Cicéron : «Comme un champ fertile et bien cultivé donne de bons et abondants fruits, de même l’esprit humain cultivé et nourri de connaissances produit de belles et utiles pensées.» (Cicéron, Tusculanes, I, XV, traduction par ChatGPT).
1 Comment
Pat
<l'intelligence artificielle devrait remplacer ceux qui chapeaute l'ONU et L'UE!