ANALYSE – Voilà que le coronavirus, par la brutalité et la radicalité du changement de cap qu’il engendre, bouleverse désormais les visions politiques les plus ancrées
Et soudain Emmanuel Macron a changé de ton: «Nous devons rebâtir notre souveraineté nationale et européenne »,a-t-il lancé, le 31 mars, lors d’une visite dans une PME angevine de fabrication de masques. Il a poursuivi: «Notre priorité, aujourd’hui, est de produire davantage en France.» Du Montebourg dans le texte.
En période de crise, a fortiori de «guerre», les peuples s’identifient à la nation et celle-ci redevient le cadre unique de tous les chefs d’État, même les plus proeuropéens. C’est peut-être la quête d’unité et le caractère exceptionnel de la période qui ont conduit Emmanuel Macron à ce virage. Discours sans lendemain ou révolution?À lire aussi : Emmanuel Macron amorce-t-il un tournant politique, ou seulement rhétorique?
Ces mots s’inscrivent en tout cas dans un processus qui a commencé très longtemps avant l’apparition du virus. Cette crise sanitaire s’inscrit, en effet, dans une recomposition politique plus vaste. Comme l’a analysé François Lenglet dans nos colonnes, «le virus ne change rien par lui-même, il n’est qu’un facteur de précipitation, au sens chimique du terme. L’inflexion de la mondialisation est là depuis plusieurs années, portée par des facteurs lourds».
Le Brexit, la victoire de l’«America First» de Donald Trump ou encore le rétablissement de frontières à l’intérieur même de l’Union européenne au moment de la crise migratoire avaient déjà préfiguré ce retour des nations. La doctrine même du confinement consiste à faire de la frontière, hier honnie, une protection à l’échelle domestique. En France, la première révolte des «gilets jaunes», celle de novembre 2018, s’inscrivait aussi dans ce processus. À l’époque, Emmanuel Macron avait déjà infléchi sa ligne, sans dévier réellement de son projet initial.
Les fondamentaux du macronisme en 2017, ceux du « nouveau monde » sont ébranlés et cèdent la place à des paradigmes hier jugés anachroniques
Et voilà que le coronavirus, par la brutalité et la radicalité du changement de cap qu’il engendre, bouleverse désormais les visions politiques les plus ancrées. L’Europe, le marché, l’individualisme, la mobilité: les fondamentaux du macronisme en 2017, ceux du «nouveau monde», sont ébranlés et cèdent la place à des paradigmes hier jugés anachroniques. Nous sommes passés de «l’Europe» à «la nation» ; des «premiers de cordée» à «la première ligne» (soignants, policiers, paysans, routiers, caissiers) ; de «la start-up nation» à «l’État protecteur» ; d’«En marche!» à «restez chez vous!».
«On s’est appuyé sur la rhétorique du mouvement, du dynamisme, des verrous à faire sauter», plaidait en 2017 son conseiller Ismaël Emelien. Aujourd’hui, la France est à l’arrêt. Dans son essai au titre prémonitoire, Demeure. Pour échapper à l’ère du mouvement perpétuel, le philosophe François-Xavier Bellamy, devenu depuis député européen LR, s’interrogeait sur l’impératif de mobilité permanente qu’impose la globalisation. «Cette injonction épuisante ne peut qu’aboutir à une crise collective», prédisait-il.À lire aussi : Demeure de François-Xavier Bellamy: un manifeste pour les droits de l’âme
Depuis le début de l’épidémie, la libre circulation a montré que si elle est source d’autonomie individuelle elle peut aussi nous placer collectivement en situation de dépendance. «Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie, au fond, à d’autres est une folie», avait déclaré le président de la République lors de son allocution du 16 mars. «Nous devons rebâtir notre souveraineté nationale et européenne», a-t-il donc ajouté mardi.
Pour sauver l’Europe, il a fallu faire voler en éclats un certain nombre de principes qui régissent l’Union européenne
On peut y voir l’expression de son fameux «en même temps», mais aussi un primat de la souveraineté nationale sur la souveraineté européenne. Pour sauver l’Europe, il a fallu faire voler en éclats un certain nombre de principes qui régissent l’Union européenne. Schengen d’abord puisque les frontières intérieures se sont refermées les unes après les autres. Celle de Maastricht ensuite puisque les règles de discipline budgétaire de l’UE ont été suspendues.À lire aussi : «La crise à venir exigera un vrai courage politique»
Le retour des nations invite en outre à repenser les priorités de l’État. La crise sanitaire que nous traversons est liée au «sous-développement» (pour reprendre l’expression du chef urgentiste Philippe Juvin) de notre système de santé. Les économies réalisées sur celui-ci, souvent pour permettre de gigantesques dépenses sociales, ont conduit à une tension sanitaire qui marquera la France pour longtemps. «Beaucoup de certitudes, de convictions, sont balayées (…). Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour aux jours d’avant», a annoncé Emmanuel Macron. Certains y voient une promesse,
peut-être faut-il y déceler un aveu?
Source:© Alexandre Devecchio: Macron, du «nouveau monde» à la «démondialisation»?