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Alexandre Bompard, le PDG de Carrefour. Le Figaro
ENTRETIEN EXCLUSIF – Les mesures prises par l’enseigne ont contribué à protéger les Français des conséquences de l’inflation, souligne le dirigeant.
Source:© Alexandre Bompard, PDG de Carrefour : «Les industriels demandent des hausses de tarifs délirantes»

ENTRETIEN EXCLUSIF – Les mesures prises par l’enseigne ont contribué à protéger les Français des conséquences de l’inflation, souligne le dirigeant.

L’inflation alimentaire ne met pas à mal le modèle économique de Carrefour. Bien au contraire. Le distributeur a réalisé l’an passé une nouvelle année record. Son chiffre d’affaires mondial a progressé de 8,5%, à 90 milliards d’euros. Le groupe a gagné des parts de marché dans tous ses pays clé. Son résultat opérationnel a augmenté de 8,3%, à 2,4 milliards. En France, où ses ventes ont augmenté de 3,4%, le groupe a réussi la prouesse d’augmenter sa marge opérationnelle. Ces bons résultats sont les fruits de la transformation menée depuis cinq ans par le PDG du groupe, Alexandre Bompard.

Le FIGARO. – Carrefour affiche des résultats records et une augmentation de sa marge. Ne craignez-vous pas que cela donne du grain à moudre à ceux (industriels, agriculteurs, politiques…) qui accusent les distributeurs d’être des profiteurs de l’inflation ?

Alexandre BOMPARD. – L’inflation à deux chiffres met nos clients à rude épreuve, et fragilise puissamment notre secteur, comme l’illustrent les difficultés de nombreux acteurs mondiaux. Dans ce contexte, nos résultats sont très solides. Nous possédons aujourd’hui un modèle de croissance systémique et très résilient, quel que soit l’environnement. Depuis plusieurs exercices, nous gagnons des parts de marché dans tous nos grands pays. C’est le résultat de la transformation de Carrefour depuis cinq ans, de notre très grande discipline financière et des grands projets menés autour du digital, de la franchise et de la transition alimentaire pour tous. Nous avons renforcé notre position en France tout en protégeant les consommateurs. Nous y sommes les leaders des gains de parts de marché en volumes et nous avons conquis 470.000 clients en multipliant les initiatives pour protéger leur pouvoir d’achat. Les clients ont bien compris depuis le début de la crise que nous étions à leurs côtés. Par ailleurs, quand on dégage 1,3% de résultat net sur le chiffre d’affaires, on est bien loin de réaliser des superprofits.

Malgré l’inflation, la consommation dans les grandes surfaces alimentaires a relativement bien tenu tout au long de 2022. Est-ce toujours le cas depuis début 2023 ?

L’inflation des produits alimentaires a un fort impact sur la consommation des ménages, en accélérant la descente en gamme. 80% de nos clients nous disent qu’ils souhaitent acheter des produits moins chers. Les Français privilégient les marques distributeur et évitent les rayons frais, en chute à deux chiffres. La baisse des ventes en volumes est puissante, à 2,2%. Mais les mesures prises par les distributeurs permettent à la consommation de tenir.

Les consommateurs pourront-ils encaisser le nouveau choc inflationniste qui s’annonce après les négociations tarifaires entre distributeurs et industriels ?

L’inflation alimentaire, aujourd’hui de 13%, va se poursuivre et rester à deux chiffres dans les prochains mois. Les industriels demandent des hausses de tarifs délirantes de 20% alors que les prix des matières premières, des transports et de l’énergie sont désormais significativement à la baisse. Le cours mondial du blé était de 430 dollars la tonne il y a six mois, c’est 280 dollars aujourd’hui. Un conteneur coûtait 11000 dollars, c’est maintenant 2000 dollars. Les prix de l’énergie sont eux aussi orientés à la baisse. Les hausses subies l’an dernier par les industriels ont déjà été prises en compte. Certaines de leurs nouvelles demandes sont justifiées, d’autres pas du tout. Il faut une clause de revoyure pour les contrats qui seront signés à la fin des négociations tarifaires annuelles. Nous espérons que le gouvernement sera aussi prompt que l’an passé, quand les coûts flambaient, à demander une réouverture des négociations, maintenant qu’ils plongent, pour rendre du pouvoir d’achat aux Français.

Entre la proposition de loi Descrozaille et le panier anti-inflation, les pouvoirs publics se mêlent de plus en plus du niveau des prix en rayon. Comprenez-vous cet interventionnisme ?

