INTERVIEW – Le président de l’archipel, qui n’entend pas reconnaître Mayotte comme un département français, se dit néanmoins prêt à relancer les relations avec Paris.
Le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani, vient de terminer une visite en France. Ce voyage, durant lequel il a rencontré Emmanuel Macron, a permis d’aplanir un peu les tensions entre l’archipel et l’ancienne métropole. Depuis six mois, les deux pays étaient au bord de la rupture après que Moroni avait émis une circulaire pour refuser le rapatriement forcé des Comoriens vivant illégalement à Mayotte. En rétorsion, Paris avait suspendu l’émission de visas. Mayotte, département français, est revendiquée par les Comores.
LE FIGARO. – Après des mois de vives tensions entre la France et les Comores, un protocole d’accord vient d’être signé. Qu’en attendez-vous?
Azali ASSOUMANI.- J’en attends beaucoup, car c’est vrai qu’il y avait des tensions qui ont failli nous mettre dans une situation jamais vue. Ça a été très dur, et c’est allé bien au-delà des visas. Heureusement, les ministres ont bien travaillé pour essayer de trouver un consensus. Un papier a été signé qui donne le temps de sortir un document cadre d’ici à la fin novembre en tenant compte de toutes les dissensions.
Le cœur du problème est l’immigration illégale entre les Comores et Mayotte. Les arrivées de clandestins s’élèveraient à plus de 15.000 depuis le début de l’année…
Je vais finir par l’avouer: je ne peux pas concevoir qu’une relation séculaire entre deux pays soit mise en jeu car des gens circulent d’un pays à l’autre. Que voit-on en Méditerranée? Est-ce qu’on n’a jamais entendu parler de problèmes entre la France ou l’Italie et le Sénégal? Tous les migrants en Méditerranée sont pris et accueillis. Comment le problème entre Anjouan (l’une des îles de l’archipel, NDLR) et Mayotte, à peine distantes de 40 kilomètres, ne peut pas être géré? Pourquoi 350.000 Comoriens en France ne posent pas de problème et 50.000 à Mayotte en posent?
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Le problème semble moins la migration des Comoriens que le fait que les Comores ont refusé d’accepter le retour des illégaux. Êtes-vous prêt aujourd’hui à accepter ces retours?
«Dans le fond, le Comorien qui est à Mayotte est chez lui. Il va voir son frère même si les Français disent que c’est illégal»
Pour moi, il n’y a pas de Comoriens illégaux à Mayotte. Il y a un problème de fond. Je n’accepte pas qu’un Comorien à Mayotte soit refoulé en tant qu’étranger. Aujourd’hui, si dans l’intérêt des deux pays il faut trouver une solution, trouvons-en une. Mais dans le fond, le Comorien qui est à Mayotte est chez lui. Il va voir son frère même si les Français disent que c’est illégal. Mayotte est comorienne par le droit international. L’ONU a reconnu que les Comores sont composées de quatre îles. Il n’y a pas un Comorien qui pense autrement. C’est un problème fondamental. Pourquoi moi, président élu, me mettrais-je à dos la population des Comores pour le problème de Mayotte? Maintenant, mettons cela de côté et trouvons une solution pour les Comoriens vivant à Mayotte.
Donc pas question pour vous de reconnaître que Mayotte est un département français?
Pas du tout.
Les élus mahorais mettent en avant le référendum de 1974 où Mayotte a voté pour rester en France…
C’est leur problème. Ce sont les Nations unies qui ont organisé ce vote. Les résultats étaient des résultats nationaux. Les Mahorais les ont ensuite manipulés. Les Comores ont été acceptées aux Nations unies par tous les États, y compris la France. Comment voulez-vous que je ne reconnaisse pas Mayotte comme comorienne alors que tous les pays l’ont fait?
«Comment voulez-vous que je ne reconnaisse pas Mayotte comme comorienne alors que tous les pays l’ont fait?»
