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Le dernier premier ministre de François Hollande conteste, dans un livre à paraître le 18 octobre, l’avènement d’un « nouveau monde » qui aurait dépassé le clivage traditionnel droite-gauche.

Du 6 décembre 2016 au 10 mai 2017, Bernard Cazeneuve a été le troisième et dernier premier ministre du quinquennat de François Hollande. Une expérience de six petits mois que l’ancien chef du gouvernement a choisi de raconter dans un ouvrage (Chaque jour compte. 150 jours sous tension à Matignon, Stock, à paraître le 18 octobre) sous forme d’un journal politique. De l’abandon de François Hollande à la victoire d’Emmanuel Macron, il analyse de l’intérieur cette présidentielle hors normes, mais il réfute l’avènement d’un « nouveau monde » politique.

Vous révélez dans votre ouvrage que François Hollande vous a fait part de sa décision de ne pas se représenter six jours avant son annonce officielle, le 1er décembre 2016…

François Hollande m’a prévenu de sa décision lors d’un voyage à Nîmes, le 25 novembre 2016. Dans la voiture, sur le chemin de l’aéroport, il m’a dit avoir beaucoup réfléchi et que sa décision était irrévocable. Il m’a demandé de garder tout cela pour moi, ce que j’ai fait.

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Qu’est-ce qui a pesé le plus dans l’empêchement de François Hollande ? Les frondeurs ? L’éclatement de la gauche ? Vous évoquez « la trahison méthodique des égotiques ». Qui sont-ils ?

Tous ceux qui ont pensé, à un moment, que leur destin personnel était plus important que l’avenir de notre famille politique, que la trace que nous laisserions dans l’histoire, ou que la force de nos institutions, dans un contexte particulièrement difficile pour le pays. Les divisions des socialistes, le jeu des ambitions ont été un poison lent. Même si certains débats ont pu attiser ces divisions, je pense notamment à celui sur la déchéance de nationalité.

Emmanuel Macron a-t-il fait partie de ces « égotiques » ?

On ne peut pas imputer à Emmanuel Macron ce qui est imputable aux socialistes eux-mêmes et qui résulte de ce qu’ils sont devenus, collectivement, au fil du temps. Je pense plutôt que c’est parce que les socialistes se sont divisés qu’un chemin s’est ouvert pour lui.

En revanche, lorsqu’on est nommé ministre par le président de la République, on lui doit une loyauté totale. On ne peut donc pas avoir pour priorité de se frayer un chemin pour soi-même. C’est là ma conception de l’Etat et des institutions, dont j’assume totalement le classicisme.

Vous parlez de la « transgression », qui peut être un pont vers la « trahison »…

Je n’ai aucune amertume, ni aucune envie de régler des comptes ou de m’ériger en donneur de leçons. Quand on est membre d’un gouvernement, on peut essayer de faire valoir son point de vue, c’est humain.

Je pense cependant qu’on ne peut pas le faire tous les jours de manière transgressive parce qu’à la fin, en effet, la frontière entre la transgression et la trahison devient ténue.

Emmanuel Macron a été dans l’appareil d’Etat pendant quatre ans et demi, à l’Elysée [en tant que secrétaire général adjoint] ou à Bercy. J’ai toujours trouvé qu’il avait une très grande vivacité intellectuelle et de vraies qualités qui ont fait naître une complicité entre nous. Mais je me suis refusé, à un moment donné, à accompagner une démarche dans laquelle je ne pouvais pas me reconnaître, par loyauté envers le président de la République et envers ma famille politique.

Bernard Cazeneuve, le 9 octobre.

Vous vous qualifiez de « vintage ». On a le sentiment que vous ne croyez pas à l’idée selon laquelle un « nouveau monde » serait né avec l’élection d’Emmanuel Macron…

J’ai été classé dans « l’ancien monde » par tous ceux qui considèrent que la politique a commencé avec eux. Par tempérament, je me méfie beaucoup de toutes les mouches qui volent et que l’on prend pour des idées nouvelles. Je pense par exemple que le clivage droite-gauche, dont la disparition est le ferment de ce prétendu « nouveau monde », perdurera. Je redoute qu’avec le temps, la revendication du dépassement de ce clivage, ne dissimule en réalité une propension à être tout simplement de droite.

