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Après la réouverture de salles de cinéma en avril dans le royaume wahhabite, neuf courts-métrages vont être présentés pour la première fois au Festival de Cannes.

Pour la première fois dans son histoire, l’Arabie saoudite s’est invitée au Festival de Cannes, et s’apprête à présenter neuf courts-métrages, les 14 et 15 mai. Petit événement sur la Croisette, la présence d’un pavillon du Conseil du cinéma saoudien sur les plages de la Riviera est une véritable affaire d’État vue de Riyad. Depuis que le prince héritier Mohammed Ben Salman a présenté son plan de réforme économique et sociale, Vision 2030, c’est l’effervescence au pays de La Mecque. Le train volontariste de l’ouverture est en marche. Et tout le monde veut grimper dedans.

Après trente-cinq ans d’interdiction, les grands écrans font leur retour. En avril, une salle et un multiplexe ont ouvert à Riyad – ville dans laquelle on s’ennuie ferme, à moins d’aimer passer sa vie dans les centres commerciaux. Située dans un quartier financier, blanche et gigantesque, la nouvelle salle AMC affiche complet tous les jours – en dépit d’un prix d’entrée à 10 euros. Mardi 1er mai, on y projetait Avengers, le film de superhéros qui a dépassé le milliard de dollars de recettes en seulement onze jours.

[perfectpullquote align=”left” bordertop=”false” cite=”” link=”” color=”” class=”” size=””]Une commission de censure veille au grain, avec un système d’interdiction drastique - tout public, moins de 12, 15 ou 18 ans. Les scènes de sexe seront évidemment coupées[/perfectpullquote]

À l’entrée, les ouvreurs distribuaient les quatorze règles comportementales à adopter dans une salle obscure: ne pas parler trop fort, arriver en début de séance, ne pas filmer avec son portable, avoir une tenue «en accord avec les valeurs du royaume». Les femmes étaient assises à côté des hommes, et tout le monde piochait du pop-corn dans des seaux géants. Scène banale, si l’on fait abstraction des longs manteaux et des foulards islamiques, passeport non négociable. «Ces salles sont des espaces collectifs et familiaux, qui répondent à l’appétence des Saoudiens pour les loisirs», résume Bader Alzahrani, directeur général du développement des médias à la Commission générale des médias audiovisuels (CGMA).

Alors que, dans certains endroits du monde, les cinémas ferment un à un, l’Arabie saoudite a vu large: AMC et Vox, deux exploitants américains, ont mis la main sur un marché de 350 salles et 2500 écrans d’ici à 2030, répartis dans tout le pays, y compris dans les régions les plus traditionnelles. L’offre, on le devine, sera «familiale». Une commission de censure, installée dans les bâtiments de la CGMA, veille au grain, avec un système d’interdiction drastique – tout public, moins de 12, 15 ou 18 ans. Les scènes de sexe seront évidemment coupées.

Qu’importe. Il se trouve quantité de films internationaux «mainstream» n’ayant pas besoin d’un coup de ciseau. Après Black Panther ou Avengers viendra le tour des Indestructibles 2. «Nous ne sommes tout de même pas des débutants face à l’image, rit Sultan Al Mutairi, un producteur qui œuvre sur les réseaux de la télévision saoudienne. Cela fait des années que les Saoudiens regardent ce qu’ils veulent sur YouTube ou même Netflix. Et on ne parle même pas du piratage, qui est un sport national.» Les 350 salles saoudiennes éviteront aux plus aisés de se rendre au Bahreïn ou à Dubaï pour voir les dernières sorties. Et donneront de l’air aux jeunes: 65 % de la population a moins de 35 ans. «À terme, elle permettront aussi de diffuser une production locale, espère, de son côté, le réalisateur Ali Kalthami. Car l’histoire saoudienne n’a pas encore été racontée.»

[perfectpullquote align=”right” bordertop=”false” cite=”Sultan Al Mutairi, producteur” link=”” color=”” class=”” size=””]«J’ai introduit une actrice tête nue dans une de mes séries, ce qui il y a à peine un an aurait provoqué une descente des autorités»[/perfectpullquote]

Pour l’instant, la production du pays se cantonne à quelques longs-métrages, et des programmes télé, dont bon nombre de séries B – au regard des standards occidentaux. La France a tout de même découvert, en 2012, le premier long-métrage de Haifaa al-Mansour, Wadjda, qui racontait le combat d’une fillette pour avoir une bicyclette, et à travers lui, celui de sa mère pour pouvoir conduire. La réalisatrice avait dû se cacher dans un camion et diriger ses comédiens à distance. Elle est, depuis, installée à Los Angeles, comme tant de jeunes artistes saoudiens qui ont fui une société trop corsetée. Ceux qui sont restés naviguent entre les tabous – outre le sexe, il ne peut être question ni de politique, ni de religion dans les films – et la fenêtre de liberté qui s’est entrouverte, il y a à peine un an. Chaque court-métrage, publicité ou documentaire réclame un travail de dentelière.

Chacun tâtonne, tente de se préserver de la censure, mais aussi d’éventuels rejets du public. «J’ai introduit une actrice tête nue dans une de mes séries, ce qui il y a à peine un an aurait provoqué une descente des autorités, poursuit Sultan Al Mutairi. Mais j’avance à pas comptés. Il serait contreproductif de mener toutes les batailles en même temps.» L’an dernier, Hind Alfahad a filmé l’histoire des vendeuses de rue, celles «qu’on voit mais qu’on ne regarde pas». La réalisatrice a passé deux mois sur le trottoir avec l’une d’elles, dans des conditions difficiles, les passants ne comprenant pas ce qu’une femme faisait là, caméra au poing. Hind, plusieurs fois récompensée dans les pays limitrophes, a été la première à faire appel au crowdfunding pour son prochain court-métrage, sur la plateforme Indiegogo. Le succès a dépassé ses espérances et fédéré une communauté d’espoir. Avec Hanna Al Omair, autre réalisatrice qui vient d’être nommée au Conseil du cinéma par les autorités et a fait le voyage à Cannes, elle en est désormais persuadée: «La société ne reviendra jamais en arrière.»


 

Source:© Cannes 2018 : l’Arabie saoudite sur la Croisette, première !

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