CHRONIQUE – La faillite de FTX met à nu un système qui n’a fait qu’emprunter aux méthodes les plus éculées du vieux monde financier.Source:© Bertille Bayart: «Cryptos: arsenic et vieilles ficelles»
CHRONIQUE – La faillite de FTX met à nu un système qui n’a fait qu’emprunter aux méthodes les plus éculées du vieux monde financier.
À l’été 2008, Axel Miller, alors directeur général de Dexia, bateleur virevoltant, débit de mitraillette, rassurait sur l’état de santé financière de son groupe en racontant avec dextérité un monde de crédits subprimes, structurés, rehaussés, titrisés, collatéralisés.
On n’y comprenait goutte, mais l’homme semblait maîtriser son sujet et n’était-ce pas l’essentiel? Axel Miller donnait le tournis à ses interlocuteurs pour mieux donner le change: six semaines plus tard, Dexia était en situation de quasi-faillite.
Il ne faut jamais se laisser impressionner par le jargon. C’est l’arme des prestidigitateurs dans les affaires en général, dans la finance en particulier, et plus encore dans l’univers des cryptoactifs.
Blockchain, tokens, protocoles, stablecoins, stacks et yield farming, les mots – ne perdons pas de temps à proposer des traductions – rendent ce monde apparemment inintelligible.
C’est pourtant assez simple. Les mécanismes qui ont conduit à l’ascension éclair puis à l’explosion spectaculaire du petit empire de Sam Bankman-Fried la semaine dernière sont en fait des plus classiques dès lors qu’on les dévêt du volapük crypto. Que s’est-il passé? Essentiellement, une opération dans laquelle une société, la plateforme FTX, s’est servie des avoirs de ses clients pour spéculer pour son compte propre, au travers d’une autre société, le fonds Alameda. Bête comme chou, vieux comme le monde. Très lucratif tant que les valeurs montent, destructeur dès que le système se grippe.
Le château de cartes bâti par Sam Bankman-Fried laisse, en première analyse, un trou d’au moins 8 milliards de dollars derrière lui, ce qui fait tout de même près de deux Kerviel. Que l’on gère l’argent du livret A ou les portefeuilles investis dans le dernier token à la mode, les règles sont finalement les mêmes: il faut pouvoir rendre leur argent à ses clients et à ses créanciers quand ceux-ci demandent à le retrouver. Bref, il faut gérer ce que les vieux banquiers appellent le risque de liquidité.
Les adeptes des cryptoactifs revendiquent de créer un nouveau système financier débarrassé des vices et des inefficacités de l’ancien. La réalité est que la faillite de FTX met à nu un système qui n’a fait qu’emprunter aux méthodes les plus éculées du vieux monde financier.
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En cinq ans à peine, Sam Bankman- Fried a créé un entrelacs d’environ 130 sociétés dont les administrateurs désignés après le dépôt de bilan devront percer les mystères. La complexité de l’organigramme de l’ensemble ferait rougir les vétérans des cascades de holdings comme Vincent Bolloré ou Jean-Charles Naouri. La Barbade, les Bahamas, les îles Vierges britanniques, les Seychelles, Hongkong ou le Lichtenstein, cet empire de carton-pâte n’a oublié aucune destination du guide touristique de l’optimisation fiscale et de l’arbitrage réglementaire.
Fausses promesses
Tout juste trentenaire, Sam Bankman-Fried a utilisé toutes les ficelles pour habiller de respectabilité un système qui sinon aurait dû déclencher tous les signaux d’alarme. Une dose de philanthropie, puisque «SBF» promettait de distribuer tous ses gains à de bonnes causes. Une autre de lobbying – il était un grand donateur du Parti démocrate. Et une troisième de relations publiques en s’imposant comme le «good guy» d’un secteur de mauvaise réputation, plaidant pour un dialogue avec les autorités pour créer un cadre de régulation. C’est ainsi que le jeune Bankman-Fried est devenu une égérie, la face présentable des cryptoactifs, invité jusque sur la scène des rencontres du FMI où on le reconnaissait à son bermuda et son T-shirt.
La chute de FTX signe-t-elle la fin de l’histoire pour les cryptoactifs? Tous ses concurrents sont déjà mobilisés pour le désigner comme un mouton noir dont l’élimination sera salutaire.
En réalité, scandale après scandale, faillite après faillite, l’explosion de la bulle crypto révèle les fausses promesses de cette soi-disant réinvention de la finance. Le système des cryptoactifs devait être sûr, transparent, démocratique et décentralisé. Il est faillible – on ne compte plus les piratages, y compris dans le cas de FTX – opaque et facile à manipuler.
Et, bien sûr, les cryptoactifs ne sont pas des monnaies. L’ascension de ce marché s’est construite sur l’idée d’une dégénérescence prochaine des monnaies traditionnelles, dont la crédibilité finirait par être sabordée par les politiques que mènent les banques centrales depuis la crise de 2008. La réalité est tout autre: la vie économique du monde reste suspendue à la fixation des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine, et le dollar ne s’est jamais si bien porté.