TRIBUNE. Le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, présente, dans une tribune au « Monde », une série de mesures permettant de faciliter l’accès au logement, dont les prix flambent dans la plupart des grandes villes du monde.
Tribune. La crise mondiale historique à laquelle nous sommes confrontés affecte de manière disproportionnée les personnes sans accès adéquat aux services de santé, les travailleurs précaires de l’économie informelle, les citoyens sans épargne et ceux sans accès à Internet. En somme, la pandémie a aggravé des inégalités déjà existantes. Y compris en matière de logement, alors que de nombreux ménages éprouvaient déjà des difficultés à se loger, dans de nombreuses villes du monde.
A l’échelle mondiale, près de la moitié de la population vit dans les villes, et ce chiffre devrait atteindre 55 % d’ici à 2050. Les villes concentrent également la majorité de l’activité économique, de la création d’emplois et de l’innovation. Or, la hausse des prix du logement en milieu urbain exerce une pression croissante sur les ménages : entre 2005 et 2018, le prix des loyers a augmenté dans tous les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à l’exception de deux d’entre eux, tout comme le prix réel à l’achat ; sur le marché privé, un locataire à faible revenu sur trois consacre plus de 40 % de son revenu disponible aux seuls coûts de location (OECD Affordable Housing Database).
Effets négatifs
Le degré de soutenabilité d’une ville et les prix de ses logements dépendent, dans une large mesure, de la façon dont les gens y vivent, y travaillent et s’y déplacent. Dans ce contexte, les villes suffisamment compactes et connectées présentent des caractéristiques avantageuses. Elles offrent un accès plus facile aux emplois, aux services et aux loisirs, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre (GES) liées au transport et à la construction.
Mais le logement, dans ces villes compactes et connectées, est généralement plus cher que dans les zones urbaines étalées et déconnectées. Les travaux de l’OCDE en partenariat avec la Coalition pour les transitions urbaines ont montré que les effets négatifs liés aux coûts excessifs du logement peuvent excéder les avantages d’une ville compacte, si l’accessibilité au logement n’est pas garantie (« Demystifying Compact Urban Growth : Evidence From 300 Studies From Across the World », Gabriel Ahlfeldt et Elisabetta Pietrostefani, Coalition for Urban Transitions et OCDE, 1er septembre 2017).
Un nouveau rapport examine les moyens dont disposent les gouvernements nationaux pour offrir des logements plus abordables au sein de villes suffisamment compactes, tout en favorisant le développement de quartiers urbains dynamiques et durables (« Housing policies for sustainable and inclusive cities : How national governments can deliver affordable housing and compact urban development », Ana Moreno-Monroy, Jared Gars, Tadashi Matsumoto, Jonathan Crook, Rudiger Ahrend, Abel Schumann, Coalition for Urban Transitions et OCDE, 31 mars 2020).
Premièrement, les gouvernements peuvent utiliser des instruments fiscaux permettant de mieux refléter les coûts réels de l’étalement urbain. Par exemple, les maisons individuelles nécessitent plus d’espace, de matériaux et d’énergie par ménage que les immeubles, en particulier lorsqu’elles sont situées dans des quartiers à faible densité en périphérie urbaine où les coûts d’infrastructure associés sont également plus élevés.
Des taxes d’impact
En l’absence de politique fiscale adaptée, ni les promoteurs ni les propriétaires ne paient l’intégralité des coûts des infrastructures nécessaires au soutien de ces nouveaux développements, voire les coûts associés à la perte de terres agricoles et de forêts. En conséquence, de tels développements apparaissent moins chers que leur véritable coût social et environnemental, ce qui incite à davantage d’étalement urbain.
Changer la façon dont les gens vivent, travaillent et se déplacent dans les villes est essentiel pour améliorer la qualité de vie urbaine et réduire notre empreinte environnementale
Pour y remédier, les gouvernements peuvent repenser les impôts fonciers ou introduire des taxes d’impact. Faire en sorte que les prix des logements reflètent leur coût réel pour la société encouragerait un développement plus dense et plus respectueux du climat. Parallèlement, grâce à des mesures telles que le zonage inclusif, les gouvernements peuvent exiger que les nouveaux développements réservent une partie des logements pour de la location à des loyers inférieurs à ceux du marché.