Je ne crois pas non plus aux visions ahistoriques, qui font fi des grands courants de pensée et de leur enracinement dans le pays. On ne coupe pas comme cela les fils de l’histoire : de ce point de vue, je me sens assez mitterrandiste, qui sait peut-être même marxiste, car Marx avait raison de penser que la mémoire des morts préside à l’action des vivants. Je crois très profondément à cela. Et on ne montre bien le chemin que si l’on sait parfaitement d’où l’on vient.

Quel regard portez-vous sur la loi antiterroriste qui vient d’être votée ?

Quand j’étais à Beauvau, nous avons eu un débat sur la loi renseignement qui a soulevé des interrogations sur le risque d’une surveillance de masse ou d’atteinte aux libertés publiques. Nous avons décidé de transmettre le texte au Conseil constitutionnel. Il y a aujourd’hui un débat de même nature.

Le président de la République peut apaiser ce débat en déférant cette loi au Conseil constitutionnel, qui dira si elle est conforme à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme.

Je pense aussi qu’il faut éviter d’inscrire dans un texte antiterroriste des sujets qui relèvent du droit des étrangers. Mais si j’avais dû me positionner sur ce texte, je l’aurais voté, après l’avoir amendé, car sur la lutte contre le terrorisme, le gouvernement doit être soutenu et l’unité nationale prévaloir.

Bernard Cazeneuve, le 9 octobre.

Le préfet du Rhône a été limogé après l’attentat de Marseille. Quelle est votre réaction ?

Henri-Michel Comet est un grand serviteur de l’Etat, comme tous les préfets de la République qui ont fait montre, au cours des dernières années, d’un dévouement qui m’a impressionné et qui a suscité ma gratitude et mon profond respect.

La lutte contre le terrorisme est difficile car l’effroi suscité par les barbares de Daesh [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique] sème la souffrance et le chagrin et il faut que l’Etat soit irréprochable. S’il y a des dysfonctionnements, il faut les corriger absolument, mais cela doit se faire dans une relation de confiance et non de défiance à l’égard des fonctionnaires qui sont en première ligne.

Pour ma part, je sais qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes, qu’ils ont besoin d’être soutenus, et que ce soutien est la condition de leur efficacité.

Voteriez-vous le budget ?

Sur le budget, parce que je suis de gauche, je me pose d’abord la question : ce qui est proposé est-il juste ? Dans le même temps où le gouvernement explique qu’il n’a pas de marges de manœuvre, il trouve le moyen de faire plus de 5 milliards d’euros de baisses d’impôt au profit des plus riches des Français, en supprimant quasiment l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et en allégeant la fiscalité sur les revenus du capital ! Dans le même temps, la contribution sociale généralisée (CSG), notamment celle des retraités, augmente et les contrats aidés qui ont une utilité sociale sont sérieusement rabotés.

On évoque le pouvoir d’achat supplémentaire résultant de la baisse des cotisations sociales pour les salariés. Mais il sera pour partie payé par les salariés eux-mêmes qui verront eux aussi leur CSG augmenter. On ne sait pas non plus comment les fonctionnaires bénéficieront de cette augmentation de pouvoir d’achat puisque leur régime est différent.

Le gouvernement est donc pris au jeu de ses contradictions, car on ne peut pas être tout à la fois et en même temps. Je n’aurais donc pas pu voter ce budget.

Le gouvernement a reproché à ses prédécesseurs, donc à vous, d’avoir laissé les finances publiques dans un état piteux…

Quand nous sommes arrivés au pouvoir en 2012, le déficit budgétaire était de 5,1 %. Cinq ans plus tard, il est autour de 3 %. Il a donc baissé de 2 points, alors que nous avons dû faire face à la poursuite de la crise et que les attaques terroristes nous ont obligés à prendre des décisions destinées à rehausser les moyens des forces de sécurité et des armées.

La communication des ministres de Bercy sur les finances publiques a été inélégante et s’est révélée inexacte – au regard notamment des prévisions de croissance.

La politique menée est-elle de droite ou de gauche ?

Elle n’est pas à gauche, c’est certain. Elle est même à droite, je le regrette, car je sais aussi que si le sentiment de l’injustice gagne, les réformes seront compromises. Lorsque les Français entendront « réforme », ils comprendront « recul ».

Or le pays a besoin de réformes et ce risque ne peut pas être pris, sauf à accroître les tensions au sein de la société et à nourrir l’extrémisme. Face à ces enjeux, la démocratie sociale doit gagner en force, et la gauche en crédibilité.