Cette proposition n’a aucun intérêt pour les consommateurs. C’est la dixième loi encadrant les négociations commerciales votée en 20 ans. On légifère de plus en plus, et cela ne va vraiment pas de mieux en mieux. La loi Descrozaille n’a pas d’autre conséquence que la protection des intérêts des grandes multinationales. Elle ne protège pas les agriculteurs, puisque la loi Egalim 2 sanctuarise déjà les matières agricoles dans les négociations tarifaires. Carrefour a été le premier à alerter sur le niveau de l’inflation et le premier à prendre des mesures pour accompagner les clients : paniers de 30 produits à moins de 30 euros, 100 produits à prix bloqué pendant 100 jours… Ce sont nos clients qui nous ont aidés en tables rondes à bâtir ces solutions. Nous n’avons pas besoin d’un autre panier anti-inflation qui a un petit risque d’être technocratique. Mais avec tous mes camarades du secteur, nous sommes toujours ouverts à la discussion avec le gouvernement pour continuer de défendre le pouvoir d’achat des Français.

Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, critique vos dispositifs anti-inflation. Est-il possible de soutenir à la fois le pouvoir d’achat des Français et le monde agricole ?

On voit les injonctions contradictoires adressées à la grande distribution. Les propos de Madame Lambert sont injustes et infondés : depuis Egalim 2, le prix de la matière première agricole est sanctuarisé. Mais il y a surtout une forme de mépris vis-à-vis des Français. Ces dispositifs anti-inflation, nous les avons bâtis avec nos clients, ce sont eux qui nous aident à choisir les produits dont ils ont besoin en priorité.

Pour rester compétitif malgré l’inflation, certains distributeurs rognent leurs marges, comme Leclerc, qui a gagné des parts de marché. Carrefour, coté en Bourse, peut-il se le permettre ?

Nous déployons année après année des plans de productivité et d’économies qui nous permettent de défendre le pouvoir d’achat des clients tout en améliorant notre résultat opérationnel et notre génération de cash-flow. Depuis cinq ans, nous économisons un milliard d’euros chaque année, pour les réinvestir dans la politique commerciale. Nous prévoyons 4 milliards d’économies supplémentaires d’ici 2026. Nous avons transformé notre modèle en introduisant le digital dans le choix de nos assortiments, la politique commerciale et la gestion de nos magasins. Le digital nous permet aussi d’accélérer les économies de coûts de structure. Nous allons ainsi simplifier l’organisation de nos différents sièges, sans diminuer les effectifs en magasins.

Votre concept d’hyper discount Maxi et l’implantation d’Atacadao, votre format de cash and carry brésilien, sont-ils le signe que la consommation française se polarise entre des clients qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, et d’autres, moins affectés par l’inflation ?

Je ne crois pas à l’idée de polarisation. La quasi-totalité des Français souffre de l’inflation, et certains sont en immense difficulté. Pour répondre à leurs besoins, nous déployons notre méthode Maxi développée en Amérique latine : une offre resserrée, 40% de produits de marque propre, de gros volumes. Nous accélérons le déploiement de nos formats discount, Supeco en France, Atacadao au Brésil. Ils sont une réponse à l’inflation.

L’enseigne Carrefour est-elle crédible pour le discount ? Face à Leclerc, Aldi et Lidl, qui ont à eux trois un tiers du marché ?

J’en ai la conviction et la démonstration : nous gagnons des parts de marché et des clients. Nous n’abandonnons pas pour autant notre combat pour la qualité alimentaire. Nous pouvons faire les deux grâce à notre marque propre, dont nous relevons constamment notre niveau d’exigence en retirant des substances controversées, du sucre, du sel…

Vous êtes en pleines négociations annuelles obligatoires sur les salaires. Quel est le climat social chez Carrefour ?

Le dialogue social fonctionne bien. Nous avons accordé des augmentations régulières depuis le démarrage de l’inflation : la rémunération d’une hôtesse de caisse a par exemple progressé de 8,3% entre août 2021 et décembre 2022. Pour cette année, nous avons bon espoir d’obtenir un accord majoritaire sur nos propositions. S’y ajoute une forte augmentation de la participation : grâce à nos bons résultats, celle-ci a augmenté de 85% en 4 ans, et dépasse les 1000 euros pour la première fois depuis dix ans.

Casino et Teract ont officialisé leurs discussions en vue de réunir leurs activités de distribution en France. Ce rapprochement changerait-il la donne ?

Je n’ai pas compris l’objet de ces discussions ; c’est normal, car elles ne nous concernent pas. Compte tenu de la progression constante de nos résultats, Carrefour n’a plus besoin d’une grande opération de consolidation pour poursuivre sa transformation. Nous ne travaillons plus sur de tels projets depuis longtemps. En revanche, si des opportunités d’acquisitions tactiques permettent de créer de la valeur, comme celle de Big au Brésil, nous les regardons de près. Des opérations de taille intermédiaire peuvent faire sens dans tous nos grands pays, dont la France.

Malgré les progrès de Carrefour, le cours reste à 16 euros. Faut-il s’en inquiéter ?

Jusqu’à fin 2020, les marchés, marqués par les mauvaises performances de l’action depuis 15 ans, étaient sceptiques sur la transformation en cours. Depuis 2021, nous sommes dans une nouvelle période : Carrefour surperforme le CAC de 7%, et surperforme ses pairs européens de 25%. Notre travail, c’est également d’accélérer l’amélioration de cette performance boursière. Tous les éléments sont réunis pour que ce soit le cas.


 

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