DÉCRYPTAGE - La flambée des taux d’intérêt a mis fin à l’envolée des prix. De Londres à San Francisco en passant par Paris, les transactions se raréfient et la valeur recule.
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DÉCRYPTAGE – La flambée des taux d’intérêt a mis fin à l’envolée des prix. De Londres à San Francisco en passant par Paris, les transactions se raréfient et la valeur recule.
Tétanisés par la hausse des coûts de l’énergie, les Suédois boudent les maisons individuelles, difficiles à chauffer en ce début d’hiver, sur fond de guerre russe en Ukraine. En conséquence, les prix immobiliers ont chuté de 14 % dans le pays par rapport à leur niveau du début de l’année – un recul ininterrompu depuis sept mois.
Au Royaume-Uni, le désastreux «mini-budget» de l’éphémère première ministre Liz Truss, fin septembre, a eu des effets durables sur les taux d’intérêt des emprunts immobiliers, qui ont dépassé les 6 %, avant de redescendre autour de 5 %, prenant de nombreux emprunteurs à la gorge, nouveaux acquéreurs comme propriétaires liés par des crédits à taux variables. Le résultat a été une douche froide pour le marché résidentiel: la demande a chuté de 44 % et les ventes de 28 %. Les prix baissent depuis trois mois et le gouvernement s’attend à les voir décliner de 9 % d’ici l’an prochain.
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Signes avant-coureurs d’un krach général? Avec les bruits d’une récession qui s’annonce, un retournement du marché immobilier mondial se profile. Depuis la pandémie, les prix ont bondi jusqu’à 20 %, dopés par les taux bas, l’afflux de liquidités, l’excès d’épargne, la forte reprise de l’activité. Le durcissement de la politique monétaire des banques centrales à travers le monde pour lutter contre l’inflation a sonné la fin de l’euphorie.
La bulle chinoise a explosé
Dans son rapport sur la stabilité financière d’octobre, le FMI évoque un «point de basculement» de l’immobilier mondial. Dans un scénario noir, cela pourrait se traduire par une chute des prix de 25 % dans les marchés émergents et de plus de 10 % dans les pays avancés.
Certains y sont déjà. La Chine voit exploser une bulle immobilière: les ventes y ont chuté de 43 % cette année. Les prix baissent en Suède, en Allemagne, au Canada, en Nouvelle-Zélande ou en Australie. Ils déclinent dans la moitié des 18 principaux marchés avancés analysés par le cabinet Oxford Economics. Les États-Unis et le Royaume-Uni suivent le mouvement.
Il est inévitable de voir les prix baisser dans la plupart des marchés. La question clé sera l’ampleur du retournement
Kate Everett-Allen, responsable de la recherche résidentielle chez Knight Frank
«Globalement, il s’agit des prévisions les plus inquiétantes pour le marché immobilier depuis 2007-2008. Certains pays peuvent s’attendre à un déclin modéré et d’autres font face à des chutes beaucoup plus fortes, de l’ordre de 15 à 20 %», estime Adam Salter, d’Oxford Economics. La tendance n’est pas uniforme, même au plan national.
«Des villes subissent des chutes de prix importantes par rapport à leur pic de 2021, tandis que d’autres connaissent encore des progressions à deux chiffres», note Kate Everett-Allen, responsable de la recherche résidentielle chez Knight Frank. Parmi les plus affectées, Wellington et Auckland en Nouvelle-Zélande, Sydney et Melbourne en Australie, Toronto au Canada ou Santiago au Chili.
«Il est inévitable de voir les prix baisser dans la plupart des marchés, prévoit Kate Everett-Allen. La question clé sera l’ampleur du retournement.» Cela déterminera l’impact financier sur l’économie mondiale. Une baisse générale des prix immobiliers de 10 % en 2023 amputerait le PIB mondial de 0,2 à 0,6 point de croissance, selon les calculs d’Oxford Economics. Mais, pour l’heure, la plupart des spécialistes écartent le spectre d’une crise systémique comparable à celle de 2008.
L’immobilier est un symptôme de la santé de l’économie, indicateur avancé des cycles. «Aux États-Unis, il n’y a pas d’exemple de retournement immobilier qui n’ait pas été suivi d’une récession», rappelle l’économiste Véronique Riches-Flores. Les ménages américains consacrent désormais quelque 3000 dollars par mois en moyenne à leur logement, contre 1500 durant les dix dernières années. Autant d’argent en moins à dépenser dans les produits de consommation, les biens d’équipement, les loisirs… C’est l’effet mécanique de la hausse des taux recherché par la Réserve fédérale pour calmer la surchauffe de l’activité, à l’origine de la flambée inflationniste. «Cela fracasse le flux immobilier en décourageant les nouveaux emprunteurs. Les taux sont trop élevés, les prix sont trop élevés, rien ne se vend. Mais cela n’affecte pas le stock de propriétés existant, donc ce n’est pas une crise financière», relativise Samy Chaar, économiste chez Lombard Odier.
Jusqu’ici, la bonne tenue de l’emploi permet aux ménages propriétaires de rester solvables. Les banques ne font pas face à un risque incontrôlé de défauts sur leurs crédits, comme lors de la crise financière de 2008. Depuis, leurs ratios ont été considérablement renforcés, en termes de fonds propres et de critères d’octroi des prêts. Les emprunteurs français confrontés au couperet du taux d’usure en savent quelque chose.
Atterrissage en douceur dans la zone euro
La diminution de la part des emprunts à taux variables par rapport à la crise de 2008 permet aussi de protéger davantage les propriétaires endettés. C’est largement le cas en Europe, hormis dans certains pays comme les pays scandinaves, les Pays-Bas ou le Portugal. Pour l’ensemble de la zone euro, un atterrissage en douceur est sans doute à prévoir, «mais pas d’éclatement d’une bulle généralisé», rassure Christopher Dembik, économiste chez Saxo Bank.
Les pays où les prix ont le plus augmenté par rapport aux revenus et où l’endettement est le plus élevé sont les plus exposés à une correction brutale: Pays-Bas, Portugal, Suède, Canada et Australie, selon une étude de Global Sovereign Advisory.
Selon une modélisation de la Banque centrale européenne, une hausse de 1 % des taux des emprunts immobiliers entraîne une baisse de 5 % des prix deux ans plus tard. «Qu’elles l’admettent ouvertement ou non, les banques centrales acceptent clairement que les récessions et les crises de l’immobilier soient le prix à payer pour reprendre le contrôle de l’inflation des prix à la consommation», constate Vicky Redwood, de Capital Economics.