Car la gauche à laquelle j’adhère et qui porte en elle l’exigence éthique de Pierre Mendès France est celle de l’espérance, des indignations justes. Elle n’est pas celle de toutes les colères ni des outrances verbales qui sont comme autant d’impasses et de renoncements à une conception exigeante de la politique.

Vous êtes aujourd’hui avocat. La politique, c’est fini ?

J’ai pris du recul, c’est vrai, et j’ai laissé une nouvelle génération me succéder localement. Mais je souhaite que la gauche de gouvernement retrouve sa place. Pour cela, les logiques collectives doivent prévaloir et les ego s’effacer.

J’invite la gauche de gouvernement à se reconstruire, à affirmer ce qu’elle est, et à le faire au nom d’un humanisme moderne. J’ai la conviction qu’il y aura pour elle un printemps. J’aiderai comme je peux à son avènement car ce que nous sommes n’a pas disparu.

« Chaque jour compte » est aussi un livre sur la fin du pouvoir. Vos pages sont empreintes de nostalgie, voire de mélancolie…

Je suis mélancolique et nostalgique par tempérament. Ce qui ne veut pas dire que je vis dans le passé. Mais la fin du quinquennat, c’est vrai, a été une période où il y a eu de la tristesse car nous sentions que ce que nous avions construit collectivement, depuis François Mitterrand et qui s’inscrivait dans une longue tradition, pouvait disparaître.

Bernard Cazeneuve, le 9 octobre.

Est-ce difficile de quitter le pouvoir ?

Je n’ai pas d’addiction au pouvoir ni à la politique. J’ai en revanche la passion de l’Etat et de notre pays. La manière dont la politique se décline en France, avec ses outrances et ses excès, cette obsession jusqu’au grotesque de la communication est loin de mes convictions.

Je pense que la véritable modernité, c’est l’apaisement et aussi une certaine sobriété et modestie : pas l’effacement du clivage droite-gauche mais la possibilité, sans se renier, de construire des coalitions dans l’intérêt du pays ou de s’affronter dans le respect. C’est une belle notion le respect. J’aurais pu appeler mon livre « Chaque mot compte », car si l’on croit que les mots engagent, il faut faire attention à ceux qu’on utilise. Mais ce n’est pas le choix qui a été fait. Plus classiquement, on a préféré le fait majoritaire dans sa forme la plus sommaire.

 

 

Les mots « bordel » ou « fainéants », récemment employés par le chef de l’Etat, sont-ils de nature à apaiser ?

Je pense à tous ceux qui portent une parole politique. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, abaisse, à force d’excès et d’insultes, la parole politique. Le président de la République incarne pour sa part la nation tout entière. Il est condamné à la retenue.

La politique ne consiste pas à dire tout ce qu’on pense à tout moment, mais à ne jamais dire le contraire de ce qu’on pense, ce qui est différent. Emmanuel Macron dit qu’il veut parler vrai. Mais les salariés de [l’équipementier de la Creuse] GM & S, je les connais, je les ai visités et j’ai vu de près l’angoisse qui les rongeait. Je peux dire qu’ils ont été particulièrement raisonnables pendant toute cette crise. Donc, si l’on veut dire la vérité, il faut plutôt rendre hommage à leur esprit de responsabilité.

L’idée, véhiculée en son temps par Nicolas Sarkozy, qu’un bon président est forcément transgressif, n’est pas juste. Dans un pays qui a besoin de voir ses forces galvanisées pour engager les réformes, la transgression suscite des tensions dont on pourrait faire l’économie.

Vous faites le récit de cette nuit si particulière à l’Elysée, au soir du second tour, quand François Hollande voit s’afficher sur un écran de télévision le visage de celui qui va le remplacer…

C’était un moment à la fois émouvant et triste. J’étais dans la préoccupation de ce que pouvait éprouver le président. C’était pour lui la fin d’un moment. Et je sentais qu’il pouvait, en dépit de l’image qu’il donnait de lui-même, le vivre douloureusement.

J’avais la préoccupation de ne pas être intrusif mais de ne pas le laisser seul. J’ai eu le sentiment d’être avec lui au moment où certains commençaient à regarder ailleurs.

 

Source :©  Bernard Cazeneuve : « La politique menée n’est pas à gauche, elle est même à droite »

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