Sur les marchés comme dans les établissements financiers, la peur que se produise une crise systémique qui précipiterait le monde dans une sévère récession se fait entendre.
Source: ©Aux Etats-Unis, la crainte d’un accident financier majeur
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Actionnaires et investisseurs n’en peuvent plus du supplice infligé par Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale (Fed), qui augmente lentement et inexorablement ses taux, « coupant la queue du chat par petits bouts », au lieu d’agir fermement, d’un seul coup, avec une hausse majeure.
M. Powell a raison : sa méthode a permis de dégonfler la bulle à la Bourse de New York, sans la faire éclater. Ainsi, depuis le début de 2022, le cours des obligations a reculé de 15 % – une baisse majeure pour des produits de taux —, le S&P 500, de plus de 20 %, et le Nasdaq, l’indice riche en technologie, de près d’un tiers. Un repli en bon ordre, qui n’a pas occasionné d’accident majeur à Wall Street.
Il n’empêche, chacun s’inquiète, estimant qu’à force d’étrangler l’économie, un accident va finir par arriver. Il y a bien sûr les risques géopolitiques majeurs d’une attaque nucléaire russe en Ukraine, d’une invasion chinoise de Taïwan, sujets où la finance ne peut rien. Mais elle scrute aussi dans son jardin les recoins d’où la menace pourrait surgir.
« La profondeur du marché a fortement diminué »
En fait, l’accident est déjà arrivé, avec la crise subie par le Royaume-Uni, qui a conduit la Banque d’Angleterre à intervenir et a provoqué la démission du chancelier de l’Echiquier, Kwasi Kwarteng. Désormais, les hiérarques politiques ne peuvent plus s’endetter n’importe comment et les marchés, gendarmes de l’orthodoxie, sont en passe de reprendre le pouvoir. Brutalement. « Mon expérience dans la vie montre que lorsque vous avez des choses comme ce que nous traversons aujourd’hui, il y a ensuite d’autres surprises », a mis en garde, vendredi 14 octobre, Jamie Dimon, le PDG de la banque JPMorgan.
Pour l’instant, c’est hors des Etats-Unis que la crise a eu lieu, dans des pays subissant l’envolée du dollar, qui a gagné plus de 16 % par rapport à l’ensemble des devises depuis janvier. L’essor du billet vert, conjugué à la hausse des taux et à l’explosion des prix de l’énergie, va étouffer les pays en développement, voire européens, comme l’attestent les attaques contre la livre britannique ou le forint hongrois.
Et cela va durer : Janet Yellen, la secrétaire au Trésor, à qui incombe la politique de change américaine, a validé le concept d’un dollar fort, estimant qu’il s’agissait du « résultat logique » de la politique monétaire de la Fed. Simplement, elle se prépare à gérer une crise des dettes souveraines comme ce fut le cas il y a quarante ans, avec la faillite du Mexique, en 1982 : « Je crois que nous devons être prêts à aider les pays qui tombent dans les difficultés financières. »
Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton, est furieux : « Le feu brûle et les pompiers sont encore largement au garage », déplore l’économiste, accusant les ministres des finances de la planète et le Fonds monétaire international « de ne rien faire, alors que de nombreux pays ne peuvent plus émettre de dette ».
De manière diffuse, les Etats-Unis sont de plus en plus inquiets sur leur sort, redoutant une syncope du marché, comme en 2008, notamment sur les emprunts d’Etat. « Nous craignons une perte de liquidités adéquate sur le marché », a concédé Mme Yellen, mercredi 12 octobre. Le FMI déplorait le même jour que « les écarts acheteur-vendeur du Trésor américain se soient considérablement élargis » : « La profondeur du marché a fortement diminué et les primes de liquidité ont augmenté. »
Bulles dangereuses
Des rumeurs ont couru sur Credit Suisse, qui doit présenter un plan de redressement d’ici à la fin du mois d’octobre, mais les établissements bancaires subissent désormais une surveillance stricte des banques centrales et la remontée des taux leur est plutôt favorable. « Les banques sont beaucoup plus capitalisées qu’avant la crise de 2008-2009, c’est décisif, explique Ramon de Oliveira, administrateur d’Axa et vétéran de Wall Street. Les résultats de JPMorgan montrent que les consommateurs et les entreprises vont entrer dans la récession dans une situation beaucoup plus saine que par le passé. C’est bon signe. »
Il n’empêche, il reste des bulles dangereuses. D’abord, celle de l’immobilier américain. Les prix des maisons ont augmenté de 40 % depuis la crise due au Covid-19, en raison de la politique de taux zéro et de l’envie des Américains d’avoir de plus grands espaces. Mais, entre-temps, les taux hypothécaires ont plus que doublé et avoisinent désormais 7 %.
Le financier Charlie Bilello en déduit sur Twitter que pour acheter la même maison, avec un apport de 20 %, il faut débourser chaque mois 2 700 dollars (2 800 euros), au lieu de 1 300 dollars en 2020. Le retournement, qui commence à s’esquisser, peut devenir brutal si le chômage repart et que les propriétaires doivent brader leur bien. En attendant, les aspirants propriétaires se tournent vers la location et font s’envoler les loyers.
Autre menace, la finance dite « privée », c’est-à-dire celle qui n’est pas cotée en Bourse. Il s’agit d’une véritable boîte noire, mais, ces dernières années, elle a financé massivement les entreprises, investissant à des valorisations mirobolantes et prêtant à des taux dérisoires. Que ces start-up fassent faillite, que ces fonds aient besoin de liquidité parce que leurs investisseurs veulent retirer leurs billes, et un accident n’est pas exclu. Ceux-ci se multiplient dans les cryptodevises avec les faillites de plates-formes, mais l’explosion de cet argent virtuel ne s’est pas répercutée sur l’économie réelle.
Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)