La Bourse n’en finit pas de battre des records. Selon la Fed de Philadelphie, les investissements des entreprises sont au plus haut depuis… trente ans, explique Arnaud Leparmentier, correspondant du « Monde » à New York.
Lettre de Wall Street. Une petite correction pour pouvoir racheter des actions à bon prix : c’est, à vrai dire, le rêve de nombreux gestionnaires de fonds qui n’ont pas cru à l’effet Trump et ont manqué la hausse de Wall Street depuis l’élection présidentielle américaine. La Bourse n’en finit pas de battre des records, dans un mouvement haussier dont bien peu avaient vu venir l’ampleur. Près de 28 % de progression depuis le début de l’année pour le Nasdaq, l’indice riche en valeurs technologiques ; 19 % pour les grosses valeurs du Dow Jones ; et même 16 % pour les entreprises plus représentatives de l’économie américaine, celles de l’indice S&P 500.
Si beaucoup d’opérateurs avaient parié sur un effet Trump, aucun n’en avait prévu la force. Surtout, les explications-prédictions avancées ne se sont pas révélées pertinentes, comme l’explique le Wall Street Journal. Les analystes prévoyaient une Bourse haussière, portée par la reflation, le retour d’une inflation minimale accompagnée d’une hausse des taux d’intérêt à court terme et surtout à long terme. L’affaire devait logiquement s’accompagner d’un afflux de capitaux aux Etats-Unis, entraînant la hausse du dollar. Il était aussi prévu que les salaires augmentent enfin et que les profits des entreprises soient dopés par la réforme fiscale du président américain.
Le dollar a reculé contre toute attente
En réalité, rien ne s’est passé comme prévu. D’abord, l’inflation n’est pas revenue : elle se situe en deçà des 2 % visés par la Réserve fédérale américaine (Fed), l’inflation sous-jacente n’étant que de 1,3 % en septembre. Ce taux particulièrement faible a conduit la présidente de l’institution, Janet Yellen, à concéder qu’il s’agissait pour elle d’un mystère. Si l’inflation ne repart pas, c’est qu’en dépit d’un taux de chômage au plus bas depuis le début du siècle (4,1 %), les salaires réels augmentent encore moins que par le passé : 2,4 % en octobre (horaire et hebdomadaire), soit un gain réel de pouvoir d’achat limité à 0,4 point.
Logiquement, même si une hausse du loyer de l’argent est attendue pour décembre, la Fed n’a que peu relevé ses taux d’intérêt (ils sont dans la fourchette 1 % – 1,25 %), et les rendements à long terme, dont on espérait qu’ils remonteraient pour atteindre des niveaux plus habituels, ont au contraire baissé. Le rendement à dix ans des emprunts d’Etat est même de 2,35 %, en retrait de 10 points de base par rapport au début de l’année.
Contre toute attente, le dollar a reculé, l’euro progressant de 1,04 à 1,19 dollar. Enfin, la réforme fiscale doit être approuvée par le Congrès, mais la messe n’est pas encore dite, des votes décisifs devant intervenir cette semaine. Voilà qui invite les prévisionnistes à la modestie.
Et pourtant, la Bourse s’est envolée. Y a-t-il lieu de s’inquiéter de ces niveaux stratosphériques ? Au regard des chiffres actuels, pas forcément : la croissance est robuste puisqu’elle atteint 3 % comme s’en vante régulièrement Donald Trump, tandis que les profits des entreprises, notamment technologiques, sont élevés.
Des prévisions d’investissement au plus haut
Les cassandres décèlent la formation d’une bulle : le bénéfice des entreprises rapporté à leur cours, selon le Financial Times, est tombé à 3,4 % : un niveau aussi bas n’avait été atteint qu’en 1928 et lors de la folie Internet de la fin des années 1990. Avant deux krachs majeurs à la clé. Si l’on part du principe qu’un jour, nécessairement, viendra une récession – et donc une baisse des profits –, ainsi qu’une normalisation du niveau des taux d’intérêt, alors, mécaniquement, les actions devront baisser. Fortement.
Toutefois, les opérateurs ont les yeux rivés sur d’autres événements à plus court terme, qui laissent espérer : la martingale de la réforme fiscale – la baisse de l’impôt des entreprises, dont le taux nominal passerait de 35 % à 20 % est assez consensuelle – dopera les profits et validera – enfin – le niveau élevé des cours de Bourse.
S’y ajoute l’amnistie déguisée des capitaux à l’étranger, qui pourrait permettre aux entreprises américaines de rapatrier, moyennant une taxe comprise entre 10 % (comme le propose le Sénat) et 14 % (taux suggéré par la Chambre des représentants), quelque 2 600 milliards de dollars (2 180 milliards d’euros) de profits off shore – un montant astronomique à comparer aux 350 milliards des « Paradise Papers ». Surtout, et c’est la vraie nouvelle, les entreprises se mettraient enfin à investir. Selon la Fed de Philadelphie, leurs prévisions d’investissement sont au plus haut depuis… trente ans.
Ce sentiment est corroboré par un autre indice : les entreprises américaines ont réduit leurs rachats d’actions – un moyen de se débarrasser du cash dont elles ne savent que faire, faute de projet d’investissement lucratif. Selon le Wall Street Journal, le rythme annuel de 2017 n’est « que » de 500 milliards de dollars, contre 570 milliards en 2014, 2015 et 2016. De là à penser qu’elles se préparent à investir et fourbissent leurs armes pour une série de fusions-acquisitions, il y a un pas qui conduit les plus optimistes à penser que la Bourse de New York n’est pas au bord de l’abîme. Même si une correction tranquilliserait les esprits les plus inquiets.
Source:© Aucun opérateur « n’avait prévu la force de l’effet Trump »