La mise en œuvre d’une taxe « à taux fractionné », où le foncier est taxé à un taux plus élevé que les bâtiments qui s’y trouvent, est une autre mesure qui peut dissuader la spéculation foncière, tout en encourageant une utilisation plus efficace de l’espace. Ces approches ont déjà été appliquées avec succès dans plusieurs pays de l’OCDE, notamment en France et aux Etats-Unis.
Deuxièmement, les gouvernements devraient exploiter davantage le potentiel des marchés du logement locatif pour créer des villes abordables. Certaines incitations à l’accession à la propriété, comme le traitement fiscal préférentiel sur les ventes de maisons ou les déductions d’intérêts hypothécaires, profitent généralement aux ménages à revenu élevé et contribuent à l’étalement urbain en stimulant la demande de logements plus grands et de maisons isolées.
Soutien au logement locatif
Les mesures de soutien au logement locatif, telles que les allocations logement et les primes locatives, peuvent améliorer l’accès au logement abordable sans influencer directement la forme urbaine. Pour autant, ces outils doivent cibler de manière adéquate des territoires et des populations spécifiques et bien délimités, et s’accompagner d’une offre de logement suffisamment flexible pour éviter que les subventions ne soient absorbées par des prix de location plus élevés.
La mise en place de réglementations claires et équilibrées entre locataires et propriétaires pour garantir aux deux parties un accès
égal à l’information et aux recours en cas de conflit est une autre mesure importante qui peut promouvoir un marché locatif plus abordable et plus transparent.
Ces mesures sont particulièrement importantes compte tenu de l’augmentation des prix des loyers au cours de la dernière décennie dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Il est également nécessaire de disposer de logements locatifs sociaux bien conçus pour garantir leur accessibilité aux ménages dans le besoin, tout en évitant la ségrégation spatiale.
Troisièmement, les gouvernements devraient renforcer leur capacité institutionnelle, et mettre en place des cadres politiques cohérents à tous les niveaux de décision, par exemple en définissant une stratégie nationale de développement des espaces vacants (« infill development ») et de recyclage des espaces existants, ou en fournissant une assistance technique aux collectivités locales pour inventorier les terrains urbains sous-exploités.
Réduire les différences de prix
Les gouvernements peuvent également promouvoir la levée de certaines restrictions, telles que les superficies minimales des lots et les hauteurs maximales des bâtiments. Ils peuvent encourager une utilisation plus efficace des réglementations relatives à l’usage des sols afin de promouvoir un développement urbain plus dense et à usage mixte.
Ces réformes politiques sont essentielles pour favoriser l’accès au logement abordable car elles peuvent permettre aux marchés de mieux utiliser les terrains, d’augmenter l’offre de logements dans les quartiers centraux et/ou connectés, et ainsi de réduire les différences de prix entre les villes et d’autres zones.
Pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures, les décideurs devraient introduire des mécanismes garantissant la cohérence des politiques entre plusieurs municipalités, par exemple sur la conception des taxes d’impact. Une telle mesure permettrait d’aligner les efforts des différents acteurs publics derrière une vision commune.
Les villes du monde entier font simultanément face à la flambée des prix des logements, à la crise climatique et à la pandémie de Covid-19. Changer la façon dont les gens vivent, travaillent et se déplacent dans les villes est essentiel pour améliorer la qualité de vie urbaine et réduire notre empreinte environnementale. Les gouvernements peuvent remédier à un problème sans en exacerber un autre en s’attaquant simultanément à la crise du logement et à la crise climatique afin de rendre nos villes à la fois plus inclusives et plus durables.
Source:© Angel Gurria : « Les gouvernements ont les moyens d’offrir des logements plus abordables »