La traque du coronavirus aux entrées des stations d’épuration peut permettre de repérer la progression de l’épidémie. Des financements importants sont consacrés à ces recherches.
Tel un gigantesque container posé au milieu d’une friche, le laboratoire d’Eau de Paris, pourrait bien devenir la boussole de la ville dans la gestion de l’épidémie de Covid-19. Depuis le début du mois de mars, ses scientifiques traquent la présence du virus à l’origine de la maladie (le SARS-CoV-2) dans les eaux usées de la région. De grands flacons de plastique y sont transportés dans des glacières bleues. Les eaux troubles qu’ils contiennent ont été puisées à l’entrée des cinq stations d’épuration franciliennes et dans les égouts parisiens.
On y trouve les traces de tous les virus ayant infecté les habitants, rejetés lors de leur passage aux toilettes. Pour les quantifier, les scientifiques ont recours à une technique d’analyse par « RT-PCR », identique à celle pratiquée par les laboratoires d’analyses médicales lors d’un test virologique : elle consiste à repérer des gènes bien précis du virus et à les amplifier pour les rendre détectables. « Moins il y a de virus dans l’échantillon, plus l’opération prend de temps », explique le microbiologiste Laurent Moulin, responsable de la recherche et du développement au laboratoire, précisant que cette corrélation permet de quantifier le virus.
Méthode artisanale
A partir d’échantillons prélevés entre le 5 mars et le 23 avril, dans le cadre d’un projet baptisé « Obépine » (pour Observatoire épidémiologique dans les eaux usées), des chercheurs avaient montré une corrélation entre le niveau de virus dans les eaux usées et le nombre de cas de Covid-19. Les traces étaient ensuite devenues indétectables, avant de réapparaître fin juin. « C’est plutôt un bruit de fond. Ce n’est pas une courbe inquiétante », insiste Sébastien Wurtzer, virologue à Eau de Paris, en rappelant que lors des trois premières semaines d’analyse, les quantités détectées avaient été multipliées par cent.
Vêtu d’une blouse blanche intégrale, visage et mains protégés, ce scientifique guette chaque matin vers 11 h 30 la livraison du jour. Entre trente et soixante échantillons arrivent au laboratoire quotidiennement : de la région parisienne et d’autres sites en France. Un flacon a fait le voyage depuis l’Aisne, un autre depuis la Marne. « Les gens prennent conscience de l’intérêt de cette approche et nous sollicitent de plus en plus », souligne M. Wurtzer.Article réservé à nos abonnés Lire aussi La forte proportion de cas asymptomatiques complique la lutte contre le Covid-19
Quelques millilitres de ces eaux troubles sont prélevés dans chaque flacon et transvasés dans de fins tubes en plastique. « Un échantillon représente plusieurs centaines de milliers de personnes », explique-t-il. Il s’agit d’un indicateur avancé, dans la mesure où les personnes infectées peuvent être contagieuses avant l’apparition des symptômes, et excréter le virus pendant la période d’incubation de la maladie, qui est en moyenne de trois à cinq jours.
L’un des objectifs du programme est de déployer des antennes à différents endroits de la capitale pour être en mesure de préciser la localisation des personnes contaminées. Une vingtaine de sites ont été choisis, mais ils ne sont, pour l’instant, pas équipés de dispositifs de prélèvements automatiques. « Il faut que des gens descendent et jettent un seau dans les égouts », décrit Laurent Moulin, en précisant que cette méthode artisanale complique les comparaisons d’un jour sur l’autre. « On est dépendant de la période de la journée, d’un certain nombre d’événements qu’on ne maîtrise pas : des pluies, des douches que les gens prennent au même moment, etc. », souligne-t-il alors que dans les stations d’épuration, « ce qu’on observe est une moyenne de ce qui est arrivé pendant les vingt-quatre dernières heures ».
Congelés et analysés
Pour Eau de Paris, pas question, à ce stade, de conclure à partir des derniers relevés. « D’habitude, quand on travaille sur les virus, on fait trois ans de R&D et ensuite on réfléchit. Là, nous avançons en marchant », indique Estelle Desarnaud, directrice générale adjointe d’Eau de Paris. « Nous n’avons pas un bouton qui allume un quartier de Paris d’une couleur ou d’une autre et qui permette d’en tirer les conséquences », insiste-t-elle.
