DÉCRYPTAGE – La récession industrielle redoutée n’a pas eu lieu en fin d’année 2022, mais certaines entreprises sont étouffées par leurs factures qui flambent.Source:© Ces PME piégées par les contrats d’électricité signés au prix fort
DÉCRYPTAGE – La récession industrielle redoutée n’a pas eu lieu en fin d’année 2022, mais certaines entreprises sont étouffées par leurs factures qui flambent.
Maxime Mathey, le directeur général d’Outillage Magafor, est très inquiet. Ce fabricant d’outils coupants pour la métallurgie, qui réalise un chiffre d’affaires de plus de 20 millions d’euros et emploie 160 salariés, se trouve dans une situation financière tendue en ce début d’année en raison de sa facture d’énergie. «L’électricité est notre principal poste de dépense énergétique, souligne Maxime Mathey. L’an dernier, notre facture était de 350.000 euros. Elle devrait passer à 1,8 million d’euros cette année.» Le cas d’Outillage Magafor n’est pas isolé. Certaines entreprises sont prises à la gorge, obligées d’honorer les factures d’un contrat signé au prix fort à l’automne 2022, lorsque les prix de l’électricité et du gaz étaient au plus haut.
Depuis, les tarifs ont fortement décru. Le recul de l’activité industrielle de 10 % sur la fin de l’année 2022, annoncé par France Industrie, ne s’est pas produit. Et le gouvernement a débloqué plusieurs milliards d’aides. «Globalement, les aides mises en place par l’État apportent une réelle bouffée d’oxygène, reconnaît Alexandre Montay, délégué général du Meti, le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire. Mais il existe des trous dans la raquette.»
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Bouclier tarifaire, amortisseur, guichet… Le panel des aides aux entreprises face à la hausse des prix de l’énergie est vaste, trop peut-être. Entre celles qui y ont droit et ne savent pas comment faire et celles qui sont passées sous les radars, il reste encore de nombreuses zones d’ombre dans le dispositif. Comme l’illustre le cas de Mithieux Metal Protect, spécialiste des traitements industriels anticorrosion, qui emploie 65 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros. La situation de cette entreprise est complexe. Elle a dénoncé son contrat de fourniture d’électricité fin 2021, ce qui l’a conduite à avoir deux mois de factures sans Arenh (la part d’électricité vendue par EDF à bas prix, car se fondant sur les coûts du nucléaire), donc très chères. Et comme c’est cette facture 2021 qui sert de base pour les aides, l’entreprise n’a pas pu en bénéficier l’an dernier.
«Des échéanciers au cas par cas»
«En 2021, l’électricité représentait 6 % de notre chiffre d’affaires. L’an dernier, c’était monté à 12 %, malgré nos efforts de sobriété», déplore Jonathan Fhima, directeur général de Mithieux Metal Protect. Et cette année s’annonce bien pire encore, sans doute autour de 17 % ou 18 % de son chiffre d’affaires. «Nous devrions bénéficier d’aides cette année, mais nous n’avons pas d’estimation très claire de ce que cela va représenter», précise Jonathan Fhima. Chez Outillage Magafor, l’amortisseur devrait faire baisser la facture de 600.000 euros, mais elle va encore rester très – trop – élevée. «Cette facture va nous manger toute notre marge», ne peut que constater Maxime Mathey.
Une cinquantaine d’ETI se trouvent dans une situation financière très compliquée
Alexandre Montay, délégué général du Mouvement des entreprises de taille intermédiaire
Dans un premier temps, le gouvernement avait ciblé les très petites entreprises, les petites et les moyennes (TPE et PME). Le dispositif est efficace, même si tout le monde n’arrive pas à éviter le raz de marée de la hausse. Les grands groupes se sont, eux, organisés avec des stratégies de couverture complexe. Restent les entreprises de taille intermédiaire (ETI), qui emploient plus de 250 salariés et pour lesquelles l’énergie représente moins de 3 % de leur chiffre d’affaires, qui ne sont pas concernées par les aides à destination des PME. Pourtant, certaines ont vu leur facture d’électricité flamber. «Il existe un vrai sujet, confirme Alexandre Montay, lié à l’obligation d’avoir une part de l’énergie représentant 3 % du chiffre d’affaires en 2021.» S’il n’y avait que 15 % d’entreprises adhérentes au Meti remplissant ce critère en 2021, elles sont aujourd’hui 40 %! «Une cinquantaine d’ETI se trouvent dans une situation financière très compliquée, souligne encore Alexandre Montay. Un acteur de l’agroalimentaire doit acquitter une facture de 1 million d’euros par mois. Certaines doivent souscrire de nouveaux PGE pour payer leur facture.»
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Cette situation inquiète également du côté des fournisseurs d’énergie. «Nous discutons avec ces clients, qui peuvent être en difficulté parfois pour d’autres raisons que la hausse des prix de l’énergie. Nous pouvons leur proposer au cas par cas des échéanciers de paiement. Mais nous ne renégocions pas ces contrats», explique Nelly Recrosio, directrice marchés d’affaires chez EDF. Un autre fournisseur d’électricité explique «traiter les dossiers au cas par cas».
La situation est d’autant plus cruelle pour certaines de ces entreprises prises au piège qu’elles ont entendu le message lancé par Emmanuelle Wargon, dans nos colonnes, mi-novembre: «Il faut vraiment signer maintenant, ou à tout le moins trouver un fournisseur et engager des discussions sur les contrats d’électricité 2023.» Ce qui n’était pas forcément la meilleure solution pour les entreprises. «Les entreprises qui ont pris le risque de garder une exposition au prix spot se trouvent dans une situation bien plus confortable aujourd’hui que celles qui ont signé à prix fixe en fin d’année dernière», admet Alexandre Montay.
Enfin, tout n’est pas encore résolu pour les entreprises qui bénéficient d’aides. «Il faut que le client déclare être éligible et donc nous renvoie l’attestation», insiste Nelly Recrosio. Ensuite, il faut que la demande puisse être traitée. Dans le doute, certains chefs d’entreprise ont coché toutes les cases de l’attestation, or, il ne faut cocher que celle de sa catégorie. D’autres ont envoyé des courriers manuscrits, omettant les mentions attendues…
Conscient des difficultés rencontrées par certaines TPE et PME, EDF a retardé l’envoi des factures de janvier. Le temps aussi pour l’électricien de mettre à jour son propre système informatique. «Nous allons commencer à envoyer les factures de janvier à ceux dont l’attestation a été envoyée et validée. Mais il faut vraiment que les retardataires se manifestent», insiste Nelly Recrosio.