La France insiste beaucoup sur la lutte contre les trafiquants d’êtres humains qui servent de passeurs entre Anjouan et Mayotte…
Elle a parfaitement raison. De ce côté-là, nous allons nous y mettre. Il n’est pas question de laisser certains s’enrichir sur le dos de gens qui ne sont que des victimes. Je n’ai pas besoin de la France pour ça, je le ferai. Je ne laisserai pas des trafiquants venir voir des jeunes Comoriens pour leur dire qu’ils ont un avenir à Mayotte alors qu’ils n’en ont pas et leur prendre beaucoup d’argent. On les leurre. D’ailleurs, dans le cadre des accords, nous sommes en train de voir avec les Français les raisons qui poussent ces jeunes à partir. Ils y vont pour trouver des hôpitaux, des universités…
En échange, vous demandez donc l’aide de la France pour le développement des Comores?
Absolument. Il y a un cadre qui est en train d’être étudié, très ambitieux. Pour la première fois, la France a accepté qu’il y ait un accord bilatéral conséquent, avec beaucoup d’argent. À un moment, c’était noyé dans les aides de l’Union européenne et on ne voyait plus la France. C’est une erreur. Les Chinois sont venus à Moroni (la capitale, NDLR), ils ont construit un palais du peuple, investi dans l’aéroport. Ils sont en train de bâtir un stade. Les jeunes Comoriens voient la Chine par ces infrastructures et maintenant, dès que l’ambassadeur de Chine parle, ils applaudissent sans même écouter. La France, elle, n’avait pas de visibilité car elle investissait dans l’administration. Maintenant, nous allons avoir un projet stratégique.
La lutte contre l’immigration clandestine ne pourrait-elle pas être compliquée par les heurts, les combats et les velléités sécessionnistes qui ont secoué Anjouan ces dernières semaines?
Il n’y a pas de problème avec Anjouan. Il y a eu des combats à Marseille et des terroristes en France. Je suis d’accord avec vous, ce qui s’est passé à Anjouan était très grave. Mais ce n’est pas un problème avec les Anjouanais. C’est une question de sécurité. Le vrai problème, c’est que quand ça se passe chez vous, c’est normal, et quand ça se passe chez nous, c’est indélébile pendant des années et des années. Et ce sont des journalistes qui jouent à ce jeu.
Pour certains, cependant, les tensions à Anjouan sont liées au référendum de juillet. Vos opposants vous accusent d’avoir modifié la Constitution pour vous maintenir au pouvoir jusqu’en 2029. Que répondez-vous?
«Je pense que le changement de Constitution aux Comores est une bonne chose»
Il y a eu un référendum au Rwanda, au Tchad, et personne ne s’étonne. Je pense que le changement de Constitution aux Comores est une bonne chose. L’ancienne Constitution avait été écrite pour mettre fin à une suite de coups d’État. Là, pour la première fois, les Comoriens se sont assis pour faire le bilan des quarante-deux ans d’indépendance. Mais la tournante va être maintenue.(La Constitution comorienne prévoit que le président de la fédération soit successivement issu de l’une des trois îles, NDLR.) Il n’y avait qu’un seul mandat possible. Maintenant, c’est deux. Mais dix ans, ce n’est pas éternel. Donnez-moi un pays qui limite à un mandat! Ils disent que la tournante a été supprimée. Mais c’est faux. Le mandat qui devait revenir à Anjouan en 2021 viendra plus tard, voilà tout.
Les Comores connaissent aussi des difficultés avec l’Union européenne. Elle a totalement suspendu sa coopération après que vous avez fermé la Cour constitutionnelle et la Cour anticorruption alors que l’UE est un très gros bailleur de fonds. Où en êtes-vous dans les négociations pour rétablir la coopération?
Je respecte beaucoup l’Union européenne. Nous avons besoin d’eux. Mais les Chinois sont là. Les Russes sont là. Ils veulent venir. Qui va à la chasse perd sa place. Si l’Union européenne décide de partir, on ne peut pas l’obliger à rester. Les raisons invoquées semblent étranges. La Cour anticorruption, je l’ai zappée dès que j’ai été élu en 2016. Elle n’avait jamais rendu de rapport et il existe déjà une Cour des comptes. La Cour constitutionnelle était dysfonctionnelle en 2017, car plusieurs membres manquaient. Et pour que l’État puisse continuer à fonctionner, j’ai transféré ses compétences à la Cour suprême, composée de magistrats. Pourquoi avoir suspendu la coopération en 2018? Allez leur demander.
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Tanguy Berthemet e Journaliste
Source :© Azali Assoumani: «Les Comoriens ne seront jamais illégaux à Mayotte!»