L’objectif du projet « Obépine » est, à terme, de couvrir l’ensemble du territoire, avec la possibilité d’anticiper une seconde vague avant qu’elle ne frappe les hôpitaux. « Nous essayons de monter une plate-forme afin de suivre, sur l’ensemble de la France, 150 stations pour avoir une vision des mouvements du virus en France, via le suivi des communes », détaille Laurent Moulin, soulignant qu’un financement de 3,5 millions d’euros a été accordé à ce projet par le ministère de la recherche.Article réservé à nos abonnés Lire aussi A Etretat, lors d’une opération de dépistage du Covid-19 : « On sait qu’en cherchant plus, on trouvera plus »
C’est à une tout autre échelle qu’une équipe de Montpellier regroupant des virologues et des chercheurs en ingénierie hydraulique, réseaux et géographie, du CNRS et de l’Inrae poursuivent un projet similaire. Depuis le 7 mai, ils ont entrepris de prélever des échantillons en amont de la principale station d’épuration de la ville, qu’ils ont congelés, puis analysés. Concentré, extrait, puis quantifié, l’ARN a parlé. Acceptés pour publication dans la revue scientifique One Health, leur méthode et leurs résultats confirment l’intérêt des eaux usées dans le suivi de l’épidémie de Covid-19.
Du 7 mai, soit quatre jours avant la fin du confinement, au 26 mai, ils n’ont trouvé qu’une très faible quantité de traces génétiques du virus, « à la limite de la détection », précise Raphaël Gaudin, virologue à l’Institut de recherche en infectiologie de Montpellier (IRIM-CNRS). Le 4 juin, la quantité d’ARN a doublé, puis de nouveau triplé le 15 juin, et encore quintuplé le 25 juin. Depuis, la concentration paraît s’être stabilisée, comme en témoigne la dernière mesure, réalisée le 20 juillet. « Cette évolution semble corrélée avec celle des nouveaux cas dans l’Hérault, décalée de deux ou trois semaines », indique le chercheur.
« Mieux cibler les tests »
En effet, alors qu’elle avait détecté 11 cas positifs dans l’Hérault pendant la semaine du 6 juin, l’Agence régionale de santé (ARS) en a enregistré 37 dans la semaine du 13 au 19 juillet et 58 dans celle du 20 au 26, essentiellement dans l’agglomération de Montpellier. Le délégué départemental de l’ARS, Alexandre Pascal, souligne que les données de contamination restent « en dessous de la moyenne régionale et nationale, alors même que nous faisons partie des départements qui testent le plus en France ». « Mais, comme partout ailleurs, nous voyons un relâchement dans les comportements et cela nous préoccupe », tient-il à préciser.
Pour les chercheurs, ces résultats « particulièrement encourageants » ne constituent « qu’une étape », indique Julie Trottier, directrice de recherche au CNRS. Car plus encore que prévoir l’évolution de l’épidémie, l’équipe entend la traquer. « Utiliser cette technique pour développer un outil sanitaire qui puisse remonter de l’aval vers l’amont et trouver l’origine de l’infection », annonce la chercheuse.Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la peur de la deuxième vague de contaminations relance la question des frontières européennes
Le réseau conduit en effet les eaux usées des logements vers la station d’épuration, par convergences successives. Prise dans l’autre sens, cette toile est constituée d’une série de bifurcations. « Avec deux mesures, nous pourrions, à chaque bifurcation, savoir d’où vient le virus, et remonter, tels des saumons, jusqu’à l’îlot d’habitation, poursuit-elle. On pourrait ainsi mieux cibler les tests virologiques des individus sans recourir aux instruments de traçage et les risques qu’ils font peser sur les libertés individuelles. »
Pour l’heure, le projet se heurte à une réalité bassement matérielle : « Il nous faut 130 000 euros pour installer des préleveurs automatiques et confirmer la faisabilité du dispositif », indique Julie Trottier. Le prix d’un rêve de scientifiques.
Nathaniel Herzberg et Chloé Hecketsweiler
Source:© Analyser les eaux usées pour anticiper une seconde vague de Covid-19
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Richard C,
Intéressant.
Je souhaite qu il y ait du vrai dans cet article. Mais laMairie de Paris et l’ etatst français mentent depuis1940 et cela n a jamais changé.